Le concours du vieux mage
Camille relisait pour la troisième fois l’affiche accrochée à l’entrée de la section jeunesse. Dans un mois, un certain M. Blanc viendra rencontrer James, le Bibliothécaire. Il y aura un quizz sur les contes de fées, le gagnant recevra deux invitations pour l’une des plus grande fête organisée par l’invité mystérieux. Le programme laissait rêver. Un roi et une reine seraient présents à la fête. Le thème : les contes et histoires de Fantasy. Cela tombait bien, c’étaient les livres préférés de Camille qui empruntait tous ceux qui arrivaient à la bibliothèque, à peine arrivés sur les étals. James, le Bibliothécaire, le savait et lui réservait chaque nouvelle arrivée. Camille demanda la permission à ses parents et s’inscrit donc pour le concours. Elle passa les journées qui lui restaient à relire quelques-uns des plus grands classiques. Sa mère lui ordonnait de temps en temps d’aller jouer dehors car c’était l’été et il faisait beau. Le jour du concours arriva. Il y avait plus d’une trentaine d’inscrits et Camille fut surprise de voir sa sœur, Prudence, parmi les compétiteurs.
— Tu ne m’as pas dit que tu participais toi aussi
— Oui, je participe.
— Maman t’a dit « oui » ?
— Oui.
— Eh bien, bonne chance !
— Chance ? »
Camille regarda sa sœur, étonnée, elle avait le regard vide et ne semblait pas la reconnaître. Camille entendant le bibliothécaire appeler la première ligne oublia rapidement sa sœur. La première épreuve se disputait par six. Un thème était lancé et il fallait retrouver des couples. Le premier thème, c’étaient les princes et princesses. Camille eut comme demande « Aurore ». Et répondit naturellement :
— Le prince Philippe
Sur la première série, deux participants furent éliminés. Le deuxième thème, c’étaient les méchants. Quoi de plus simple pour Camille que de répondre à l’annonce de « Peter Pan ? »
— Capitaine Crochet
Un nouvel adversaire quitta la piste. Le troisième thème fut les mentors, le couple évident « Merlin/Arthur » ne posa aucun problème à la lectrice assidue. La compétition continua avec le passage des autres lignes. Prudence passa la première épreuve aussi facilement mais Camille nota que sa jeune sœur répondait très rapidement, sans hésitation. Elle n’était pas tombée dans le piège et avait cité les trois mentors de Mowgli. Vers la fin de la matinée, Nicolas, le jeune frère de Prudence et Camille, arriva. Trop jeune pour participer, il était resté regarder la télé à l’appartement. Prudence, qui devait rester avec lui, n’était pas là. Sachant où se trouvait sa grande sœur, il partit la retrouver. C’était la première fois qu’il quittait seul le domicile familial et il avait un peu peur. Quand il arriva à bon port, sain et sauf, tout absorbé par ses pensées, il bouscula une passante. Levant les yeux, il vit une femme étrange, qui ressemblait à une sorcière de conte de fée, un véritable clone de Maléfique. Son visage était sec, elle portait du noir à lèvres, le creux de ses joues était accentué par du fond de teint bleu. Elle était vêtue d’une longue robe noire au reflet bleu et portait une cape surmontée de plumes de corbeaux.
— Misérable Insecte d’Humain ! Comment oses-tu bousculer Sombre, la Reine de la Nuit ?
— Pardon, Madame.
— Insolent ! Il faut dire : « Je vous demande pardon. »
— Je vous demande pardon, Madame.
Nicolas rentra rapidement dans la bibliothèque se disant que la vieille chouette se prenait un peu trop pour son personnage. Le jeune garçon regarda les compétiteurs et vit sa sœur qui terminait son premier passage. Il alla l’observer quand elle descendit de la scène. « — Tu vas te faire gronder, tu m’as laissé tout seul !
— Gronder ? Arrête, Insecte d’Humain !
— Et parle pas comme l’autre toute bizarre !
— Qui traites-tu de bizarre, Vermisseau Rampant ? Laisse-moi tranquille !
— Je le dirai à maman !
Nicolas voyant que Prudence ne l’écoutait pas partit à la recherche de Camille. Il la retrouva dans le coin réservé aux participants.
— Que fais-tu là, Nicolas ? Maman va te gronder.
— Prudence m’a laissé tout seul ! Alors je suis venu te trouver.
— Elle m’énerve !
— Et elle parle bizarre, comme la dame que j’ai vue à l’entrée en costume noir.
— Ce doit être une personne de la délégation invitée. Ils sont étranges. Y’en a un qui dit « au revoir » à la place de « bonjour » et « bonjour » à la place d’ « au revoir ».
— Lequel ?
— Celui qui a plein de couleurs. Bon, je vais appeler papa à son travail, pour lui dire que vous êtes ici. Il ne va pas être content.
— Moi je ne savais pas quoi faire…
— Oui, je sais. Je pense que c’est surtout Prudence qui sera punie. Je me demande bien ce qui lui arrive ! Va voir James et reste à côté de lui, ne le dérange pas et attends papa ou maman !
— D’accord.
Nicolas se réfugia près du Bibliothécaire et s’assit à ses côtés. Camille chercha sa sœur du regard mais la cadette avait disparu. La compétition reprit peu après pour l’aînée de la famille avec le début de la deuxième épreuve. Il ne restait plus qu’une quinzaine de compétiteurs en lice. L’épreuve consistait à retrouver l’auteur et son personnage mais les propositions ne concernaient que des personnages secondaires. Qui se souvenait de Tom Bombadil, d’Augustus Gloup, de Billy Bones et de Passe-Partout ? Nicolas, un peu rassuré, applaudit les bonnes réponses de sa sœur, tout en regardant les membres de la délégation. Il vit l’homme habillé d’un habit à carreaux de toutes les couleurs, un chevalier, un vieux magicien, une étrange femme avec une laisse et des oreilles de chats. À la table des juges, il vit le roi, avec sa couronne, et la princesse, qui semblait ne pas être contente d’être là. Il ne retrouva pas la dame étrange qu’il avait bousculée en entrant. Il demanda à James : — Monsieur, je ne vois pas la dame en noir ?
— Quelle dame en noir ?
— Quand je suis arrivé, j’ai vu une dame en noir, avec des plumes noires. Elle n’était pas contente car je l’ai bousculée.
— Tes sœurs sont avec toi ?
— Oui, elles font le concours. Prudence devait me garder mais elle a désobéi. Du coup, j’ai dû venir ici tous seul ! Car j’avais peur !
— Je vois, je vois, répondit le Bibliothécaire inquiet
— Et Prudence parle tout bizarre maintenant, comme la dame en noir Là, le bibliothécaire fut pris de panique et laissa le jeune garçon un instant pour partir voir le Vieux Mage.
— Sombre est ici et elle a envoûté une jeune fille. Je ne sais pas encore comment, mais je crains le pire.
— Pareillement ! Qui a vu Sombre ?
— Le jeune garçon, là-bas ! Sa sœur devait le garder, mais elle est dans la compétition visiblement envoûtée.
— Je vois. Allons parler à ce jeune homme !
Nicolas vit James revenir avec le vieux magicien mais il regardait sur scène sa sœur cadette qui répondait rapidement à des questions très compliquées.
— Nicolas, je te présente Tom, le Vieux Mage, du Royaume des Deux Comtés. Il voudrait parler avec toi.
— Bonjour, Nicolas
— Bonjour, Monsieur.
— Comment était la dame en noir ?
— Elle avait des plumes de corbeaux sur les épaules.
— Et tu dis que ta sœur parle comme la dame ?
— Oui, elle m’a dit « Insecte d’Humain », comme la dame avant. Prudence, c’est une humaine aussi !
— Je vois. L’heure est grave. Il faut désenvoûter la jeune fille et savoir ce que Sombre mijote.
— C’est qui, Sombre ?
— La reine du Comté de la Nuit, et elle en veut au roi car c’est l’anniversaire de sa défaite.
— C’est une mauvaise perdante, alors ? demanda le jeune garçon.
— Oh oui ! Je crains le pire. Il faut retrouver Sombre avant que la compétition ne se termine
Nicolas écoutait la conversation sans trop comprendre. En résumé, James, le Bibliothécaire, connaissait des gens d’un royaume et il y avait eu une bataille. La dame en noir avait perdu. Le concours était organisé pour l’anniversaire de la victoire. La dame avait fait un truc à Prudence mais on ne savait pas quoi. C’était pour cela qu’elle l’avait laissé tout seul. Pendant que la compétition suivait son cours. Les membres de la délégation partirent à la recherche de la Reine Noire. Pendant ce temps, Nicolas essayait de se rappeler ce qu’il s’était passé le matin même. Il dormait un peu devant la télé et ne s’intéressait qu’à ses jeux vidéo. Camille et Prudence passèrent la troisième épreuve. À chaque fois que Camille voulut parler à Prudence, à chaque fois, quelqu’un l’en empêchait. Comme si l’univers ou une force invisible voulait les séparer. Des sandwichs furent servis aux participants. Tout en mangeant, Camille partit voir James pour s’assurer que Nicolas avait à manger. Elle retrouva son frère visiblement de nouveau joyeux en train de partager un repas avec Line, la jeune femme qui était déguisée en chat. Ils riaient tous les deux. Elle vit sa sœur en train de parler avec la fameuse dame aux plumes de corbeaux mais, quand elle voulut l’atteindre, les participants furent appelés pour l’avant dernière épreuve de la compétition. Ils n’étaient plus que huit. L’épreuve consistait à retrouver, parmi deux héros, les propositions lui appartenant. Une seule erreur et vous étiez éliminés. Le jeu continuait jusqu’à ce qu’il ne reste que deux participants pour la finale. Pendant ce temps, le Vieux Mage avait appelé le Royaume des Deux Comtés et découvert la manigance de Sombre. Elle avait lancé un défi : si son champion gagnait le concours, elle prendrait le contrôle de la Terre et si elle perdait, la vie de son champion lui appartiendrait. La question était simple : Comment la reine maléfique avait fait de cette innocente jeune fille la représentante du Pays des Cauchemars ? Nicolas, son frère, aurait peut-être la réponse. Le Vieux Mage ne voulait pas effrayer l’enfant qui avait repris son âme innocente et souriante en rigolant avec Line, la fée. Il s’approcha des deux nouveaux amis et demanda :
— Mon Garçon, que vois-tu chez ta sœur qui a changé ?
— Comment ça ? demanda Nicolas, sortant de sa rêverie.
— Une chose qu’elle ne porterait pas d’habitude, par exemple.
— Y’en a plein, elle est habillée en noir, là, et semble bizarre et plus triste.
— C’est le contrôle de Sombre qui en est responsable. Mais regarde bien, elle est sur la scène, qu’est-ce qui a changé en elle ?
Nicolas regarda sa sœur cadette qui répondait avec une nonchalance extrême aux questions du jury. Le jeune garçon se concentrait, il avait bien compris que c’était à lui d’aider tout le monde et à lui seul. D’un seul coup alors qu’il se décourageait un reflet des projecteurs lui amena la réponse.
— Le peigne qui brille dans ses cheveux ! Elle ne l’avait pas ce matin !
— Voilà comment Sombre l’a envoutée. Il faut absolument lui retirer ce bijou !
— Camille a dit qu’à chaque fois qu’elle a voulu voir Prudence, elle a été empêchée.
— Ce ne sera pas facile, Sombre doit la surveiller et Ombre doit l’accompagner.
— Qui est Ombre ? demanda le garçonnet.
— C’est le sbire de la reine, un champion du déguisement.
Comme toutes les fois où un miracle hors du commun était attendu, la délégation fit appel à Justin. La finale commença. Sans surprise, ce fut un duel familial qui opposa Camille à Prudence. Le bibliothécaire annonça que les candidats devaient piocher le sujet de la dernière série de questions et envoya le chevalier de Titekette leur tendre le sac de feutre. Justin avec son habituelle maladresse bouscula Prudence qui tomba. En voulant la relever, il se prit le gant dans le peigne de la jeune fille. Prudence redevint alors elle-même. Sombre et son sbire, comprenant la partie perdue s’enfuirent. Le Vieux Mage vint au secours de la cadette qui ne savait plus où elle se trouvait. La dernière chose dont elle se souvenait, c’était d’avoir voulu essayer un petit peigne en argent que quelqu’un avait mis dans la boîte aux lettres. Le conseiller du roi lui résuma la situation. Devant l’abandon de Prudence, Camille gagna le concours. Le Vieux Mage et le Bibliothécaire œuvrèrent près des parents pour que l’incident n’ait aucune conséquence sur les deux plus jeunes. Camille n’eut pas à choisir qui emmener car toute la famille fut du voyage. Nicolas reçut même une invitation en tant que Héros du Royaume pour avoir fait preuve de courage et avoir aidé à déjouer le piège de la reine maléfique. Alors que sa famille était installée sur les bancs, il remonta l’allée principale du trône, à côté de Justin, et une fois devant le roi, il mit un genou à terre. Le Roi-Conteur le nomma chevalier du royaume des contes. Les vacances qu’ils passèrent dans ce lieu enchanteur ainsi que le temps que passa Camille dans la grande bibliothèque du château n’appartiennent qu’à eux.