Mathias et le harceleur
Le jeune Mathias dormait à poings fermés quand sa mère le réveilla. L’enfant encore dans son sommeil remarqua que sa mère avait pleuré.
— Va te débarbouiller et habille-toi, lui demanda-t-elle.
L’enfant s’exécuta se demandant ce qui pouvait bien se passer.
Une fois habillé, il mit ses bottes et son blouson et suivit sa mère dans la voiture.
— Nous allons à l’hôpital, ton copain Vincent a réclamé ta présence.
— Vincent ce n’est pas mon copain, répondit brutalement jeune garçon. L’an passé, il n’a fait que se moquer de moi, il me tirait mon slip ou me baissait mon pantalon pendant la récréation. Il n’arrêtait pas de m’embêter. J’ai bien été content de ne pas le voir à la rentrée.
— Si tu ne l’as pas vu, déclara sa mère tout en conduisant malgré ses larmes. C’est qu’il était à l’hôpital. Il a une maladie très grave.
— Nous allons le voir.
— Oui, je t’y emmène, c’est important pour lui mais c’est surtout important pour toi.
— Pourquoi ne pas y aller demain matin ?
— Il n’y aura peut-être pas de demain matin pour lui.
Le jeune garçon encaissa la nouvelle. Son harceleur n’était pas revenu à l’école car il était atteint d’une maladie grave, sa mère avait reçu un coup de téléphone dans la nuit l’informant de l’urgence de la situation.
Sur son lit d’hôpital, le dénommé Vincent n’avait pas demandé à recevoir ses copains mais lui. Pourquoi un enfant qui ne serait peut-être pas là le lendemain matin demandait à voir celui qu’il avait harcelé pendant toute une année ?
L’hôpital de nuit était très silencieux, une dame qui devait être la mère de Vincent les attendait dehors avec une infirmière. Ils montèrent dans un silence pesant jusqu’à l’étage pédiatrique sans faire le moindre bruit.
À cette heure tardive, les visites étaient en théorie interdites. Tout le monde rentra dans la chambre du jeune Vincent. Ce dernier était en pyjama dans son lit, pâle, il avait une aide à la respiration dans le nez et des fils branchés à sa poitrine et à une machine qui dévoilait les faibles battements de son cœur. L’infirmière sortit et les deux mères se mirent dans un coin de la pièce.
— Laissons les deux enfants discuter, déclara la mère de Vincent proposant à celle de Mathias une chaise à côté d’elle.
— Salut vieux, déclara faiblement le jeune Vincent. Merci d’être venu. Je sais que je ne le mérite pas. Il faut que je demande pardon. C’est à toi que je dois le demander le plus.
— Salut, je suis désolé.
— Mathias, je te demande humblement pardon et je te prie de m’excuser.
Le jeune garçon avait souvent entendu ses excuses, principalement dans le bureau de la directrice de l’école, mais pour la première fois, il ressentit la sincérité des propos de son camarade. De vraies excuses, pas celles imposées par les adultes. Il prit la main droite de son ami dans les siennes, le regardant droit dans les yeux et déclara :
— J’accepte tes excuses et je te pardonne.
— Un barde est venu nous raconter des histoires. Il m’a donné un cristal qui te permet de voyager dans tes rêves. Je ne vais pas en avoir besoin, je te le donne.
Le jeune malade prit un cristal sur sa table de chevet et le remit à Mathias.
— Merci, bredouilla le jeune garçon complètement dépassé par les événements.
— Je vais me reposer maintenant, merci à toi d’être venu. Adieu Mathias.
Sans trop savoir pourquoi, le jeune garçon se pencha vers son ami et lui donna une bise sur le front. Ensuite, sa mère le tenant par les épaules le dirigea vers la sortie.
— Merci d’être venus, merci pour lui, déclara la mère de Vincent en larmes.
— Tenez-nous au courant, nous serons là.
Les deux mères se regardèrent dans les yeux. Mathias et sa mère quittèrent la chambre.
Vincent était parti peu avant l’aube. La semaine suivante avait été chargée en événements et en émotions. Le samedi soir, Mathias retrouva le cristal dans la poche de son pantalon. Il le regarda un long moment.
Puis sans savoir pourquoi le glissa sur son oreiller. Il s’était endormi en pensant à son camarade et quand il se réveilla, il était dans un lieu étrange. Les murs semblaient délabrés mais les meubles neufs. Il vit devant lui une créature qui ressemblait aux fantômes des livres mais le drap était noir et une capuche cachait son visage.
— Bonjour, vous venez pour une aventure, c’est bien ça ?
— Je suppose, j’ai mis un cristal sur mon oreiller.
— Comment t’appelles-tu ? demanda l’entité.
— Je m’appelle Mathias.
Sans savoir pourquoi, le jeune garçon eut l’impression que l’entité avait souri en entendant son nom.
— Où sommes-nous ? Demanda le jeune garçon.
— Nous sommes dans la maison hantée, c’est dans ce lieu que vivent les cauchemars quand ils ne partent pas sur Terre pour effrayer les gens.
— Alors les terribles rêves viennent d’ici.
— Oui, c’est cela. Pas loin tu as une usine, là des pierres de souvenirs sont mélangées pour fabriquer un cauchemar. Puis nous les apportons au destinataire pendant son sommeil.
— Tu es donc un porteur de cauchemars. Comment t’appelles-tu ? demanda le jeune garçon.
— Nous n’avons plus de nom. Quand nous arrivons ici, nous perdons notre nom et nos souvenirs. C’est ainsi pour les ouvriers de l’usine, les spectres noirs et pourpres et nous les cauchemars. Allons-y, je dois t’emmener pour ton aventure. Le troll Urbain t’a concocté une chasse au trésor. Pour la première étape, nous allons nous rendre dans les champs de maïs des sorcières. Suis-moi.
Mathias se décida à suivre l’étrange créature qu’il avait envie de surnommer Gollum. Il savait qu’il ne risquait rien, c’était juste une aventure qu’il allait vivre pendant l’un de ses rêves.
Dehors c’était la nuit, en suivant son nouveau compagnon Mathias découvrit le cimetière, froid, silencieux et vide.
Au loin il aperçut la sinistre usine survolée par une nuée de spectres. Ils continuèrent leur chemin passant par un village fantôme aux maisons en ruines mais à la potence toute neuve.
À côté d’elle se trouvait une grande cage en fer qui devait servir à loger des prisonniers en attente de leur exécution.
Ce jour-là, elle était vide. Le voyage continua, ils traversèrent la forêt des hommes-garou. Ils furent salués par une vieille dame sur le porche de sa maison. Mathias ne put retenir un cri d’étonnement quand il vit la maison se soulever et repartir dans la forêt sur des pattes de poulet.
Au bout d’un moment, ils aperçurent au loin le pont du troll et son visage souriant et à gauche un marais brumeux où l’on pouvait deviner des petites cabanes devant lesquels se trouvait une lanterne à la lumière verte.
Ils tournèrent à droite à travers un chemin bordé par des champs de maïs. Ils arrivèrent ensuite devant un labyrinthe végétal surveillé par deux enfants à la tête de citrouille mais avec un grand sourire. Leur tête rappelait à Mathias les fameuses emoji. Gollum tendit un parchemin à l’un des gardes. Ce dernier le lut puis s’adressant à Mathias lui déclara :
— Tu as cinq chefs de clans ici. Chacun te posera une énigme. Si tu réussis tu trouveras le trésor. Si tu échoues à une seule énigme, alors tu reviendras ici et ton aventure sera terminée. As-tu compris ?
— Oui, j’ai compris, répondit Mathias.
Accompagné de Gollum, le jeune garçon entra dans le labyrinthe, après un court instant il découvrit une jeune femme, pieds nus, portant une robe rapiécée et sale et les cheveux dépeignés portant quelques feuilles et brindilles.
— Je suis Khèty, petite fille de Mama Yaga, je suis la mère des sorcières. Leur reine, si tu préfères. Voici mon énigme, quel fromage doit-on servir en premier ?
— Facile, c’est l’edam car c’est toujours les dames d’abord.
— Mes félicitations, tu peux continuer jusqu’au prochain chef de clans.
Les enfants saluèrent la sorcière qui partit sur son balai.
Ils continuèrent leur exploration du labyrinthe et durent revenir plusieurs fois sur leurs pas.
Au bout de plusieurs essais, ils découvrirent une petite fille qui ressemblait beaucoup à Khèty. Le jeune garçon remarqua tout de même l’extrême pilosité des pieds de la jeune fille.
— Je suis Mertille, apprentie sorcière et princesse de la meute de la lune d’argent. Loukhi mon père a dû partir à la chasse. Voici son énigme. Ce loup vit dans l’eau et pourtant jamais il ne se noie, pourquoi ?
— Parce que c’est un le nom d’un poisson, déclara le jeune garçon au bout d’un moment.
— Félicitations, je te souhaite bonne chance pour le reste de ton aventure. Moi je retourne à l’école.
La jeune fille se changea en loup et partit à travers le maïs.
— Vu que la jeune fille qui se change en loup est partie à travers le maïs et que tu ressembles à un fantôme, tu ne pourrais pas nous trouver plus facilement le chemin ? demanda Mathias.
— Ce serait tricher, et puis pense à celui qui t’a offert ce cristal. Il ne voudrait pas que tu raccourcisses ton aventure.
— Comment sais-tu qu’on me l’a offert ? demanda Mathias intrigué.
— Un cristal s’offre, il ne s’achète jamais, répondit vaguement le jeune cauchemar.
Les enfants continuèrent pendant une bonne heure avant de trouver un jeune vampire à la chevelure longue blonde et bouclée. Ses vêtements de luxe d’une propreté impeccable contrastaient énormément avec les habits des deux sorcières.
— Je suis Stanislas, prince des vampires. Écoutez bien mon énigme. Toujours par deux, les deux compères sont pleins de jour et vides la nuit.
Le jeune garçon réfléchit un moment regardant son compagnon en espérant de l’aide.
— Je crois que j’ai trouvé ! Cria-t-il au bout d’un moment. Ce sont les chaussons.
— C’est une bonne réponse, je porte toujours les miens dans mes sabots. Je vous souhaite bien bonne chance pour la suite de votre périple.
Le prince se changea en chauve-souris et disparut au loin.
— Combien reste-t-il ? demanda Mathias inquiet.
— Je ne sais pas, nous avons vu Mama Yaga sur le chemin, elle ne doit donc pas participer. Urbain qui a imaginé ces épreuves doit être dans sa tour pour nous regarder. Il reste donc Colin le gardien de l’ombre et mon chef de clan puis sans doute sa mère notre souveraine. Tu veux quitter l’aventure ?
— Non j’y ai pris goût, mais la dernière énigme était vraiment difficile. J’espère pouvoir répondre aux deux suivantes.
La prochaine personne qu’ils croisèrent fut un jeune garçon de 14 ans habillé d’un costume noir et doré et portant une cape noire à l’intérieur violet. Gollum fit signe au jeune garçon de mettre un genou à terre.
— Je suis Colin, seigneur des spectres, prince des cauchemars, le père noir et gardien de l’ombre. Voici mon énigme combien de mois ont 28 jours.
Alors que Mathias allait répondre, le jeune cauchemar répondit rapidement :
— 12, tous les mois ont au moins 28 jours.
— C’est une bonne réponse. Par contre ce n’était pas à toi de la donner. Je pense que le gardien de la dernière énigme en tiendra compte. Je vous laisse continuer, déclara Colin.
On sentait la colère dans la voix du jeune gardien de l’ombre.
Les deux aventuriers poursuivirent leur chemin.
— Merci, j’aurais répondu un et je me serais fait avoir, déclara Mathias.
— Je l’ai lu dans ton regard.
Après deux bonnes heures de recherche et de détours, les deux compagnons se retrouvèrent face à la souveraine du comté des cauchemars. Sans que son ami ait besoin de lui dire, Mathias mit un genou à terre.
— Mon jeune ami, un cauchemar n’est pas là pour aider les enfants. Tu apprendras à l’école que ton rôle est de les effrayer. Comme c’est ta première aventure, je vais passer l’éponge. Voici mon énigme. Peux-tu me donner le prénom du jeune cauchemar ?
— Comment le saurais-je votre majesté ? répondit Mathias paniqué.
— Je t’invite à réfléchir, notre ami t’a laissé quelques indices pour que tu trouves son prénom.
Mathias tenta de se souvenir de toutes les paroles qu’il avait échangées avec le jeune esprit depuis son arrivée dans le royaume des deux Comtés.
Soudain une réponse lui parut logique et effrayante.
— C’est Vincent. Son vrai prénom, c’est Vincent.
— C’est ainsi. En fonction de leur vie sur terre, certains deviendront des cauchemars, d’autres des spectres et ceux qui ont laissé des regrets sur Terre serviront à l’usine des cauchemars. Voici mon cadeau, pendant une période de 10 années, tu pourras venir ici vivre des aventures dans tes rêves sans utiliser le moindre cristal. Aucun des cauchemars du royaume ne viendra te visiter pendant ton sommeil. Ainsi en ai-je décidé.
— Merci madame, c’est un très beau cadeau. Puis-je vous demander une dernière faveur ?
— Je sais déjà ce que tu vas me demander. Je t’accorde cinq minutes avec Vincent avant ton réveil.
Les deux compagnons remercièrent en cœur. Vincent baissa sa capuche laissant apercevoir son visage blafard orné d’un grand sourire. La fée s’éclipsa ne laissant aucun témoin de leur discussion.
Mathias se réveilla ensuite espérant pouvoir revivre des centaines d’aventures avec son nouvel ami lors de ses prochains rêves.
—
Mestr Tom © Creative Commons BY SA