La nouvelle reine
C. quitta la famille royale des fins heureuses au matin du pacte. Elle avait un comté à reconstruire. Elle sortit discrètement de la capitale. Elle reviendrait rapidement pour mener les réfugiés vers leur nouvelle demeure.
Elle voulait, avant, voir comment son comté avait été reconstruit. Elle portait une robe de lavandière bleue, avec un tablier blanc.
En chemin, elle croisa la route d’une jolie petite fille qui pleurait, une enfant des créateurs. Sa maman était malade et elle était très inquiète. C. se pencha vers la fillette.
— Mon enfant, il existait, en mon château, un oiseau aux couleurs de l’arc en ciel. Il a le pouvoir de tout guérir.
— C’est vrai ?
— Oui, mademoiselle. Le mensonge est une chose très vilaine.
— On peut y aller ?
— J’y allais de ce pas.
— Je peux vous accompagner, madame ?
— Avec plaisir, mademoiselle. Comment t’appelles-tu ?
— Amanda !
Le temps était ensoleillé et la promenade chassa le chagrin de la fillette. À l’heure du repas, elles s'arrêtèrent dans une clairière.
Le seigneur loup vint à leur rencontre et la fée lui fit signe de ne pas révéler son identité.
— Madame, merci pour le repas. Je peux vous poser une question ?
— Oui, bien sûr, mon enfant !
— Vous ne serez pas fâchée ?
— Non, vas-y !
— ҪÇa vous fait mal, vos bosses dans le dos ?
— Non, je n’y pense pas. Elles font partie de moi. Ce sont les autres qui me le rappellent.
Voyant que la jeune fille regrettait sa question, elle déclara :
— Mais ne t’inquiètes pas, je sais qu’elles ne te dérangent pas non plus. Fais comme moi, oublie-les !
Puis, s’adressant au loup :
— Merci, Sire Loup, pour ces galettes et ce petit pot de beurre !
Elles continuèrent leur chemin. Les lutins de la clairière aux champignons ne purent s'empêcher de la saluer, tout comme plusieurs paysans qu’elles croisèrent.
— Pourquoi tout le monde vous salue ? Vous êtes célèbre ?
— Pourquoi ce ne serait pas toi qu’ils saluent, ou tout simplement nous ?
— C’est vrai. Mais je crois que tu es un peu célèbre quand même. Moi, j’ai juste un petit frère qui s’appelle Enzo. Je crois pas que ce soit pour ça ! Quoiqu’il ressemble à un prince, mais je l’appelle mon petit loup !
La fée lui sourit.
Puis vint le pont du Troll, le lieu de sa défaite. Le sortilège qui lui avait valu des années de souffrance. Amanda avait peur, elle aussi. Mais pour une autre raison : elles allaient dans le comté de la nuit. Mais quelle gentille femme avait un château dans le comté de la nuit ?
Elle laissa C. passer sous le linteau du troll et fit semblant de s'écorcher le genou en tombant. La fée, affolée, repassa sous le linteau sans penser au sortilège. Elle incanta et sa main s'entoura de bleu. La fillette fut rassurée, cette dame n’avait pas de mauvaises intentions.
Au détour d’une forêt, un loup noir les attaqua. Il avait des yeux gris, ce qui étonna la fée, car les hommes garous avaient les yeux rouges. Étrangement, le loup semblait vouloir protéger la fillette.
Amanda se mit devant C. et ouvrit les bras.
— Laisse la dame tranquille. C’est ma seule amie !
Le loup regarda l’enfant et, une minute après, un jeune garçon se trouva à sa place.
— Je suis Loukhi, chef du clan de Galthédoc. Même si Galthédoc n’est plus car le néant l’a gardé !
— Ainsi tous les monstres ne sont pas réapparus ?
— Non, madame. Khèty, mon amie, parcourt les marais. Seules les sorcières des deux derniers cercles sont revenues. Mama Yaga aussi, mais pas les autres. Je dois la rejoindre à l’est des marais, nous allons chez Stanislas, notre ami. Il doit nous dire ce qu’il se passe chez les vampires.
Amanda, à l’évocation des marais et des vampires, se colla à la fée. La dame la rassura.
— N’aie crainte, ce comté est effrayant, mais un oiseau arc en ciel, ça se mérite !
Amanda se dressa de nouveau devant la fée. Des trolls semblaient patrouiller. Ce qui était étrange, car les trolls étaient trop stupides pour même avoir l’idée d’une patrouille.
Il y avait donc un nouveau maître au château, pour les contrôler.
La tâche de C. serait plus ardue. Elle prit plus fermement la main d’Amanda dans la sienne. La jeune fille ressentit le désarroi de son amie.
Loukhi, qui connaissait la forêt comme sa poche, les mena à une jeune fille de l'âge d’Amanda, une jeune sorcière qui montait un balai. Elle avait une robe trouée et sentait la vase des marais. Elle fit la bise à tout le monde. Amanda se détendit un peu.
Leur prochaine étape fut le manoir de Vanceslas, le roi des vampires. Plusieurs d’entre eux gardaient la porte, mais tous se courbèrent devant C., Loukhi et Khèty.
— Ils ont l’air d’avoir peur de toi, fit remarquer Amanda à C.
— Et toi, as-tu peur de moi ? répondit C.
— Non, tu es mon amie. Même si tu vis dans un pays qui me fait peur, j’ai confiance en toi !
Pour la deuxième fois depuis longtemps, C. sourit.
Stanislas était un jeune vampire. Il était élégamment vêtu, les cheveux blonds qui lui descendaient aux épaules, les yeux bleus. Il était affalé sur le trône, un verre contenant un liquide grenat à la main.
Une lueur de terreur parcourut les yeux du jeune vampire qui rectifia sa position. Il regardait la nouvelle arrivée avec frayeur.
— Baron Stanislas, je suis venue pour trouver l’oiseau arc-en-ciel dans mon château.
La mère de cette jeune fille est malade et elle a besoin de l’oiseau. Je voulais vous apporter mes condoléances pour la perte de votre père !
— Merci, madame, vous êtes gentille. Près de la moitié des vampires ne sont pas revenus du néant. J’ai passé un pacte avec Khèty, la nouvelle Mère Sorcière et avec Loukhi, le roi Loup pour éviter toute guerre !
— Il en est heureux. Je vous propose, mon seigneur, en toute amitié, un repas dans mon château. Nous pourrons parler en toute simplicité de la reconstruction de notre comté et de son futur. Après tout, nous avons une noble mission à accomplir. Que feraient les héros sans nous ?
— En toute sécurité ? demanda le jeune vampire.
— Vous avez ma promesse, répondit la fée !
Amanda comprenait que ce vampire, qu’elle ne trouvait finalement pas si monstrueux que ça, connaissait le secret de son amie.
Stanislas se joignit au groupe et tout le monde partit pour le château.
— Bahewin doit déjà être retourné dans les jardins !
— Comment êtes-vous revenus si vite dans le comté ?
— Nous n’avons pas assisté aux cérémonies, ni à la fête. Khèty nous a téléporté chacun dans nos demeures.
— Je vois, vous êtes de fins stratèges.
— Le meilleur de ce côté-là, c’est Stanislas !
— Loukhi, c’est la force et la magie ; Khèty, la ruse et les potions ; Bahewin, le soutien et notre meilleur espion. Qui fait attention au jardinier ?
C. comprit que, si elle voulait oublier les erreurs du passé et sa rancœur, elle devrait compter sur ces quatre-là. Viviane n’était plus là pour la rabaisser. Elle serait la souveraine qu’elle aurait dû être dès le départ.
Les gargouilles terrifièrent Amanda, mais, comme elles saluèrent son amie avec déférence, elle fut rassurée. Elle ne prit pas peur, même quand elle entendit l’une d’elles murmurer.
— « C’est la maîtresse, elle est de retour. Le comté est sauvé ! »
Amanda avait deviné depuis longtemps que son amie, malgré ses atours, n’était point une servante.
Le château se découvrit à leurs yeux.
C. eut un pincement au cœur, cela faisait quelques milliers d’années qu’elle n’y était pas venue. Elle admirait les travaux de Sombre, la précédente reine.
Toute à sa contemplation, elle ne vit pas les trolls arriver en nombre. Elle fit signe à Khèty et aux autres de ne pas bouger. Ils furent fait prisonniers. Amanda se demandait pourquoi son amie, qui semblait puissante, n’étaient pas intervenue.
— Ne dis rien, Amanda. Si nous avions résisté, vous auriez pu être blessés. Ils vont nous conduire à leur maître, et je me demande qui a pu s'asseoir sur mon trône.
Les trolls les conduisirent en effet dans l’immense salle du trône. Là, un jeune garçon, au teint pâle et au visage veiné de bleu, hurlait.
— Rendez-moi ma citrouille, c’est ma tête. Elle fait partie de moi. Je dois aller faire le jardin, les roses ont besoin de moi !
Il y avait un jeune garçon sur le trône, avec un sourire diabolique. Il avait le teint blafard, des cheveux courts et noirs et des yeux marron. Il portait une citrouille dans une main et un couteau dans l’autre.
Les enfants restèrent interdits. L’enfant sur le trône entailla la citrouille. Le prisonnier hurla. Une balafre lui marquait à présent la joue.
— Il suffit ! Déclara C. d’une voix qui n’attendait pas de réplique.
— Je suis le maître ici, madame, et vous et vos enfants allez devoir plier le genou. Je pourrais vous faire à chacun pareille entaille et y mettre du sel. Mettez genou à terre devant votre roi.
L’enfant déploya des ailes de chauve-souris.
Cela fit reculer Amanda qui resta néanmoins devant la fée.
— Mon enfant, c’est vous qui mettrez genou à terre et demanderez pardon !
— Qui ose commander à Colin, fils de la souveraine légitime de ce comté ?
C. poussa Amanda. Les enfants s’écartèrent et la fée déploya ses ailes.
— Mais … la souveraine légitime, elle-même…
Colin en laissa tomber couteau et citrouille et il mit genou à terre.
Les enfants, y compris Bahewin dans sa cellule, firent de même.
Colin se mit à pleurer.
C. se dirigea vers lui, suivie par Amanda.
— Pardon, mère, je voulais que vous soyez fière de moi !
— Alors j’ai des choses à vous apprendre, mon garçon ! Et tellement de temps à rattraper… Demandez aux trolls de libérer ce pauvre jardinier !
— Pardon, mère !
— Il a fait une grosse bêtise, déclara Amanda, mais on peut lui pardonner. Je sais ce que c’est d'être inquiet pour sa maman.
— Je crois aussi, mais avant …
— Je ferai des excuses à tous ceux à qui j’ai fait du mal !
— Alors vous serez pardonné, mon fils.
Elle l’enlaça tendrement.
Bahewin fut libéré. Colin lui présenta ses excuses et sa citrouille. Khèty soigna son ami.
Un des gardes partit chercher l’oiseau arc en ciel. La souveraine le remit à Amanda, la félicitant pour son courage, et la remercia de son amitié.
Les trolls partirent rassembler tous les habitants du royaume.
Une foule immense accueillit la nouvelle souveraine. Devant elle, se tenaient les réfugiés que le vieux mage avait prévenus du retour de leur reine.
— Je suis de nouveau là. Le grand chêne n’est plus. Je serai l’ami des enfants sages, de quelque comté que ce fût, ils pourront compter sur moi. Que les polissons et les menteurs se méfient, car je serai là aussi pour eux ! Dans un conte, pour qu’un homme devienne un héros, il lui faut un ennemi à vaincre. C’est notre mission, alors soyons en dignes !
Puis, s’adressant aux quatre enfants, elle leur dit :
— Vous serez mes fidèles conseillers, si vous le voulez bien ?
— Moi, non, votre majesté ! déclara Bahewin.
Les autres se retournèrent vers lui.
— La malédiction de la sorcière a été levée avec le néant. Mon peuple va pouvoir quitter les champs de maïs. J’ai toujours été le jardinier de Sombre, je veux le rester !
— Très bien, mais tu seras toujours le bienvenu ici !
— Merci, votre majesté !
La fée lui murmura quelque chose à l’oreille et le jeune jardinier acquiesça.
— Maintenant, vous excuserez votre souveraine, mais j’ai un fils qui m’attend.
Elle salua Amanda et, prenant Colin par l’épaule, rentra dans le château, laissant les enfants se dire au revoir.
Amanda se réveilla dans son lit, heureuse. Elle avait vécu une formidable aventure. Elle se dirigea vers Enzo, son petit frère qui dormait, et, sans le réveiller, l’embrassa sur le front.
— Ne t’inquiètes pas, tout ira bien, lui murmura-t-elle.
Elle avait l’oiseau arc-en-ciel qui guérirait sa maman...
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