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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Les pickpocketeurs

Mestr Tom et Taliesin
Préface – Dans l’ombre, la lumière

Il existe des héros que l’on acclame, et d’autres que l’on oublie volontairement. Ceux qui œuvrent dans les marges, qui ne cherchent ni gloire ni reconnaissance, mais dont les actes façonnent le destin d’un royaume. Ce conte est pour eux.

La Légende des Pickpocketeurs est née dans les ruelles d’Avalon, là où les murmures valent parfois plus que les cris. Octave, enfant des rues, devient l’œil invisible du pouvoir, le gardien silencieux d’une cour qui ne connaît ni son nom ni son visage. Ce récit est un hommage à l’intelligence discrète, à la loyauté sans condition, et à la noblesse des âmes modestes.

Si vous avez aimé Les Contes des Deux Comtés, vous retrouverez ici cette même alchimie entre mystère, tendresse et tension politique. Et si vous êtes un lecteur d’Harumen, sachez que certaines ombres traversent les royaumes… et que les pickpocketeurs ne sont jamais bien loin.

 

Dans les ruelles sombres et étroites de la cité médiévale d’Avalon, un jeune garçon nommé Octave grandissait loin des fastes des châteaux et des palais. Orphelin et livré à lui-même, il apprit très tôt à survivre en esquivant les patrouilles et en se faufilant dans l’ombre. Mais derrière ce masque de jeune mendiant se cachait un esprit affûté, capable de décrypter les murmures et de lire entre les lignes des conversations les plus secrètes.

Un matin, alors qu’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, il décida de faire une entorse à son code de conduite et tenta de voler la bourse d’un mystérieux homme encapuchonné, occupé à lire un parchemin.

— Jeune homme, vous ne devriez pas tenter le diable. Bien que votre agilité soit aiguisée et votre intelligence vive, votre audace pourrait vous jouer des tours. Pourtant, la garde vous dit insaisissable et rusé.

— J’avais faim. Vraiment faim.

— Cela me rappelle ma jeunesse. J’ai grandi comme toi, ici. Et maintenant...

Octave aperçut alors la bague sigillaire à la main du gentilhomme. Il appartenait à la maison royale. Il devait souvent dîner avec Sa Majesté.

Voyant la garde approcher, Octave s’apprêtait à fuir.

— Tu as compris qu’un simple geste de ma part suffirait à les faire venir. Puisque tu as faim, allons manger. Je vais t’emmener dans une auberge non loin d’ici. Nous y serons plus à l’aise.

Octave n’était pas rassuré par l’homme mystérieux, mais la perspective de finir dans les geôles de la ville l’était encore moins.

La serveuse, reconnaissant l’homme, les installa près du feu. Elle apporta une miche de pain, un plateau de fromages et de charcuteries.

— Ne te retourne pas. Combien y a-t-il d’hommes dans la salle ?

— Quatorze, répondit Octave en essayant de ne pas s’étouffer en mangeant.

— Et de femmes ?

— Trois serveuses et une en cuisine.

— Bien. Combien y a-t-il de gardes ?

— Aucun.

— Combien d’hommes armés ?

— Six ou sept, de ce que je vois. J’ai repéré les cartes et la dague dans la botte du joueur à la chemise verte. Et notre serveuse cache une dague dans une poche de sa robe.

— Qui serait le septième ?

— Vous.

— Bien. Après ton repas, tu auras le choix. Si tu passes cette porte et vas à gauche, tu retourneras dans ton quartier.

— Et si je vais à droite ?

— Avant cela, je te proposerai un marché : deviens l’un de mes gamins.

— Le travail est bien payé ?

— Suffisamment.

— On est nourri ?

— Oui, sauf en mission.

— Je prends. Que faut-il faire ?

— Observer. Beaucoup observer. Et venir raconter à Nancy ce qu’on a vu ou entendu, en échange d’un bon repas.

— Je vais devenir une balance, en gros.

— Quel vilain mot. Dans la grande société, tu serais un espion. Mais ici, j’appelle mes protégés les pickpocketeurs.

Acceptant l’offre, Octave fut entraîné par Nancy dans l’art du déguisement et les subtilités de la collecte d’informations. Tantôt mendiant, le lendemain fils d’un marchand égaré dans les bas quartiers, il se fondait dans le décor. Sa connaissance intime des rues et des faubourgs, alliée à son intelligence hors du commun, lui permit de gravir rapidement les échelons de la petite troupe. Il devint la voix invisible des bas-fonds.

Il utilisait ses talents pour survivre dans les ruelles sombres, dérobant des objets comme des lettres compromettantes, et observant attentivement les allées et venues des habitants, nobles comme roturiers. Sa capacité à se fondre dans l’ombre, à écouter discrètement les conversations et à déjouer les patrouilles lui donnait un avantage certain. Quel contrebandier se méfierait d’un jeune mendiant ou d’un cireur de chaussures ? Qui penserait que ce gamin en guenilles, qui passe le balai, avait appris dès son plus jeune âge à lire sur les lèvres ?

Son passé lui permit de comprendre rapidement les mécanismes de la survie dans l’ombre, de gagner la confiance des informateurs et de manipuler les situations à son avantage et à celui de l’homme du roi.

 

Dans l’ombre d’une ruelle étroite, à l’abri des regards, Octave attendait patiemment. Son regard perçant scrutait les silhouettes qui s’approchaient, chacune porteuse de nouvelles glanées au cœur du quartier ou dans les tavernes voisines.

Le premier à arriver fut Gaspard, un garçon maigrelet au visage couvert de poussière.

— J’ai entendu les serviteurs parler du conseil du roi, chuchota-t-il en tendant un petit parchemin à Octave. Ils craignent une trahison parmi les nobles.

Octave plissa les yeux, dépliant le message avec soin.

— Bien. Et le reste ?

Peu après, Éloïse, agile et discrète, se faufila entre les caisses, un sourire malicieux aux lèvres.

— Un marchand très riche, il m’a laissé vingt sous, est arrivé hier soir, murmura-t-elle. Il parle bas, mais j’ai surpris qu’il cherche à rencontrer un certain chevalier.

Octave hocha la tête, son esprit déjà en train d’assembler les pièces du puzzle.

— Vous faites du bon travail. Restez prudents.

Julien, le plus âgé de la bande, arriva en courant, essoufflé.

— J’ai surpris des gardes discuter d’un vol chez un marchand étranger, dit-il à voix basse. Ils pensent que ça pourrait être un complot pour discréditer le royaume. Le marchand… il a une bague royale.

Octave serra les poings, conscient que chaque détail pouvait changer le destin du royaume. Il se méfiait parfois des informations de Julien, qui avait mal digéré que Nancy ne lui ait pas donné le titre de chef des voleurs.

— Continuez à écouter et rapportez tout ce que vous entendez. Nous devons savoir la vérité avant qu’il ne soit trop tard.

Les enfants acquiescèrent, prêts à disparaître dans la nuit pour reprendre leur mission d’ombres et de secrets. Octave, lui, resta un moment à réfléchir, le poids de la responsabilité pesant lourdement sur ses épaules. Il transmit les informations à Nancy.

Le lendemain matin, il reçut un message : le problème serait réglé par le service des ombres. La patrouille des pickpocketeurs recevait des félicitations. Ce serait double ration ce soir, et des draps blancs pour tous.

Après un peu plus de deux ans à se fondre dans les foules et les bas-fonds pour écouter des conversations secrètes sans être repéré, l’homme à la bague décida d’utiliser les talents d’Octave pour collecter des renseignements dans les rues et les demeures nobles. Octave apprit alors l’étiquette, et fut recommandé par plusieurs majordomes comme un jeune serviteur discret et sérieux.

L’étape suivante fut sa convocation au Palais. Nancy insista pour qu’il prenne un bain dans un établissement renommé. Un costume sur mesure fut préparé pour l’occasion. Il rencontra un majordome qui l’emmena dans une salle d’étude. En chemin, il aperçut un garçon de son âge suivant un homme vêtu de noir, lisant un parchemin. Il ne reconnut pas l’élève qui soupirait, mais la bague que portait son précepteur… il l’aurait reconnue entre mille. Son bienfaiteur était donc précepteur à la cour royale.

Le majordome, nommé Sébastien, lui apprit à déchiffrer les codes et les messages dissimulés, et à transmettre ces informations au service des pickpocketeurs de la maison royale, dont il était le représentant.

Avant de prendre définitivement son poste dans les couloirs du palais, Octave tint à dire au revoir à Nancy. Chargé d’observer les mouvements suspects autour du château, il réussit à déjouer un complot contre le roi. Cette réussite lui valut la confiance de ses supérieurs et marqua son passage officiel au rang de membre de l’ombre, chargé de la sécurité de la famille royale.

Il se passa encore cinq ans, durant lesquels Octave sauva plusieurs fois la vie de la famille royale. Il ne faisait pourtant que les observer de loin. Pour eux, il n’existait pas — ou plutôt, aucun d’entre eux ne voulait connaître son identité, pour ne pas compromettre sa mission. Seul le jeune prince semblait lui montrer de l’intérêt. Chaque fois qu’il croisait Octave dans les couloirs du palais, il lui souriait ou lui faisait un petit signe de la main, cessant un instant de soupirer.

Dans la grande salle aux voûtes de pierre, illuminée par la lueur vacillante des torches, la réception battait son plein. Nobles et dignitaires s’échangeaient des paroles feutrées, tandis que les musiciens jouaient une mélodie discrète. Au milieu de cette foule élégante, Octave gardait le regard vif et avançait avec précaution. Formé aux usages de la cour par le majordome, il passait sans difficulté pour un noble marchand invité à la réception du palais.

Son cœur battait la chamade, mais son visage restait impassible, masquant l’angoisse sous un sourire poli. Dans la poche intérieure de sa tunique, il serrait le bracelet « emprunté » à une vieille comtesse — un bijou d’une grande valeur, orné de pierres précieuses. Sa mission était claire : il devait créer un incident lors de la soirée. Il ne savait pas pourquoi, mais c’était très important pour le royaume. Octave repéra sa cible près de la grande cheminée : un homme aux traits sévères, vêtu d’un riche manteau brodé. Profitant d’un moment d’inattention, il s’approcha, se mêla à la foule, et d’un geste rapide et discret, glissa le bracelet dans la poche du diplomate.

— Votre Grâce, souhaitez-vous un rafraîchissement ? Nous pourrions parler affaires, murmura Octave en inclinant légèrement la tête.

Le diplomate, surpris, répondit d’un ton sec :

— Je vous remercie, mais évitez de trop m’approcher. Je préfère les services de mon majordome.

Octave sourit intérieurement, sentant la tension monter.

— Je comprends. Il faut savoir s’entourer de bonnes personnes.

Le diplomate hocha la tête sans répondre davantage, puis s’éloigna. Quelques instants plus tard, son visage se crispa, comme s’il avait senti un poids nouveau dans sa poche. Il chercha autour de lui, inquiet.

Un noble à ses côtés chuchota :

— Avez-vous perdu quelque chose, messire ?

Le diplomate secoua la tête, mais ses yeux trahissaient la peur. Octave, quant à lui, s’éloigna doucement, fondant dans la masse, tandis que les murmures commençaient à enfler. Le piège était tendu.

Il se dirigea vers la comtesse et lui fit remarquer que son bracelet de rubis avait dû tomber. Il se proposa de l’aider à le retrouver. La comtesse poussa un cri d’effroi : ce bijou, offert par son père pour son mariage, était gravé aux armoiries des deux familles.

La garde intervint. Octave fut fouillé à l’abri des regards. Le diplomate fut pris en flagrant délit, tentant de dissimuler l’objet dérobé. Le reste appartient à l’Histoire. Il dénonça son complice en échange de son retour dans son pays natal. Un nouveau complot avait été démasqué grâce aux pickpocketeurs.

L’expulsion du diplomate et l’arrestation de son complice marquèrent un tournant. Cet acte attira l’attention des services secrets, en quête de nouveaux talents. Octave avait une fois de plus prouvé son audace et son intelligence.

Il quitta Nancy pour rejoindre un agent expérimenté, qui l’initia aux subtilités de l’espionnage stratégique. Intégré à un cercle restreint d’agents du royaume, Octave bénéficia de l’enseignement de maîtres espions. Désormais, il devait effectuer des missions de reconnaissance pour évaluer la force et la disposition des ennemis du royaume. Un apprentissage sur le terrain, souvent lors de missions à haut risque, forgea sa nouvelle identité.

Il n’eut qu’une seule autre conversation avec l’homme qui l’avait sorti de la rue. Ce jour-là, Sébastien vint le chercher en hâte. Le maître des pickpocketeurs était souffrant, et vu son grand âge, tout le monde craignait le pire. L’homme, dont Octave n’avait jamais su le véritable nom, lui tendit la bague royale en murmurant :

— La voici. Maintenant, je te les confie. Occupe-toi bien d’eux. Nous sommes et resterons à jamais les pickpocketeurs, les gardiens du royaume qui vivent dans l’ombre.

Le surlendemain, les passants furent étonnés de voir une poignée de gamins des rues anonymes assister à l’enterrement du précepteur de Sa Majesté.

Ainsi, Octave continua sa vie, tapi dans l’ombre, déjouant complots et conspirations, protégeant le trône d’Avalon des ennemis. De voyou des rues à maître espion, il prouva que même les origines les plus modestes pouvaient forger les héros les plus inattendus.

Aujourd’hui, son nom est murmuré avec respect dans les couloirs du pouvoir, symbole d’une loyauté indéfectible et d’un courage forgé dans les ténèbres des ruelles médiévales. Un jour, il le savait, il croiserait un gamin des rues à l’esprit vif, connaissant la ville comme sa poche. Ce jour-là, il sortirait un parchemin de sa poche et fera semblant de le lire.

Ainsi va la vie du maître des pickpocketeurs.

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