Tombal
L’homme se réveilla à l’approche de la lune. Elle était pleine. Ce soir, il allait pouvoir remplir ces cages, désormais vides.
Il s’appelait Tombal, même si, depuis le pacte, tout le monde l’appelait le Chasseur. Il prépara ses filets, en vérifia les plombs et les posa avec précaution sur la selle de son cheval noir. Il mit son masque et son tricorne. Il vérifia que son sabre était aiguisé et partit dans la nuit. Il se dirigea vers la forêt des hommes garous.
Les jeunes loups n’aimaient guère rester au terrier, quand la lune était pleine. C’était pourtant le moment du mois où ils étaient vulnérables, avec leur forme humaine. Chasseur prenait aussi, dans ses filets, les épouvanteurs, qui fuyaient la dureté du travail dans les champs de maïs ; les jeunes sorcières indisciplinées et les jeunes vampires, par vengeance pour le clan qui l’avait abandonné. Il mit sa cape noire et verte, qui lui permettait de se fondre dans la nuit.
Au début de la nuit, il captura trois jeunes louveteaux imprudents, qu’il remit aux sorcières. Sa proie suivante fut une jeune sorcière, qui avait fui les marais, trouvant l’enseignement de sa tutrice trop pénible.
Il captura ensuite deux frères, deux jeunes loups. Sa dernière prise fut un jeune vampire imprudent. Chasseur se ferait un plaisir de l’humilier, une fois retourné à sa cabane. Il prenait toujours un malin plaisir à faire défiler ses proies sur la route de briques jaunes, avant de rentrer chez lui. Il brisait ainsi toute envie de fuite. Il regrettait parfois le confort du manoir qu’il avait connu enfant, mais une cabane de sorcière avait aussi des avantages. Le premier était de rester invisible pour la plupart des habitants de la forêt. Il attacha le jeune vampire, avec des chaînes, au mur, et mit les trois autres dans des cages. Il s’occupa de son cheval et se fit à manger. La nuit avait été bonne. Les enfants gémissaient, attendant de connaître leur sort.
On frappa à sa porte. C’était un vieil homme hirsute, vêtu d’un simple pagne de jute. Seul le charisme de son visiteur permit au chasseur de deviner qui il était.
— Seigneur Galthédoc, que me vaut une visite dans mon humble demeure ?
— C’est mieux qu’un terrier !
— Mais moins confortable que le château où l’on dit que vous résidez actuellement.
— Je dirige le comté de mon terrier. C’est mon aîné qui est au château. Je n’ai jamais aimé cet endroit.
— Je vous comprends. Ma visite de l’endroit ne m’a valu qu’une marque au fer rouge sur l’épaule, et une sensation de brûlure au postérieur qui dura une bonne semaine.
— Tu as mes deux petits-fils. Ceux-là, c’est mon sang. Je voudrais les récupérer avant que tu les vendes aux femmes.
— Que me proposes-tu ?
— C’est une demande personnelle. Ils vont comprendre leur douleur, ces deux-là !
— Veux-tu que je m’en charge ?
— Non, merci. Ils seront punis par l’un des leurs.
— Comme tu veux. Pour que toi, le seigneur loup, vienne en personne les réclamer, ce doit être des mets de choix. La mère m’en offrira un bon prix, sans nul doute.
— Je vois. Tu ne les lâcheras pas facilement.
— Je suis chasseur et ce sont des proies.
— Mon sang te réchaufferait-il le cœur ?
— Mon cœur s’en contentera.
Le seigneur loup tendit son poignet pour que le vampire y puise un peu de fluide vital.
Une fois que le seigneur de la nuit eut terminé, le seigneur loup lécha sa blessure, qui se referma.
— Pratique !
— Nous avons nos avantages…
Le chasseur agita le poignet en direction des cages. Celle des louveteaux s’ouvrit.
Les deux enfants partirent avec leur grand-père, peu rassurés du terrible sort qui les attendait. Le seigneur loup avait dû s’humilier pour les récupérer. Chasseur prit un livre sur ces étagères et se posa dans son fauteuil.
Au bout d’un moment, on frappa à la porte. C’était Olga, une sorcière de la garde.
— Je viens chercher mon apprentie.
— Combien m’en offres-tu ?
— Notre pacte …
— … prévoit trois loups par lune, que j’ai apportés à Mère, ce soir.
— Tu chipotes, Chasseur. Je pourrais te lancer un sort !
— Pas sans mon vrai nom. Galthédoc vient de sortir d’ici. Son odeur doit encore être là. Il m’a fait une excellente offre.
— Que veux-tu, Chasseur ? C’est une des petites-filles de Mère. C’est une sotte et une paresseuse, mais je ne voudrais pas d’ennui avec notre souveraine.
— Une proie de choix. Ton énergie magique pour un mois.
— Un mois ? Faillit s’étrangler la sorcière, un mois sans pouvoir utiliser de magie ? Tu es fourbe.
— Ne te plains pas, je vous trouverai de meilleures proies, ce mois-ci.
— J’accepte. Mais tu me le paieras.
— Et un gentilhomme comme moi paye toujours ses dettes.
La sorcière transféra son pouvoir dans un bocal et l’enchanta.
— Le pouvoir d’un mois, dans ce flacon.
Le chasseur libéra la jeune fugueuse. Elle le supplia du regard, les larmes coulant sur ses joues, mais le chasseur n’en avait que faire.
Il regarda le jeune vampire.
— Une bonne nuit, et il ne reste que toi. Cela va être plaisant de te torturer avec un pouvoir de sorcière …
— Vous lui avez menti !
— Non, je l’ai dupé. Je ne mens jamais. Le mensonge mène au néant. Je n’ai jamais dit que la proposition du seigneur loup concernait son apprentie. Ce n’est pas ma faute si elle l’a cru.
— Vous avez un échiquier ?
— Oui. Mais, depuis un moment, je n’ai plus personne pour jouer avec moi.
— Je sais jouer. Si on pariait ma libération ?
— Si je perds, je te libère. Mais si je gagne, que proposes-tu ?
— Il est vrai que je n’ai rien à proposer en échange. Mais, au moins, vous aurez un adversaire.
Le chasseur regarda le jeune vampire. Il aimait ceux de sa race. Même capturé, proche de la mort, il gardait un certain charisme.
— Soit, jouons une partie.
L’enfant reçut les blancs et commença par une ouverture classique. Le vampire ouvrit sa tour. Le jeune vampire sortit ses deux cavaliers. Les adversaires se jaugeaient. Le chasseur perdit son fou et sa concentration. Il riposta avant de changer sa tour avec son roi.
Il perdait pied quand, soudain, il vit qu’il pouvait prendre la dame de son adversaire. Trois coups de cavalier et la reine serait hors-jeu. Une lueur de plaisir brilla dans l’œil du vieux vampire.
Au troisième coup, il fit tomber la reine et regarda son adversaire. L’enfant souriait, il jubilait. Le vampire regarda l’échiquier. Tout à sa prise, il n’avait pas fait attention aux coups de son adversaire. Le jeune suceur de sang déplaça son fou.
— Échec et mat !
Le chasseur regarda l’échiquier et put constater que la partie était perdue. Il essaya de comprendre, de remonter la partie. L’enfant n’avait jamais laissé une seule de ses pièces périr sans raison.
— Je suis libre n’est-ce pas ?
— Oui, tu peux t’en aller, répondit Chasseur dépité.
L’enfant sortit de la cabane. Chasseur resta inerte.
Au bout d’un moment, il vit que le pot enchanté avait disparu. Il entra dans une rage folle, se promettant de retrouver le voleur. Malheureusement pour Chasseur, le vampire joueur d’échec ne croisa plus jamais sa route.
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