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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Le chevalier malchanceux

Frère Jaouen

Il y a quelques années, je venais de fêter mes six cents ans. Je possédais déjà cette grotte et un modeste tas d’or. En ce temps-là, au moins une fois par semaine, un apprenti chevalier venait ici et n’en repartait pas. Quelle idée saugrenue d’aller combattre un dragon pour sa première quête, ils n’ont pas le niveau ! Il n’y a que le rejeton de la dame du lac que je craignais et l’autre là, celui qui a retiré l’épée d’un rocher ! Les autres finissaient irrémédiablement sous mes dents.

Un jour, je vois arriver un chevalier sans armure, sans cheval, et sans épée, je suis intrigué par ce combattant à l’allure peu commune. L’homme s’approche de moi, terrifié, et il me tend une petite fiole d’eau qu’il débouche et m’asperge. Pourquoi m’asperger d’eau surtout une dizaine de gouttes ? J’avais pris mon dernier bain vingt-cinq ans avant et ne voulait en reprendre un si tôt.

Je vais te pourfendre ! avait-il crié.

Avec de l’eau ? avais-je rétorqué.

C’est de l’eau bénite.

Ce n’est pas contre les démons cette chose-là ?

Je le savais bien que je me trompais d’ennemi. Je ne suis encore que jeune écuyer, j’ai voulu impressionner Rygdilis, la fille du tavernier. Je ne serai donc point chevalier.

Mais si voyons, repars chez toi, et reviens quand tu auras trouvé ce qui tue un dragon.

Vous ne me mangez pas ?

Non, ta chair me semble trop tendre et j’ai encore un reste de Sir Hurlamort de la semaine passée. Quel âge as-tu ?

Quinze ans Votre Seigneurie, je remercie votre grâce de sa bonté.

Suis ta formation d’écuyer et prends donc ce petit bracelet en argent garni de turquoises pour celle que tu souhaites impressionner par mon trépas.

Merci monsieur le dragon !

Le futur chevalier repartit. Je le vis revenir l’année suivante toujours sans cheval ni armure.

Vil dragon, tu vas mourir ! Je vais t’enfoncer ce pieu dans le cœur ! avait-il crié.

Encore perdu, lui ai-je rétorqué dans un soupir. C’est pour les vampires ce truc pointu. Tu ne seras pas un bon chevalier avec ça. Dis-moi, tu n’aurais pas des soucis ?

Mon suzerain veut que je participe à un tournoi, mais le niveau est élevé. Il y a le chevalier Brutépèces qui fait peur à tous.

Je vais finir par me vexer ! Tu viens ici sans armure et sans cheval, tu ne sembles pas avoir peur de moi, et tu trembles devant un autre chevalier ?

Ce n’est pas ça seigneur dragon, mais mourir contre vous serait noble quête, et mon lignage gagnerait grande renommée. Mourir en tournoi, y a rien de noble. Pour l’armure c’est justement pour cela que je dois participer au tournoi, car mon suzerain le terrible Gardeçèssou ne nous équipe pas, et il faut gagner chaque pièce de son équipement.

Je vois, pas facile, mais alors prends un peu d’or et va t’acheter une belle armure, un cheval et un bouquet de fleurs pour ta mie. Si on te demande où tu as trouvé cet or, indique la grotte. Surtout à ce Brutépèces qui te fait si peur !

Merci pour ce présent.

Moi j’appelle cela un investissement.

Je ne revis pas l'homme avant un moment mais par contre j'accueillis moult chevaliers qui me remplirent la panse. Le dénommé Brutépèces était néanmoins un peu trop filandreux.

Mais un jour, il revint, cette fois avec une dague en argent massif gagné lors du tournoi qu’il remporta sans souci, vu la pénurie de chevaliers.

Désolé mais l’argent, c’est pour les loups-garous, l'informé-je calmement.

J’ai encore échoué, bredouilla-t-il piteusement en baissant tête et lame.

Eh oui, et puis qu’est-ce que c’est que ce canard sur ton écu ?

Le symbole de mon suzerain, l’avare Gardeçèssou.

Ridicule ! Cela ne devrait être permis ! Du temps de ma jeunesse, un écu devait faire trembler, même les dragons !

Tu ne trembles pas devant moi.

Mais toi non plus.

Cela fait trois fois que j’échoue et je me demande pourquoi je ne suis pas encore mort.

Tu sais, le temps est long pour un dragon et en général les visiteurs sont là, soit pour me voler, soit pour me tuer. Ils ne me font pas la conversation.

Je vois, répondit le jeune chevalier.

Je vais te faire une promesse, la prochaine fois que tu viendras, si tu as encore échoué, je te croque.

Vous feriez ça ?

Que ne pourrait-on faire pour un ami ? En échange, je veux deux choses...

Oui ?

Préviens ton suzerain que ma grotte est peu protégée et qu’il y a beaucoup d’or, et dis-moi... comment va ton épouse ?

Elle va bien, elle attend notre première enfant, j’espère que ce sera un fils.

J’espère qu’il sera un grand chevalier.

J’espère que non, en tout cas, pas comme son père.

Le chevalier partit sur ces paroles, un peu troublé je crois. Il revint presque deux ans après :

Tu n’es pas en armure...

Non pas cette fois, je viens te donner des nouvelles et te présenter mon fils.

Je vois, et notre combat ?

Ce sera pour la prochaine fois je t’ai même amené un mouton pour que nous soupions ensemble.

Délicate attention et sinon que deviens-tu ?

J’ai remplacé mon suzerain à la tête du comté depuis que vous l’avez occis. J’ai remporté le tournoi, il faut dire que grâce à votre or, j’avais un meilleur équipement et la plupart des chevaliers qui m’auraient barré la route sont morts sous vos griffes. Je vous dois ma situation. 

Le chevalier est ensuite revenu plusieurs fois, repoussant sans cesse notre combat final, j’étais de la famille désormais.

Il vient désormais avec son fils qui a trente ans. Il m’a promis mon combat final, mais je pense que ce sera une victoire à la Pyrrhus et que nous tomberons tous deux aux champs d’honneur.

 

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