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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Le retour de Mertylle

Mestr Tom et Taliesin

Le soir tombant, Mama Yaga sortit de sa cabane avec sa pipe allumée. Elle s’assit sous son porche, une couverture sur les genoux, et regarda les feuilles orangées tomber. Un corbeau croassa sur une branche. Elle chercha le lever du soleil — qui ne viendrait jamais dans le Comté de la Nuit. Une larme coula sur sa joue. Elle rentra, écrivit une lettre, et l’envoya par corbeau, espérant qu’elle viendrait pour la fête des morts.


 

La nuit de la fête arriva. Cela ressemblait à une immense kermesse avec des enfants qui couraient partout. Avec plusieurs des déguisements offerts par l'équipe des fées couturières, personne n'aurait pu dire lesquels était humain et lesquelles appartenaient aux comtés de la nuit.

Urbain avait installé son stand un peu à l’écart, sous une guirlande de navets souriants et de carottes sculptées. Son vieux chaudron fumait doucement, rempli de soupe de son vieux copain — autrement dit, du potager. Il avait mis tout son cœur : courges rôties, pommes douces, herbes chantantes, et même une pincée de cannelle.

Mais les enfants passaient sans s’arrêter. Certains faisaient la grimace. D’autres murmuraient :

— C’est un troll… et en plus, c’est des légumes.

Urbain ne disait rien. Il touillait doucement, parlant à ses poireaux comme à de vieux amis.

Et puis… une jeune fille masquée s’approcha. Son visage était caché, mais ses yeux brillaient.

— Un bol, s’il vous plaît.”

Urbain lui tendit une louche fumante. Elle goûta. Et s’exclama :

Mais c’est super bon ! Et sucré !”

Les enfants s’arrêtèrent. Ils regardèrent. Ils s’approchèrent.

Après quelques hésitations, le chaudron fut vidé en un éclair. Les rires fusèrent. Les légumes furent acclamés. Et Urbain, les yeux brillants, murmura à sa soupe :

— Tu vois, vieux copain… ils t’aiment enfin.”


 

Un peu à l’écart de la fête, Morgiane et Mezraël s’étaient assis sur une souche moussue. Les rires des enfants leur parvenait en écho de leurs souvenirs perdus.

Ils tentaient de parler. Mais comment une sorcière de plus de soixante-dix ans pouvait-elle considérer que cet homme à peine trentenaire, dont le nom était passé à la légende, était son propre père ?

Alors ils parlèrent de banalités.

— Khèty progresse bien comme Mère des sorcières,” dit Morgiane. “Elle a même réussi à pacifier les marais.”

Mezraël hocha la tête. Sauver les marais lui avait couté cher. Ne pas voir sa fille grandir était le prix le plus lourd à payer.

— Et ta hutte, au nord du marais ? Elle tient le vent ?”
— Elle tient. Les chauve-souris s’y plaisent.”

Ils évoquèrent les frères de Mezraël, toujours aussi bruyants, toujours aussi fiers. Ils parlèrent de la cabane de Mama Yaga, perdue dans la forêt sombre du nord, où le feu ne crépite plus comme avant.

Ils étaient mal à l’aise, tous les deux. Mais ils restèrent assis. Parce que parfois, le simple fait de rester est déjà une forme d’amour.

Non loin de là planter à attendre au stand de lancer de haches, des louveteaux écoutaient l'un des leurs.

— J’étais trop loin du terrier, d’accord ? J’avais suivi une piste… une vraie bonne piste, genre lapin dodu ou écureuil distrait. Et j’ai pas entendu le signal de la pleine lune. Alors pouf — j’ai changé. Plus de griffes, plus de crocs. Juste… moi. Un petit garçon frêle, tout nu, avec de la boue jusqu’aux genoux.”
— Et là, je les ai vus. Une bande de trolls affamés. Des gros, des moches, avec des marmites et des brochettes. Ils m’ont regardé comme si j’étais déjà en train de cuire.”
— J’ai eu peur. Genre, vraiment peur. J’ai pensé à ma maman, à mon doudou, à la soupe d’Urbain — même si j’aime pas les légumes.”
Et puis… il est arrivé. Un grand loup blanc. Immense. Il m’a pris dans sa gueule — sans me faire mal, hein — et il m’a plongé dans une mare d’eau boueuse. Genre, vraiment boueuse. Une odeur horrible. Les trolls ont fait ‘Beurk !’ et ils sont partis en courant.”
Le loup m’a regardé. Il a pas parlé. Mais je sais qu’il m’a sauvé. Vous vous rendez compte, le roi des meutes m'a sauvé.

Les autres enfants autour du feu le regardent avec des yeux ronds. Certains rient, d’autres frissonnent. Et une jeune fille masquée, assise un peu à l’écart, écoute sans dire un mot. Mais ses mains tremblent légèrement. Et dans ses yeux, une lueur familière.


 

Assise sur une pierre plate, Line, grande fée du Royaume, regardait les lanternes danser dans le ciel. Elle pensait à Chester, ce gredin insupportable, ce voyou qu’elle n’arrêtait pas de gronder. Elle avait tout fait pour le redresser. Et pourtant… il avait disparu. Et elle vivait très mal cet échec.

Ce qui la troublait, c’était que la disparition de Chester lui causait plus de chagrin que celle de Lebo, sa propre sœur. Elles étaient les dernières fées, nées le même soir, liées par le chant des lucioles. Mais Chester… Chester avait laissé une trace étrange dans son cœur.

Soudain, un gamin déguisé en Chester passa en courant. Les anciennes assistantes de sa soeur avait confectionner un costume incroyable.

Line l’arrêta doucement.

— Tu sais qui tu représentes ?”

L’enfant hocha la tête.

Pas le général méchant. Moi, je connais la légende. Chester devait rester croque-mitaine pendant mille ans avant de pouvoir rentrer chez lui. Mais il est tombé amoureux de sa dernière victime. Il a tenté de se cacher à la terrible fée… mais c’était peine perdue. Alors il a passé un pacte. Il prendrait la place de la jeune fille. Elle ne serait pas transformée pour toujours en croque-mitaine. Mais lui, oui.

Line resta silencieuse. Elle avait oublié cette anecdote. Ce sacrifice discret, ce geste d’amour caché.

Et en y repensant… Elle retrouva le sourire.


 

Autour du chaudron aux bonbons, les jeunes sorcières papotaient, leurs chapeaux penchés et leurs capes virevoltantes.

L’une d’elles, les joues pleines de taches de suie et les doigts encore collants de potion ratée, riait doucement. Ses camarades s’étonnaient :

Mais comment ça se fait que toi, la plus maladroite d’entre nous, tu sois là ce soir ? La sorcière instructrice ne t’a pas privée de fête ?”

La jeune sorcière secoua la tête, un sourire timide aux lèvres.

Non. Parce que Khèty m’a tout réexpliqué. Sortilège par sortilège. La mère des sorcières m’a aidée. Elle aurait pu me punir. Elle m’a juste dit : ‘Tu peux mieux faire.’ Et j’ai mieux fait. Elle m'a aidé avec patience sans jamais abandonné et moi en échange j'y ai mis toute ma détermination. Et ce matin… j’ai réussi. J’ai prouvé à ma maîtresse que j’avais rattrapé tout mon retard. Grâce à Khèty. Grâce à la mère des sorcières.

Les autres se turent un instant. Puis elles applaudirent doucement. Pas pour la réussite. Mais pour la patience.

Juste derrière elles, une inconnue masquée écoutait. Elle ne dit rien. Mais elle sourit.

Et seul le vent entendit ses mots :

— Sacrée maman… toujours là où on a besoin de toi.

Dans un recoin de la fête, là où les lanternes n’osaient plus briller, Khèty s’était assise seule. Son teint était pâle, ses yeux éteints. Même les jeunes sorcières, d’ordinaire ravies de la voir, passaient sans oser l’approcher.

Elle ne souriait plus. Elle ne parlait plus. Elle attendait… ou plutôt, elle n’attendait plus.

Loukhi, son mari, s’approcha doucement. Dans ses mains, un bol de soupe d’Urbain, encore fumant, encore plein de promesses.

— Tiens. C’est sucré. Les enfants l’adorent, j'ai réussi à en avoir un bol.

Khèty le repoussa sans violence, mais avec une lassitude immense.

— Elle n’est pas venue. Et elle ne viendra plus. Sommes-nous donc vraiment des monstres à ses yeux ?

Loukhi baissa la tête. Il posa le bol sur une souche. Et sans un mot, il s’éloigna.

Dans la forêt, il courut. Et sous la lune, il hurla. Un cri de loup. Un cri de père. Un cri de douleur.


 

Dans un coin de la clairière, trois enfants jouaient à la guerre et à l’amour.

Un jeune garçon, fier, en armure de carton, une épée en bois à la main. Devant lui, une petite fille vêtue d’une robe bleue, avec des ailes blanches de papillon, jouait à la princesse.

— Seigneur Mezraël, dit-elle avec emphase, elle est moche. Tuez-la.

Le garçon hésita.

— Pourquoi, votre majesté ?
— Parce qu’elle est moche. Je viens de te le dire.

Derrière eux, une autre petite fille habillée de hardes, les joues couvertes de boue, les cheveux dépeignés, des branches coincées dans sa tignasse, regardait sans comprendre.

Le garçon se plaça devant elle, l’épée levée, mais non menaçante.

Je ne la tuerai pas. Elle est mon amie. Le vrai monstre, c’est vous.

La petite fille aux ailes fronça les sourcils. Elle s’approcha, l’embrassa rapidement sur la joue.

— Tu es un ami des sorcières. Traître. Cette flûte sera ta prison.

Elle brandit une flûte en roseau, souffla dedans, et le garçon fit semblant d’être figé.

Les enfants rirent. La boueuse prit la main du chevalier figé.

Et l’inconnue masquée, cachée derrière un arbre, sourit doucement. Elle comprenait enfin.

La jolie petite fille, c’était Viviane. La sorcière boueuse, c’était Mama Yaga. Et le chevalier… c’était Mezrael, son arrière-grand-père, celui qui s’était sacrifié pour protéger les sorcières, et surtout celle qu’il aimait par-dessus tout.

Pendant cette nuit de fête, Mertille avait vu sa famille et le Comté de la Nuit sous un autre angle. C’est elle qui avait permis à Urbain d’offrir sa soupe. C’est elle qui avait écouté les récits. C’est elle qui avait réveillé les mémoires.


 

La nuit s’épaissit. Les lanternes s’allument. Les anciens racontent des légendes . Les enfants se taisent enfin..

La fête battait son plein. Les lanternes dansaient, les enfants riaient, les anciens se taisaient. Mais Mezrael, le père de Morgiane, ne se sentait pas chez lui dans le Comté de la Nuit. Il salua discrètement, et prit le chemin du Palais des Fins Heureuses, où ses frères l’attendaient pour célébrer le solstice.

Alors qu’il franchissait le seuil, une jeune fille le bouscula. Elle portait une cape et un masque d’ombre. Elle se pencha vers lui et murmura :

— Bon Halloween, papi.

Mezrael s’arrêta net. Il se retourna, les yeux écarquillés, et courut vers sa femme.

— La jeune fille… elle vient de me saluer comme si j'étais son grand-père.

La puissante sorcière, d’ordinaire si grave, rit aux éclats. Un rire clair, profond, presque enfantin. Tous se retournèrent vers elle.

Elle est venue ! Mertille est venue !

Et dans ce cri, il y avait la joie, la surprise, la guérison. La nouvelle se répandit comme une lumière douce. Les ombres se firent tendres. Les anciens sourirent. Les enfants dansèrent.

Et la fête du morts, cette nuit étrange entre peur et mémoire, devint une nuit de retrouvailles.


 

 

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