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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Le poulet

Le poulet

 

Artowen était un jeune mage de la cour des fins heureuses. Il étudiait à l’université du palais, auprès du Prince Big.

 

Ce matin, il avait rendez-vous avec le prince. Il prit un bain puis passa une robe neuve qu’il avait achetée pour l’occasion. Elle lui avait coûté trois mois de corvées supplémentaires, à récurer les toilettes et passer le balai dans les couloirs. Les autres élèves, qui avaient des parents plus riches, se moquaient de lui et de ses robes d’occasion, pleines de trous et de pièces de raccommodage. Il achetait, au marché, des dragons, des licornes, des étoiles : ce que l’on met normalement au niveau du genou sur les pantalons troués des enfants. Sa nouvelle tenue était une élégante robe de velours bleu moiré, avec des poches pour les potions et une poche spéciale pour la baguette.

 

Le jeune mage se peigna. Il regarda le résultat dans le miroir. Il ferait honneur à son village, où tous les habitants avaient renoncé à leurs plaisirs pendant trois ans, pour lui payer ses études et avoir enfin un mage rien qu’à eux. Cela faisait 5 ans qu’Artowen était parti. Il avait déjà échoué deux fois à l’examen qui ferait de lui un mage renommé. Il était nerveux son examen approchait et il espérait que le prince Big n’allait pas le renvoyer avant.

 

Il alla attendre dans le vestibule avant le bureau du prince. De jolis fauteuils de velours bleu et vert permettaient aux visiteurs de s’asseoir pour attendre. Il y avait un portrait de Big accroché au mur. Il avait l’air sérieux et triste sur ce portrait. On aurait presque pensé qu’il s’agissait de Bang, son frère jumeau. Le jeune mage n’eut pas à attendre : à peine rentré dans le vestibule, Big lui ouvrit la porte de son bureau.

— Asseyez-vous, Artowen.

 

Cela commençait mal pour le jeune mage. En plus, le fait que le prince, malgré son grand âge, ait gardé son apparence d’enfant n’aidait pas à garder son sérieux. Se faire remonter les bretelles par un vieillard à barbe blanche était normal, mais par un enfant en culottes courtes ...

— Votre chef de village m’a envoyé une lettre. Il souhaitait savoir si les habitants devaient s’endetter une année encore où si vous arriviez pour sauver le village.

— Mon examen approche …

— Et vous n’êtes pas prêt ! Vous mélangez encore les sorts d’attaque et ceux de transformation.

— La langue des mages est complexe. Un changement de lettre et c’est la catastrophe !

— Et, avec vous, c’est souvent la catastrophe ! Je ne vais pas vous faire passer une troisième fois l’examen. Les examinateurs n’y survivraient pas. Je vous envoie en mission : si vous réussissez, vous serez le mage de votre village.

— Et si j’échoue ?

— J’enverrais le mage le moins bon de la promo après vous. Votre village mérite un mage, vu leurs efforts.

— Et pour moi ?

— Vous serez mort, sans doute.

Artowen déglutit.

— Il y a eu plusieurs cas de disparitions dans la forêt du nord. Vous devrez y aller et découvrir pourquoi les gens qui y vont ne reviennent pas.

Sans doute une invention de votre frère ...

— Je me doute ! Mais, le souci, c’est qu’elle attire les aventuriers et, maintenant, certains enfants. Des mauvais élèves qui avaient l’habitude de sécher l’école. Ce n’est guère bien mais, maintenant, c’est mortel pour eux.

— Sommes-nous sûrs qu’ils soient morts ?

— Des enfants humains ont peu de chance de survivre dans le comté de mon frère.

— Les jeunes mages aussi ...

— Sauf s’ils veulent leur examen ! Allez, partez tout de suite pour un peu de travaux pratiques.

Artowen salua et partit pour le comté de Bang.

 

Il prit la route de briques jaunes jusqu’à un pont de bois branlant qu’il traversa. Il vit alors des champs de maïs à perte de vue. C’était ceux des sorcières. Les agriculteurs du comté des fins heureuses auraient bien voulu savoir comment elles faisaient pour avoir trois récoltes par an. Une fois passé cette région plutôt calme, Artowen quitta la route et prit vers le nord. C’est ici que les ennuis commencèrent.

 

Il croisa une patrouille de trolls qui, visiblement, avaient très faim. Il tenta un sort d’invisibilité mais se transforma en lapin. Si les trolls, surtout ceux des marais, ne brillent pas par leur cerveau, ils ont un odorat très développé. Le jeune mage fut pris en chasse. Les trolls se mirent à hurler et à le poursuivre, et il ne dut son salut qu’à un terrier.

— C’rHek, on l’enfume ?

— Bof, c’est un lapin ! Il y a pas assez pour trois, on va pas perd’e not’e temps là-dessus. Et quand c’est nerveux, c’est t’op filand’eux.

Les trolls s’en allèrent au loin.

 

Quand le jeune mage fut sûr qu’il n’y avait plus de danger, il sortit de sa cachette. C’était le terrier d’un blaireau qui, furieux, essaya de l’attaquer. L’enchantement étant fini, Artowen redevint humain, ce qui fit peur au pauvre animal. Le mage vit que sa robe n’était plus si propre et que des trous commençaient à apparaitre. Il souffla de découragement.

 

Il commença à guetter une voix d’enfant ou de chevalier, bien qu’il ne sache pas bien à quoi pouvait ressembler une voix de chevalier ou une maison de pain d’épice. Il avait lu que c’était le piège favori des sorcières. Tout à ses recherches, il ne sentit pas le sol trembler et tomba sur un ogre. Pour sauver sa vie, le jeune mage n’avait plus le choix : il tenta un sort de pluie de pierres et se transforma en poulet. L’ogre n’avait que faire d’un poulet. Premièrement, c’était trop petit ! Et, ensuite, il ne pouvait se pencher pour l’attraper. Le gallinacé préféra suivre son instinct de survie et s’enfuit au loin.

 

Il trouva enfin deux écoliers qui semblaient attirés par une odeur, au nord. Le mage les suivit. Les deux gamins, qui semblaient tout aussi idiot l’un que l’autre, se vantaient d’avoir trempé les couettes d’une fille dans l’encre, ou d’avoir attaché la queue du chat du maître à une casserole. Artowen les trouva détestables, sales et ignorants. Mais méritaient-ils le sort qu’ils allaient subir ?

 

Il continua de les suivre et arriva devant une petite chaumière, entourée d’une haie de bois blanc, avec une jolie porte rouge et ronde. Point de pain d’épice en vue. Le jeune mage se rassura. Mais il déchanta vite, en remarquant que les planches de bois étaient, en fait, des os. La barrière était constituée de tibias humains.

 

Le poulet monta rapidement sur le tas de bois et regarda par la fenêtre. Une vieille dame offrait des gâteaux et du jus de pomme aux deux enfants. Elle était souriante et prévenante. Son intérieur était coquet. Comment une dame, aussi gentille fut-elle, pouvait laisser des gamins aussi répugnants s’assoir sur des fauteuils en bois rouge ?

 

Artowen regarda la peinture de la porte et s’aperçut que c’était du sang. Il vit ensuite la vieille dame conduire les deux garçons à un miroir qu’ils traversèrent. Le poulet, de panique, cogna de son bec à la fenêtre. La vieille dame le vit et ouvrit.

— Qu’est ce qui y a, mon petit ? Tu te demandes où sont passés ces deux coquins ? Ils sont partis chez C. mon amie : elle va leur apprendre qu’il faut prendre un bain de temps à autre, et que l’école est utile pour éviter de croiser des sorcières comme moi. Elle en fera de meilleurs hommes et ils rentreront chez eux, ensuite. Foi d’Azéline, je te le promets.

 

Artowen ne rêvait pas. La sorcière avait donné son vrai nom. Quand il redeviendrait humain, il pourrait la prendre sous son contrôle, à la condition que ses sortilèges réussissent.

— Ici, tout le monde m’appelle Mama Yaga, chef du clan Yaga. Je me suis retirée ici car le pouvoir ne m’intéresse pas. J’ai de chouettes voisins : les trolls et les ogres m’apportent de quoi décorer ma maison. C’est un ogre qui a peint ma porte avec des bandits et, pour la barrière du jardin, c’est un cadeau des trolls : il y a du bandit, du pirate, du chevalier aussi, sans doute.

Artowen n’en revenait pas. Il était le captif de la première sorcière et celle-ci lui avait révélé son véritable nom. Il allait réussir son examen.

 

— C. vient parfois prendre le thé. Elle est très prévenante avec les enfants. Elle les gronde mais elle les aime beaucoup. Bang, en particulier. Mais je n’aime pas cette sotte de grande fée. Elle pense que, parce que je suis à moitié fée, je dois répondre à ses convocations. Je suis une sorcière avant tout et la pire de toutes, encore.

 

La sorcière versa du grain dans une écuelle et la tendit au poulet. Le mage se força à manger pour donner le change. Il découvrit le quotidien de Mama Yaga. Ses bons jours, où elle était plus que charmante et adorable avec les chevaliers comme avec les enfants. Et les mauvais jours, où les premiers finissaient dans les cachots de l’ogre Mathéo et les seconds dans l’école de la dernière chance de C.

 

Ces jours-là, le mage se réfugiait dehors, sur le tas de bois. Le temps passa mais Artowen ne redevenait pas un homme, il restait un poulet.

 

Un matin, il se sentit mal. Il comprit alors que l'âge qu’il avait, plus sa transformation en poulet, le rapprochait de la vieillesse. Il allait de plus en plus mal et Mama Yaga le sentit. Elle l’enferma dans une petite boite et le prit sous son bras. Le mage pouvait sortir la tête de la boîte. Il se demanda ce qu’il allait lui arriver. Il ne bougeait plus, n’avait pas la force de lutter.

 

Mama ferma sa maison, prit son bâton de marche et commença sa route. Elle passa le pont de bois et se dirigea vers la forêt. Elle croisa des elfes qui la saluèrent, et des gnomes bleus qui lui offrirent du tabac de champignons pour sa pipe. La vieille dame les remercia. Elle arriva devant un chêne et frappa sur l’écorce. Une porte s’ouvrit et elle trouva un palais à l’intérieur, où tout était fait de bois. Une fée vint à sa rencontre.

— Que puis-je pour vous ?

— Je viens voir la grande fée.

— Qui dois-je annoncer ?

— Mama Yaga.

— Elle ne reçoit que les fées !

— Je n’ai pas l’air, comme ça, mais j’en suis une

— Je vois, je reviens.

La jeune fée, affolée, partit vers ce qui semblait être la salle du trône.

 

Une fée, avec deux ailes de cristal immenses, arriva à sa rencontre.

— Mama, je suis heureuse que tu viennes enfin !

— Je suis pas venu redécorer un arc en ciel. C’est mon poulet, il va mourir et c’est mon compagnon. Tu peux faire quelque chose pour lui ? Je t’en supplie !

— Je peux essayer.

Le poulet se nimba d’une aura bleue.

— Ce poulet a été un homme, un mage. Si je le retransforme, il sera devenu vieux. Il vivra peut être cinq ans de plus, dix ans maximum.

— Un mage ? Il devait pas être très bon !

— Le pire élève de Big a disparu, il y a deux ans.

— Ça doit être lui. Si tu le retransformes, il ne vivra pas vieux. Il sait qui je suis, et je ne peux pas le laisser en vie.

— Je vois …

— Je connais le pacte qui vous lie, toi et C. Chacun connaît le nom de l’autre, cela évite la guerre.

— Je pourrais te donner son nom, mais ça ne changerait rien, n’est-ce pas ?

— Non. Mais je l’aime, ce poulet.

Une larme coula sur sa joue.

— Je me doute ! Ta présence au grand chêne n’est pas banale ! Je peux faire quelque chose. Je peux l’attacher à un objet, ta maison, par exemple. Il vivra avec elle.

— Ce sera mieux que rien.

Une deuxième larme roula sur la joue de la vieille sorcière.

— Je vais demander au poulet son avis.

— Très bien.

Artowen entendit, dans son esprit, la voix de la grande fée.

— Madame, les enfants sont envoyés à l’école chez C. Le nom de Mama est …

— Inutile de me le dire ! Veux-tu que je t’accompagne vers la mort, où veux-tu devenir le protecteur des enfants ? Tu les préviendras : quand elle sera sorcière, tu tourneras la maison, et quand elle sera fée, tu ouvriras la porte.

— J’aimerai vivre, mais je serais toujours apprenti mage, et vieux en plus ! Alors que, si j’accepte la transformation j’aiderai vraiment les gens. Alors j’accepte.

— Merci à toi.

La grande fée reprit, de sa voix forte.

— Mama, ton compagnon vivra dans la maison. Vous pourrez continuer à converser.

— Merci ! Pour ce qui est de mon rôle de fée …

— Je sais, tu es l’assistante de C. cela me suffit. Bonne route de retour.

 

Une fois rentrée, Mama posa le poulet au centre de la pièce et le charme opéra. La vieille sorcière toucha le mur et lui dit :

— Alors, comme ça tu étais un mage. Petit coquin. Je sais que tu ne lui a pas dit mon vrai nom. Tu sais que cela entraînerait une guerre et Viviane ne serait pas sûre de la gagner.

 

Mama tira sa pipe, prit le tabac des gnomes et commença à fumée.

Comme elle était dans un bon jour, le poulet ouvrit la porte.

 

Mestr Tom © Creative Commons BY SA

 

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