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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Les Korrigans

Frère Jaouen

Par Frères Jaouen (30/04/1944) (27/11/2015)

D'abord, le roi présenta son peuple :

Les korrigans sont des êtres du peuple de fées affiliés à la terre. Nous gardons les trésors enfouis dans le sol, nous protégeons les passages enchantés, et les Sidhes1. Nous aimons le contact avec les humains mais nous sommes sensibles à leurs actions, ainsi, quelqu’un qui sera perdu dans notre forêt, qui nous régalera de pâtisseries ou de douce musique, nous lui offrirons un souhait. Mais, inversement, gare à celui qui viendrait pour voler notre trésor ou qui chercherait à acquérir des pouvoirs avec de mauvaises attentions.

Et l'histoire fut racontée :

Il était une fois en pays malouin deux frères, enfin, pour être exact, deux demi-frères de onze ans : Erwan et Baudoin.

Le père d’Erwan s’était remarié à la mort de son épouse avec une bourgeoise de Grandville, ce qui avait été remarqué au village, car cette marâtre détestait Erwan et favorisait à chaque fois son fils Baudoin. Au service de la famille, était la vieille Guénolé, servante aimante et douce de toujours, que la belle-mère nouvellement arrivée, finit par renvoyer.

Seul, sans la douce Guénolé à ses côtés, Erwan était de plus en plus mélancolique, et son père... ne voyait rien. Il finissait par être privé de tout et par grignoter à la table des domestiques, alors que Baudoin s'empiffrait à la table des maîtres.

Un jour, alors que l’orage annonçait, sa belle mère armée d’une badine lui ordonna d’aller lui chercher un remède pour sa jambe chez un herboriste dans le village d’à côté :

Mais il va pleuvoir et la nuit va tomber ! C’est loin, ne puis-je y aller demain ? s'écria Erwan.

Et en plus tu voudrais que j’aie mal cette nuit ? Veux-tu bien filer, vilain garçon, ou je vais te chauffer les reins ! couina d'un ton venimeux la marâtre, tout en giflant l'air de son doigt osseux.

Baudoin n’y va pas ? tenta encore Erwan, mais avec peu d'espoir.

Non, Baudoin a eu le prix d’excellence à l’école et il doit se reposer.

Moi, quand pourrais-je retourner à l'école ?

Les sots comme toi n’ont pas besoin d’aller à l’école ! cracha méchamment la belle-mère en posant les mais sur ses larges hanches.

J’avais le prix d’excellence moi aussi... avant, murmura Erwan plus pour lui-même et en baissant la tête d'un air attristé.

Avant quoi ? File rapidement et ne tarde pas !

Erwan prit le papier que la marâtre lui tendait et partit sous un ciel gris en direction de la forêt. Il traversa le village où tout le monde lui montra de la sympathie. Il n’y avait que son père qui était aveugle à la détresse de son fils. L’instituteur avait été furieux qu’on lui retire son meilleur élève pour en faire un domestique. Le père tout à son chagrin d’avoir perdu son épouse de maladie avait fui le village laissant son fils à la vieille Guénolé. Il était revenu avec cette femme que tout le village trouvait hautaine, qui dilapidait la fortune du brave homme pour envoyer son sale rejeton en pension. Les villageois furent contents tout de même de cette dernière décision, car ainsi, le vaurien ne traînerait plus dans le village à tirer les sonnettes et à attacher des casseroles à la queue des chats.

Comme de toujours si l’un ou l’autre des habitants venait se plaindre c’est Erwan qui était fouetté. Cependant, Erwan avait de nombreux sympathisants dans le village, surtout depuis le départ de la vieille Guénolé de la maison, et à peine eut-il quitté le village, qu’un paysan l’interpella :

Où vas-tu donc par ce froid ? La nuit va tomber !

Je dois me rendre chez l’apothicaire de l’autre côté de la forêt.

Ti dieu, il va faire nuit et le temps se gâte ! Ta mère est point folle ?

Ce n’est pas ma mère, se rembrunit Erwan.

Je le savons bien, elle était douce la Solène et ne magnait point le martinet. Je vais t’emmener, au moins pour l’aller.

Je ne veux pas vous déranger.

Tu m’as bien aidé à la récolte des navets, je piot bien faire ça, tu seras rendu plus vite.

Erwan remercia le brave homme en espérant qu’il ne passerait pas le chemin à lui parler de sa défunte mère. Les larmes montaient vite quand on lui parlait d’elle.

Le trajet fut court et silencieux, le brave homme s’autorisa à siffloter une douce comptine du pays malouin qu’Erwan finit par reprendre et chanter.

Quand ils arrivèrent devant la grande maison de l’apothicaire, la nuit commençait étendait déjà sur les terres son lourd manteau sombre.

Tio veux que je t’attende mon ptio ?

Merci, mais je risque d’en avoir pour un moment, et je trouverai quelqu’un pour le retour.

Gast ! Courage ti gars, ton père finira par retrouver la vue.

Bonne soirée.

Erwan sonna à la porte de l’apothicaire. La bonne en habit du pays ressemblant à la célèbre Bécassine vint lui ouvrir :

Il est tard, c’est pour ?

Je viens chercher le remède pour madame Sapritch.

Revenez demain.

Mais elle l’attend et je vais me faire gronder, s’il vous plaît ! implora Erwan.

Il y a l’étable pour vous protéger de la pluie.

L’apothicaire vint voir qui pouvait le déranger à cette heure tardive et pourquoi sa bonne fulminait ainsi. Quand il vit le jeune Erwan il passa la porte et poussa sa domestique vers l’intérieur. Il avait sa serviette autour du coup et devait dîner. Erwan rougit de honte à le déranger.

Le fils de Solène, comment vas-tu ?

Pas trop mal, j’ai juste un peu froid et je dois ramener le remède pour madame avant qu’elle ne se couche.

Ah oui sa jambe, elle ferait mieux d’arrêter de s’écouter geindre et de faire les exercices que lui donne le docteur, je crois qu’elle est devenue accroc à la paresse. Entre au chaud, je vais te donner ça.

Je ne voudrais pas vous déranger.

Pour toi, tu ne me déranges pas, et Louane va te préparer à manger pour le retour. J’imagine que tu n’as pas dîné et que tu ne dîneras pas.

J’ai manqué l’heure.

Au vu de ton poids, tu dois la manquer souvent... l’heure ! grommela l'apothicaire avec une vive pensée meurtrière pour la belle-mère de l'enfant.

Erwan préféra ne pas répondre.

Et l’école, toujours premier ?

Je n’y vais plus, Madame m’y a enlevé.

Quelle sotte cette femme, remarque, venant d’un pays de dégénérés, c’est assez normal.

Y a de braves hommes aussi.

Je ne dis pas le contraire, ce sont les femmes, et surtout celles qui ont pris le goût du luxe, qui sont à craindre. Ta marâtre, son premier mari était armateur, son vaisseau à couler et ruiné il s’est pendu.

Je n’ai pas su, dit Erwan en masquant poliment sa surprise.

Ton père ne te l’a pas dit. Le brave homme, il pense que tout le monde l’ignore au village, que la dame peut faire oublier son passé, mais c’est à cause de ses dépenses que l’homme a dû faire sortir ses marins pendant la mauvaise saison. Tiens, voilà son remède, je l’ai sous-dosé, cela la décidera, je l’espère, à se soigner. Tiens, je t’ai mis de la pommade en cas de blessures, elle est à base de sauge, de menthe et d'eucalyptus.

Je n’ai point d’argent, fit Erwan en tapotant ses poches.

C’est cadeau ptit gars. Espérons que les beaux jours arrivent.

J’espère déjà ne pas me retrouver sous l’orage.

Oui, file vite, et essaye d’atteindre la forêt avant la pluie. Après tu seras couvert par les branches.

Au revoir monsieur, et merci ! Désolé pour votre repas.

Au revoir et y a pas de mal, passe le bonjour à ton père.

La bonne, Louane, vint tendre un sac de victuailles, du jambon séché, du pain, un peu de vieux fromage et un cruchon de cidre. Erwan la remercia, l'emporta avec un grand sourire et mangea en marchant, pressé d’arriver à la forêt.

Une fois sous le couvert des arbres il ralentit un peu le pas. Il mettrait deux bonnes heures à rentrer et serait sans doute puni pour son retard. Sa vie était ainsi. Baudoin aimait sans doute son père comme lui aimait sa mère, et maintenant, chacun était avec un parent qui n’était pas le sien. Bon, c’est vrai que Baudoin était mieux choyé que lui-même.

Soudain, alors que l’orage se mettait à gronder, Erwan entendit un bruit effroyable. Il se dirigea vers la cacophonie et découvrit une clairière. De petits êtres aux oreilles pointues jouaient d’instruments divers. Ils essayaient surtout d’en jouer, et le résultat n’était pas du tout harmonieux. Les êtres repérèrent le jeune garçon qui prit peur et tomba à la renverse. Dans le même temps, Erwan pria que la bouteille du remède ne fut pas brisée. Il ne s’inquiéta pas pour sa vie, même quand le chef des korrigans pointa vers sa poitrine son index griffu :

Un humain dans notre foret, de ce côté du monde !

Ne me mangez pas ! lança Erwan soudainement apeuré.

Pourtant c’est tendre l’humain et je vois des orteils forts savoureux.

Pitié, je fus attiré par le bruit !

Notre musique, du bruit ? Et toi, peux-tu mieux faire ?

Je connais une chanson de Bretagne que ma mère chantait.

Soit, chante, si le chant nous ravit, tu seras sauvé, sinon tu seras… mangé.

On fit venir Erwan sur un demi-tonneau renversé au centre de la clairière. L’enfant commença sont chant d’abord hésitant et effrayé, mais il prit courage et chanta de sa belle voix. Le silence se fit souverain dans toute la clairière pour l’entendre.

Les korrigans étaient subjugués. Ils ne grinçaient plus des dents, ne salivaient plus à l’idée de le manger, ils avaient rangé leurs poignards à la ceinture. Et quand Erwan finit son chant... tous l’applaudir bruyamment.

Tu nous as régalés, que veux-tu ?

Je veux retourner à l’école, répondit Erwan.

Est-ce là ton seul souhait, ne veux-tu point de l’or, du pouvoir ?

J’aurai tout cela avec une bonne instruction. Mais je dois partir et rentrer chez moi, car je suis en retard.

Le monde où tu te trouves n’a pas le même temps que le tien. Je vais te déposer près de ton village avant que nous nous rencontrions.

Au revoir.

Le roi des Korrigans avait renvoyé Erwan dans son monde, prés du village, quasiment au moment où l’enfant avait quitté l’apothicaire. Erwan prit le temps de rentrer et arriva pour le dîner. Il posa le remède sur la table et il s’assit. La marâtre, étonnée de le voir si tôt, et presque déçue, l'invectiva hargneusement :

Tu as fait vite !

Oui, le vieux Yann passait sur le chemin, j’ai fait la route avec lui. Et se tournant vers son père, Monsieur Arthur vous salut père.

Oui, oui, répondit distraitement ce dernier, ne levant point le nez de son journal.

Il est interdit d’appeler les gens par leur prénom, le gronda la marâtre avec un mauvais sourire, tu seras privé de dîner, cela te servira de leçon jeune homme.

Pardon madame, répondit un Erwan faussement contrit, se moquant de ce dîner de brocoli alors qu’il avait déjà pris un copieux repas de produits bretons.

Tu vas devoir retourner à l’école Erwan, fit la voix de son père.

Mon cher ami nous étions d’accord pour l’en retirer ! s'offusqua la belle-mère.

Je sais ma douce mais je lis le journal et les jeunes gens de moins de seize ans sont obligés d’aller en classe. Cela a été voté la nuit dernière par nos députés.

La peste soit de ceux-là ! grinça la belle-mère, le feu aux joues, rouge de colère.

Je verrai l’instituteur du village, mais l’an prochain il faudra l’inscrire comme Baudoin au collège, insista le père d'Erwan.

L'enfant rayonnait. Il était toujours aussi heureux quand Baudoin vint le voir le soir même et commença à le frapper.

Si tu viens dans mon collège, je te ferai la peau, je suis connu là-bas personne ne doit savoir qu’un paysan habite chez moi !

Fais excuse, tu habites chez moi, le remit à sa place Erwan.

Je vais te tuer si tu ne me dis pas comment tu es revenu si vite !

Les korrigans de la forêt m’ont aidé, j’ai chanté pour eux et ils ont exaucé mon souhait.

Mensonges ! Ce sont des légendes !

Et sinon comment serais-je revenu si tôt avec le remède ?

Baudoin réfléchit un instant et finit par casser le nez de son demi-frère. La marâtre exigea une punition exemplaire contre Erwan. Le remède de l’apothicaire fit merveille mais ne supprima ni l’injustice ni la vexation.

Un mois passa, Erwan fut ravi de retourner à l’école et aidé de l’instituteur il rattrapa sont retard. Le père réengagea la vieille Guénolé, car Erwan, avec l’école, ne pouvait avoir autant de corvées. Baudoin et sa mère allaient avoir moins de pouvoir dans la maison et le jeune normand finit même par faire connaissance avec le martinet. Le pauvre chéri de sa mère en fut si retourné, qu’il dut garder le lit une semaine.

Un soir, la marâtre demanda à Erwan, une nouvelle fois, d’aller chercher son remède :

Je ne peux, j’ai mes devoirs à faire, envoyez Baudoin, il a dormi toute la semaine.

Oui mère je vais y aller ! s'exclama Baudoin à la grande surprise de la marâtre, mais pas à celle d'Erwan, qui savait ce que Baudoin avait derrière la tête.

Merci mon petit, et toi Erwan, dans le bureau de votre père ! Je vais vous apprendre à me répondre et à être insolent !

Le jeune Baudoin n’avait pas l’habitude de la marche et l’heure du dîner était passée quand il arriva chez l’apothicaire. La bonne l’envoya sans souper dans l’étable et quand il l’invectiva, elle le chassa de l’endroit et il dut se replier dans la forêt pour trouver un coin pour la nuit.

Il fut réveillé par le bruit des Korrigans et il alla hardiment à leur rencontre, enfin, il allait être riche :

Si je chante pour vous, me donnerez-vous de l’or ? fit-il tout de go et effrontément.

Oui, répondit le roi des korrigans, régale-nous, et nous te couvrirons d’or. Si ce n'est pas le cas... nous te mangerons.

Baudoin fut amené au centre de la clairière et il tenta de chanter mais il n’avait pas le talent de son demi-frère et quand il eut fini aucun des korrigans ne l’applaudit.

Bien que veux-tu ? dit tout de même le roi.

Je veux de l’or, beaucoup d’or !

Vole un sac et il se remplira d’or pendant un an.

Un an seulement ?

Tu reviendras dans un an, et je te donnerai un nouveau sac, ce sont les lois des fées.

Bien, je reviendrai l’année prochaine ! cria Baudoin par-dessus son épaule alors qu'il s'en allait, tout en se frottant les mains.

Le garnement n’arriva qu’au matin et sa mère lui fit passé le goût de rester toute la nuit dehors et de revenir sans remède. Cependant, elle se calma quand il lui montra l’or. Le lendemain, elle demandait le divorce et quittait son mari dépité.

La mère fut arrêtée par la police car l’or était faux. Les korrigans savent reconnaître un vrai chanteur et le couvrent de vrais présents. Celui qui chante faux... reçoit les cadeaux qu’il mérite.

Baudoin finit ses jours à Belle île, un endroit peu recommandable pour les jeunes garçons. Quant à Erwan, il retrouva son père qui finit par ressortir au village, poussé par son fils, et il épousa en troisième noces une jeune rennaise, fort convenable, qui fit le bonheur des deux hommes.

 

 

1 Sidhes : Ou tertres enchantés est le monde des Dieux.

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