L'ile des temps oubliés
Le temps avait passé. Le Professeur avait offert aux deux jumeaux, adoptés par Viviane, la gestion de l’île magique qui gardait l’imagination. Il s’était retiré sur une île, au sud, où il avait recréé son laboratoire. Il avait entouré l’endroit d’une brume, pour garder sa tranquillité. Il avait trouvé un miroir qui lui permettait de voir toute l’île. Il avait observé les progrès des jumeaux, aidé par Viviane devenue la grande fée, et par Contrôle devenue C. la fée des enfants.
Il avait été déçu de voir que les deux frères n’avaient pas réussi à s’entendre et l'île en avait été toute déformée. Le savant se demandait pourquoi le marchand lui avait offert une lampe à huile toute cabossée.
Le professeur, un soir, se dit qu’il avait besoin de vacances. Le lendemain, la porte apparut. Depuis le cataclysme, le Professeur avait gardé deux choses de son ancienne vie : l’employé invisible du manoir et cette porte mystérieuse. Il se demandait, d’ailleurs, si les deux n’étaient pas liés.
Le professeur prit sa tenue de voyage et franchit la porte. Il arriva dans une ville. La ruelle était heureusement vide, car il entendait les clameurs d’un marché proche. Il ne connaissait pas la période où il était arrivé, mais il se rappela qu’à certaines époques les êtres magiques étaient pendus ou brulés. Il avisa un brave homme qui poussait sa charrette.
— Monsieur, j’ai rendez-vous avec un confrère, mais je ne sais plus où il habite.
— C’est moi que vous appelez monsieur ?
— En effet !
— Eh bah, quand je vais raconter ça à la Jeanne, ça va la faire marrer. Si c’est un monsieur comme vous, ça doit être le docteur, il habite au-dessous de la boutique de fleurs. Il est étrange, les gens l’aiment pas beaucoup. Parait qu’il est baron Flinkenstein, un truc dans le genre.
— Merci, Monsieur.
L’homme repartit en rigolant. À force de vivre seul dans son laboratoire, le Professeur avait oublié qu’il y avait une différence de rang entre les humains. Il se promit d’aller faire un tour dans la ville des fins heureuses, il en profiterait pour dire bonjour à Big.
Il trouva l’appartement du docteur et frappa à la porte. Un homme aux cheveux hirsutes lui ouvrit.
— C’est pourquoi ? Je n’achète rien.
— Je n’ai rien à vendre, ma besace ne contient que mon nécessaire de voyage et une vielle lampe à huile.
— Depuis l’invention de l’électricité, ce genre d’objet est devenu inutile. L’odeur qui s’en dégage était, d’ailleurs, nauséabonde.
— L’électricité ! Quel phénomène intéressant !
— Oui. D’ailleurs, j’ai une théorie : j’ai conçu un globe de verre, rempli de multiples ailettes qui, en tournant, créait du courant électrique. Si nous pouvions mettre cette boule au-dessus d’une source, comme le magma d’un volcan, cela pourrait approvisionner en électricité un manoir comme celui de ma famille.
— Très intéressant.
— La boule est derrière et les plans du dit manoir aussi. J’en aurais eu besoin pour mon expérience, mais aucune source chaude ne passe sous le manoir de mon père.
— Et sur quoi travaillez-vous ?
— La vie. J’essaye de redonner la vie grâce à des courants électriques.
— Intéressant !
— Et vous, sur quoi porte vos travaux ?
— La préservation de l’imagination…
— Étrange ! Je serais curieux de lire vos travaux. Je dois faire revivre un cerveau, le siège de l’imagination.
— Je ne pense pas !
— Où peut-on lire vos travaux ?
— Dans tous les livres de contes.
— Je vois … vous êtes étrange, ou alors un espion intéressé par mes découvertes ? Monsieur, je vais vous demander de partir !
— Si vous le souhaitez ! Au revoir, docteur.
Le professeur vit que la porte était apparue à côté de celle de l’appartement du docteur. Il subtilisa les plans et la sphère de verre, qu’il mit dans sa besace et partit par la porte avant que le savant, sans doute fou, n’ait pu réagir.
Il se trouva alors dans un pré, bordé par un grand mur. Le professeur voulut en faire le tour mais, après une bonne journée de marche, il n’avait trouvé aucune porte. Ce monde était étrange. Il trouva un ruisseau, au loin. Il s’y rendit pour se désaltérer et remplir sa gourde d’eau. Il mangea le reste des provisions contenues dans son sac. Il s’en voulut de s'être précipité chez ce curieux docteur qui, finalement, ne l’avait même pas invité à manger. Il aurait dû passer par le marché, revendre sa lampe qui lui était bien inutile, et s’acheter des provisions. Il alluma un feu et s’étendit sur une couverture, pour la nuit. Il entendit comme un rugissement venant d’au-delà du mur.
Le lendemain, il retourna au mur et continua son exploration. Après une demi-journée de marche, il ne trouva toujours aucune porte. Il se dit que la porte lui avait, pour une fois, joué un mauvais tour, mais il se rappela de tout ce qu’elle lui avait apporté. Premièrement, elle l’avait attiré hors de son univers et de sa mort certaine, puis il avait découvert Viviane.
Il était parti plusieurs fois à l’aventure, ramenant des conseils ou des objets, précieux pour l'île des deux comtés. Il avait découvert les jumeaux, Big et Bang, qui, même s'ils avaient fait exploser son premier labo, avaient découvert ce qu’il manquait au professeur pour réussir son expérience. Il avait aussi trouvé sa besace sans fond, et Contrôle, la gouvernante des jumeaux. Si la porte l’avait mené ici, c’était pour une raison.
Il continuait son exploration, quand il croisa deux jeunes hommes. C’était deux frères, d'âges différents mais proches, on aurait pu les confondre avec des jumeaux.
— Bonjour, jeunes gens. Savez-vous qui est le maitre de cet endroit ?
— Non, mais nous allons le découvrir.
— Cela fait plus d’une journée que j’ai commencé à en faire le tour, mais je n’ai trouvé aucune porte.
— Les anciens au village racontent qu’un homme en a fait le tour, il a mis un mois. Il n’a jamais trouvé de porte.
— Il y a donc un village près d’ici ?
— À deux jours de marche, dans cette direction, répondit celui qui semblait être le plus vieux.
— Je vais y partir, je n’ai plus de provisions …
— Le village non plus, c’est pour cela que nous tentons de passer le mur. Nous espérons trouver une herbe plus verte de l’autre côté. Si c’est le cas, nous pourrons faire venir le reste du village. Le mécanisme de la porte est peut-être de l’autre côté.
— Comment allez-vous faire ?
— À deux, rien n’est impossible. Monsieur ?
— Je suis le Professeur.
— Et vous enseignez quoi ?
— L’imagination.
— C’est étrange ! Je m’appelle James, et mon grand frère, c’est Peter.
— Je pensais que vous étiez le plus vieux !
— Non, monsieur. Mais mon frère a cessé de grandir il y a quatre ans. Depuis, il ne vieillit plus.
— C’est étrange !
— Les anciens du village ne comprennent pas ce qu’il se passe.
James offrit au professeur une part de sa nourriture. Le professeur refusa de prime abord mais, voyant l’air peiné du jeune homme, il finit par accepter.
Une fois rassasié, le trio s’approcha du mur. James et le Professeur hissèrent Peter sur le haut du mur. Peter déroula alors une corde et aida les deux hommes à monter.
— Je vous l’avais dit, l’union fait la force !
— Ingénieux ! Je connais deux jeunes garçons qui devraient prendre exemple sur vous.
— Nous nous chamaillions quand même, parfois ! Mais la faim nous rappelle à l’ordre.
Les deux frères et le Professeur regardaient de l’autre côté du mur. L’herbe y était, en effet, bien plus verte.
— Il nous faut descendre et trouver deux choses : des vivres et la porte !
— Si votre ancêtre a dit vrai, il se peut que vous mettiez un mois pour trouver le mécanisme.
— Nous allons partir chacun d’un côté du mur, cela mettra moitié moins de temps. Mais il est vrai que le plus important est de ne pas manquer de vivres.
Ils quittèrent la proximité du mur et tombèrent sur un verger. Le professeur goûta l’une des pommes, à la couleur jaune dorée. Il en coupa un morceau avec son couteau et le mangea. Il avait l’impression d’avoir fini son repas. Les frères essayèrent et se dirent, qu’avec une seule de ces pommes, un homme pourrait vivre une semaine. Chacun regarda le verger : il y avait des pommes à perte de vue. Le professeur en mit quelques-unes dans son sac. James partit seul vers l’est, alors que le professeur accompagna Peter vers l’ouest.
Le professeur était étonné par ce jeune garçon qui avait cessé de grandir et de vieillir. Depuis leur rencontre, Peter n’avait pas dit un mot. Là encore, il scrutait chaque centimètre carré de la muraille, à la recherche du mécanisme qui allait ouvrir la porte.
— Tu sais, Peter, j’ai lu une histoire où, pour ouvrir une porte, le héros devait prononcer les mots « sésame, ouvre-toi ».
Peter regarda le professeur avec surprise. Puis, sans dire un mot, il continua à avancer, scrutant la muraille en marmonnant. Le professeur tendit l’oreille. Le jeune homme répétait sans cesse “Sésame, ouvre-toi”.
La première journée s’était passée, sans qu’ils ne trouvent rien. Peter n’avait pas décroché un mot. Il se mit dans sa couverture, près du feu, et s’endormit. Le professeur avait calculé que, si le récit de l’ancien était exact, ils mettraient 15 jours pour retrouver James.
Au cinquième jour, le professeur avisa un lac et proposa de s'arrêter pour refaire provision d’eau et se laver un minimum. Il sortit du savon de sa besace et le tendit à Peter qui le prit sans dire un mot. L’adolescent se lava, se rhabilla et repartit. Le professeur se dépêcha de le suivre.
Au dixième jour, le Professeur vit que la lune était pleine. La visibilité était bonne, Peter ne semblait pas décidé à s'arrêter pour la nuit. Le professeur lui emboîta le pas. Tous ses essais pour communiquer avec l’adolescent avaient échoués. Dans la nuit ils entendirent un hurlement bestial et plusieurs cris humains.
Le lendemain, il trouvère la porte. Une immense porte en bois fermée par une poutre aux dimensions gigantesques. Le professeur proposa d’aller à la rencontre de James qui ne devait plus être qu’à quelques jours de marche.
— J’ai reconnu ses cris, hier soir. Je ne crois pas qu’il va nous rejoindre, déclara Peter.
Le professeur fut glacé d’effroi et regarda un moment l’adolescent, interdit. L’entraide entre frères que proposait James n’était pas du goût de Peter.
— Il est devenu adulte, il a fait ce choix car il peut se débrouiller, continua le jeune homme.
Le professeur en fut sidéré.
Peter se plaça à un bout de la poutre et attendit. Le savant se mit alors à l’autre bout, encore sonné par les révélations du jeune homme. Il allait soulever la poutre quand une voix retentit.
— Ne faites pas ça, le maître pourrait sortir.
Le professeur lâcha le morceau de bois et regarda aux alentours.
— Je suis là, devant vous ! Vous ne pouvez pas me voir, mais je suis là. Je m’appelle Sigismond, je suis arrivé avec mon frère, ici, il y a des années. Nous avons croisé le maitre des lieux, c’est le gardien de ce lieu paradisiaque. Quiconque arrive ici vivra éternellement, il ne vieillira pas. Il y a une île qui semble enchantée, au centre. Seulement, toute sortie des lieux est impossible sans libérer la bête. Nous la voyons à chaque pleine lune. Il vaut mieux ne pas croiser sa route.
— Une autre personne était avec nous, un jeune homme appelé James...
— Je l’ai croisé, il est dans un des abris, un bateau dans une lagune.Il a perdu sa main droite dans la fuite, mais il va bien.
Peter pris son sac.
— Quelle direction ?
— Je ne comprends pas !
— Le bateau ?
— Il est à deux jours d’ici, plein sud, et ensuite, il faudra longer la rive jusqu’à une barque, puis une ou deux heures de rames.
— Au revoir, Professeur, déclara Peter, toujours aussi froidement.
L’adolescent partit vers la direction indiqué.
— Comment vais-je repartir ? Déclara le professeur, embêté. Il me reste plus qu’à attendre de l’aide.
— Je peux vous tenir compagnie. La bête ne vient pas souvent près d’ici.
Le soir, venu le professeur vit un majordome d’une soixantaine d’année apparaitre.
— Sigismond ?
— C’est moi. Je ne peux apparaitre que la nuit, le reste de la journée je suis invisible. Une déformation professionnelle. Mon ancien maître disait qu’il n’y avait pas meilleur majordome que moi.
Au matin, le professeur se réveilla. Sigismond était en train de préparer du café et des tartines.
— Monsieur, il y a une porte qui est apparue dans l’herbe. Je crois que c’est pour vous. Elle n’a pas voulu que je l’ouvre.
Le professeur prit son petit déjeuner et se dirigea vers la porte. Il l’ouvrit et vit un monde vide et froid, sans soleil ni lumière. Il se dirigea vers le majordome qui commençait à disparaitre.
— Vous venez ?
Il sentit un souffle passer la porte.
Il la passa à son tour pour voir Sigismond dans ce monde, vide et avec une faible luminosité.
Il reconnut l’endroit. Il se dirigea vers une colline, seule source de lumière, et vit une grotte dont le fond était parcouru par une rivière de magma.
Il sortit la boule de verre de sa besace, les turbines s’activèrent et, au bout d’un instant, il y eu de la lumière. Le professeur montra les plans du docteur à Sigismond.
— Je peux bâtir cela, monsieur, si la porte me permet de trouver les matières premières.
— Elle le permettra. Je vais vous laissez aussi les pommes dorées que j’ai pris chez la bête, plantez les pépins. Je crois que nous nous reverrons un jour, Sigismond.
— Je crois plutôt que ce sera une nuit.
La porte s’ouvrit à nouveau.
— Il faut que je trouve ce que je vais faire de cette lampe !.
La porte se referma avant de s’ouvrir à nouveau.
Le professeur entendit des pleurs qui étaient proche de l’arrivée. Il franchit la porte et découvrit un adolescent qui se lamentait.
— Aladin, pauvre Aladin, comment vas-tu t’en sortir ?
Le professeur se dit qu’il devait laisser l’adolescent. Il posa près de lui la lampe et repartit par la porte.
Il retourna chez lui et, le soir venu, au lieu de regagner sa chambre, il se posa sur un fauteuil avec, sur la table basse devant lui, deux verres et une bonne bouteille.
Sigismond entra dans la pièce, surpris d’y voir le professeur.
— Alors, l’ami, avez-vous trouvé le temps long ?
Sigismond lui parla de la création de l’ile des temps oubliés, et du moment où il avait vu que le lit qu’il lui avait préparé avait enfin un propriétaire. Ils discutèrent toute la nuit.
Au matin, on sonna à la porte. Le professeur partit ouvrir et vit que Viviane et C. étaient venues lui rendre visite. À la tête des deux dames, le professeur comprit que les ennuis allaient commencer.
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