Le fou qui dort
Le fou qui dort
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Gabriel était puni dans sa chambre. Étant l’ainé de la famille, sa mère estimait qu’il aurait dû faire cesser la bagarre entre ces deux petits frères, au lieu de l’envenimer.
Le jeune garçon avait écopé, en plus, de trois semaines sans jeux vidéo, à cause du coup de poing qu’il avait mis à son jeune frère. Il avait le moral dans les chaussettes : être enfermé pendant une après-midi de vacances, sans son jouet, sans console de jeux, et sans occupation !
Il finit par prendre un livre dans sa bibliothèque. Un de ses amis, maître conteur, lui avait dit qu’on trouvait n’importe quelle solution dans les livres. Le conte en question parlait de trois sœurs qui n’arrêtaient pas de se chamailler. Les deux plus grandes avaient enfermé la plus jeune dans un château.
Au bout de plusieurs pérégrinations, aidée par un lutin bleu, la jeune fille avait trouvé l’amulette du noble cœur qui avait permis de réconcilier les trois sœurs.
Gabriel regarda le plafond de sa chambre, se disant qu’il aimerait bien l’avoir. Le jeune garçon finit par s’endormir et, quand il rouvrit les yeux, il se trouvait au royaume des deux comtés.
Il se rendit au palais des fins heureuses, espérant une audience du roi afin de l’aider à trouver l’amulette. Il entra dans le palais et il fut impressionné par les dorures et les décorations. Chaque fresque représentait un conte pour enfants : ainsi, l’une d’elle racontait l’histoire de Cendrillon, alors que celle d’en face retraçait l’histoire de Blanche Neige. Il croisa un chevalier, tout en armure, avec une immense épée.
Il passa la porte de la salle principale et vit plusieurs chevaliers avec des armures de cuir et de grands arcs.
Il croisa même la princesse Chrysanthème, accompagnée d’un vieil homme en robe de bure bleue parsemée d’étoiles, qu’il devina être le vieux mage, l’enchanteur de la cour du roi. Le souverain, avec sa belle barbe rousse, lisait un manuscrit relié de cuir, assis sur son trône.
À côté de lui se trouvait un homme étrange, habillé en chambellan, mais les couleurs de son costume étaient très criardes et peu communes pour sa profession.
Gabriel fit une révérence et salua.
— Bonjour votre majesté. Toutes mes excuses de vous déranger dans votre lecture, mais je cherche l’amulette du noble cœur afin de faire cesser les bagarres avec mes deux frères.
— Bien le bonjour, créateur. Je vais te confier mon meilleur aventurier pour cette mission, il t’aidera à retrouver l’amulette dans le comté la nuit.
— Un grand merci, votre majesté.
— Ouf, vous avez qu’à accompagner ce jeune homme, il n’y a pas de dîner protocolaire avant un moment. Cela ne devrait pas interrompre vos tâches.
— Bonjour votre majesté. Je n’aiderais pas ce garçon, et nous échouerons à cette mission.
— C’est entendu. Un grand merci, Ouf. Je vous souhaite bonne réussite.
— S’il vous plaît, votre majesté, avec grande souffrance, répondit le curieux personnage.
— Votre majesté, ne croyez-vous pas qu’il faille un chevalier en armure, plus expérimenté, pour aller dans le comté de la nuit ?
— Je vous rassure, jeune Gabriel. Ouf est le messager le plus rapide, et il connaît le comté de la nuit comme sa poche. Vous ne trouverez pas meilleur personne dans ce royaume pour vous aider.
—Tiens ! Votre majesté, je vous remercie.
Gabriel était dubitatif et ne comprenait pas le choix du souverain. Le majordome semblait être fou et dangereux. Mais Gabriel se dit qu’il fallait lui faire confiance et que les contes étaient remplis de vilains petits canards qui se révélaient être de merveilleux cygnes.
Le majordome fit préparer deux chevaux, et Gabriel s’aperçut que, dans ce monde, il savait monter à cheval automatiquement.
Le chemin jusqu’au pont du troll se fit sans encombre.
— Savez-vous où nous devons chercher ? demanda Gabriel.
— Si l’objet est retrouvé, nous avons besoin de chercher.
— Je pense qu’il est surtout perdu. Avons-nous un indice ?
— C’est un fait, je pense qu’il faut aller vers le nord-est pour retrouver un objet perdu au sud-ouest.
— C’est pas faux.
Gabriel se dit qu’il allait devoir comprendre la façon de parler énigmatique de son complice, s’il voulait retrouver rapidement l’amulette.
En regardant le ciel, il s’aperçut, qu’en plus, on était à la nouvelle lune, la grande journée de chasse des hommes garous. Gabriel, se souvenant de ses lectures, se dirigea vers la forêt du Nord, à la recherche de la maison de Mama Yaga. La sorcière était toujours de bon conseil pour les aventuriers.
Le poulet magique qui surveillait la maison ainsi que son humeur, indiqua que la voie était libre. Mama Yaga les reçut avec un excellent thé à la menthe et de petits gâteaux fourrés à la cerise.
— Mama, nous cherchons à retrouver l’amulette du noble cœur. Pouvez-vous nous dire où se trouve-t-elle ? Demanda le jeune garçon.
— Au revoir, madame la sorcière, s’il vous plaît, ne nous aidez pas.
— Ne faites pas attention, il parle toujours comme ça.
— Je le connais bien, rassures toi. Il est venu plusieurs fois me porter des messages de la reine Sombre ou de Roi. J’ai appris à le comprendre. Pour peu qu’on fasse attention à lui, il est un allié très précieux.
— J’aimerais le comprendre, mais je crois que c’est impossible.
— Tu verras, ta quête t’amènera certainement à découvrir son secret. Pour l’amulette, elle se trouve dans le coffre aux trésors de l’ogre Mateo. Il est sous le trône, au nord-est d’ici, dans le château des ogres. Je te rassure, ceux-ci ont disparu depuis longtemps.
— Le chambellan m’avait, en effet, déjà parlé du nord-est.
— Tu vois, il faut juste faire un effort pour le comprendre.
Les deux aventuriers remercièrent la sorcière et prirent congé.
Ils se dirigèrent vers l’immense muraille qui délimitait l’ancien royaume des ogres. Sur le chemin, ils furent attaqués par cinq énormes loups noirs, plus grands que les loups normaux, avec des yeux rouges aux reflets de feu, et une haleine qui sentait le soufre. Gabriel en était sûr, ce n’était pas un loup qui avait attaqué le petit chaperon rouge mais l’une des créatures qui se présentaient devant lui.
Le jeune Gabriel se demandait comment un simple majordome allait l’aider, quand il s’aperçut que son compagnon d’aventures avait disparu. Il fut rapidement encerclé par les loups qui grognèrent de plus belle. Alors que Gabriel se croyait perdu, sentant déjà les crocs sur sa chair, un loup gris entra dans le cercle. Il souffla dans le nez de Gabriel et l’enfant entendit :
— Heureusement que l’homme aux deux visages m’a prévenu. C’est un envoyé du roi.
— Vous connaissez pourtant les règles, il est interdit d’attaquer un créateur.
— Notre clan refuse tes règles, Loukhi. Nous chasserons nos proies et, si tu t’opposes à nous, tu finiras dans nos estomacs.
— Si tu veux me défier, fais-le selon nos règles. Mais, je préfère te prévenir que je suis le septième fils du septième fils.
Gabriel comprit que, grâce au sortilège du loup gris, il comprenait désormais le langage des loups. Une fois la meute partie, le loup gris se transforma en un jeune garçon. Gabriel le regarda avec insistance. Hors le fait que le jeune garçon, devant lui, portait un pagne de jute, ils se ressemblaient comme des jumeaux.
— Je suis Loukhi, fils de Galthédoc, le septième fils du septième fils. Je suis le nouveau seigneur des hommes garous. Je suis aussi le mage protecteur du comté la nuit.
— Merci de m’avoir aidé. Je … je dois aller au château des ogres. Peux-tu m’accompagner là-bas ?
— J’ai une tâche accomplir avant, mais je te rejoindrai là-bas.
— Merci beaucoup. L’aventurier qui m’accompagnait a fui dès qu’il a vu les loups.
— Ici, on ne peut être sûr de rien. À tout à l’heure.
Le jeune loup, une fois revenu sous sa forme animale, partit vers le sud.
Le jeune Gabriel se dirigea vers la grande porte en bois, haute de plusieurs dizaines de mètres.
Il fut d’abord surpris de voir que les gargouilles, au-dessus de la muraille qui entourait le royaume des ogres, étaient dirigées vers le nord. Mais il comprit qu’elles surveillaient les ogres pour une autre personne. Sans doute la souveraine du comté la nuit. Le jeune garçon repéra une petite porte dans la grande et entra sans frapper.
Un violent coup sur la tête lui fit perdre connaissance. Quand il se réveilla, il était attaché à un poteau, pieds nus, dans la salle du château des ogres. Une salle unique, avec un trône et une grande table, des prisons au sol comme au plafond, et des fours immenses sur les côtés de la pièce.
Le jeune garçon était entouré par une vingtaine de bandits à la mine patibulaire. Celui qui semblait être le chef mit deux barres de fer dans le feu et se dirigea vers lui avec un couteau qu’il mit sur sa gorge.
— Toi, mon mignon, tu vas me dire ce que tu fais là et qui t’a envoyé.
— Je cherche une amulette, c’est tout, répondit Gabriel, paniqué.
— Tu mens, je suis sûr que c’est elle qui t’envoie. Elle déteste les pirates, elle veut nous voir disparaître. Elle a interdit l’esclavage. Elle nous a chassés de l’île du plaisir. Maintenant, c’est un centre de vacances pour monstres, une colonie du bonheur. Nous sommes obligés de nous cacher ici. Alors, avoue que c’est elle qui t’envoie ou je te fouette la plante des pieds !
— Mais je vous l’ai dit : je cherche juste une amulette, cria un Gabriel en larmes. Je ne dirais à personne que vous êtes cachés ici, et je ne sais même pas de qui vous parlez !
— La souveraine du comté de la nuit, la terrible fée, C. sa glorieuse majesté, cracha le chef des pirates.
— Monsieur, au revoir, déclara une voix dans leur dos.
Les bandits, étonnés, se retournèrent et virent le majordome près de la porte du château.
— Il faut torturer cet enfant, il ne vous dira alors rien du tout. Vous n’aurez aucun ennui avec le roi.
— Mais c’est quoi ce fou, hurla le chef des bandits.
Gabriel fut heureux de voir qu’il n’y avait pas que lui qui trouvait que le chambellan avait perdu la tête.
Les bandits encerclèrent le chambellan. Ils l’attachèrent à un poteau, à côté du jeune garçon.
— Si j’étais vous, je ferai ça. Ça ne me semble pas une bonne idée. Je n’ai pas vu d’hommes garous arriver par ici.
À peine avait-il dit ces mots que des hurlements se firent entendre autour du château. Les pirates comprirent que leur cachette avait été révélée. Ils partirent tous, le chef compris, pour essayer de défendre leur retraite.
Au bout d’un instant le jeune Gabriel, inquiet de sa situation, entendit une voix derrière lui.
— Les renforts sont arrivés. J’ai eu le temps d’aller prévenir la souveraine des lieux et de conduire la meute de loups jusqu’à toi.
Le jeune garçon regarda le poteau à sa droite et ne vit que des cordes à terre. Il tourna la tête pour apercevoir Ouf, occupé à défaire ses liens.
— Mais, comment avez-vous fait ?
— Un bon majordome a toujours un coupe-papier dans la manche. Ça peut être utile dans de multiples situations.
— Mais, vous parlez normalement ?
— Bien évidemment, répondit doucement le majordome.
— Votre costume, pourquoi de telles couleurs ?
— Tout simplement car c’est un costume magique. Il me permet de parler toutes les langues, y compris le gargouille, le vampire, le lutin bleu et quelques dialectes trolls.
— Je ne sais pas quoi dire ...
— Je pense que « merci » suffira.
— Merci beaucoup ! Je pense que nous devrions aller récupérer l’amulette.
— Oui, en effet ! Je pense que l’équipe de Loukhi aura tôt fait de se défaire d’une vingtaine de pirates. Je pense que la souveraine va leur faire passer un sale quart d’heure.
Gabriel se dirigea vers l’immense trône de l’ogre et, une fois le coffre ouvert à l’aide du fameux coupe-papier, il récupéra l’objet de sa quête.
Alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie, le majordome le regarda droit dans les yeux.
— Bien sûr ceci sera notre secret. Peu de gens savent que mon véritable nom est
Ismaël. Tu en fais désormais partie.
— Mais pourquoi ?
— Selon toi, qui est fou ? Le simple d’esprit ou celui qui le croit fou ? Personne ne fait jamais attention à moi. Tout le monde parle devant moi, on pense que je ne comprends rien, mais j’écoute. Quand j’ai vu les loups arriver, je suis parti chercher le jeune Loukhi. Pendant que tu te rendais, sans réfléchir, chez les bandits, j’ai été cherché du renfort. Tout à l’heure, enfin, j’ai joué au fou afin de me retrouver à côté de toi et de pouvoir te délivrer. Ceci est mon secret, je suis le meilleur espion, et le plus fidèle des majordomes des deux royaumes.
— Toutes mes excuses, Ismaël. Un immense merci pour ton aide. Je crois que désormais je ne me fierais plus aux apparences.
Le jeune garçon enlaça le majordome avec humilité.
Une fois sortis du château, ils purent voir Loukhi, sous sa forme de jeune garçon, accompagné d’une dame, habillée d’une robe noire avec des ailes de chauve-souris.
Les pirates étaient tous ligotés sous la garde d’une dizaine de féroces loups noirs. La souveraine du comté de la nuit s’adressait à eux :
— Je déteste les pirates ! Vous devez comprendre les nouvelles règles de notre comté. Je pense qu’il va vous falloir retourner à l’école et, comme nous n’envoyons pas de solides gaillards dans une si noble institution, alors il ne me reste qu’une solution.
La fée agita sa baguette et les pirates rajeunirent jusqu’à l’âge de dix ans. Gabriel remercia la souveraine. Elle agita à nouveau sa baguette et il ferma les yeux.
Il se retrouva dans sa chambre, l’amulette autour du cou.
Il descendit dans le salon, demanda pardon à tout le monde et promit d’être un grand frère exceptionnel et attentif, car il ne voulait pas subir le sort des pirates. Sa mère, émue par son discours et son repentir, choisit de lever sa punition. Gabriel fit asseoir ses deux frères sur le canapé et commença à raconter l’histoire du majordome qui avait, en réalité, toute sa tête.
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