L'élection
Le marais était en ébullition. Deux jeunes sorcières avaient été capturées et avaient rejoint les rangs des vampires.
De plus, les herboristes du clan avaient peur de s’aventurer en forêt, pour chercher des ingrédients, en dehors des nuits de pleine lune pour ne pas avoir à faire aux hommes garous.
En effet, ces bêtes démoniaques devenaient des hommes fragiles, à chaque pleine lune.
Les sorcières n’avaient rien à craindre dans le marais. Bang l’avait conçu exprès pour elle. Les allées étaient étroites, la visibilité basse et les routes du marais dressaient un chemin pour le moins labyrinthique.
Le principal souci des sorcières était que Bang en avait fait des êtres cruels mais solitaires. Si ce n’était pas l’une de vos filles qui avait des ennuis, vous n’interveniez pas.
C’était la goutte de trop, deux jeunes sorcières transformées en vampire pour servir leur saigneur, c’en était trop. Bang était trop jeune pour diriger le pays et C. n’avait pas assez de pouvoirs.
Elles décidèrent d’aller à la rencontre de Mama Yaga, la plus vieille d’entre elles.
Sa maison se trouvait au centre du marais. Là où on entendait des hurlements et des pleurs. Les trois plus vieilles sorcières, après Mama Yaga, s’étaient regroupées dans la maison de la plus vieille d’entre elles.
— Il nous faut demander de l’aide à Mama Yaga !
— Elle est pire que les vampires et les fils de la lune réunis …
— Plusieurs sorcières sont allées chez elle et ne sont jamais revenues.
— Je ne sais pas. Mes petites Kathya et Macha y sont allées, elle leur a offert des gâteaux et du thé.
— On raconte que sa mère était une sorcière, mais son père un homme fée. Ce serait son côté fée qui parle pendant ses jours de bontés.
— Je croyais que c’était une création de Bang, elle n’a pas de parents.
— C’est ennuyeux ! Donc, si nous trouvons sa maison, en suivant les cris, nous ne saurons pas si elle va nous accueillir avec des sucreries ou si nous allons finir au chaudron ?
— C’est ça ! Il faudrait que sa maison nous indique l’humeur de sa maîtresse.
— Alors, nous y allons ou pas ? demanda la plus jeune.
— Nous n’avons pas le choix. Il faut protéger nos filles.
Les trois sorcières prirent leurs bâtons et leurs besaces, qu’elles remplirent de fourbi.
Après une journée de marche, où celle du milieu faillit tomber dans l’eau putride des marais, elles arrivèrent au centre des marais.
La cabane de Mama Yaga était plus grande que les autres. Il y avait une tour, une grande cabane et, plus loin, une plus petite, les deux reliées par un couloir. Les cris avaient cessés.
— Helga, Ocha et Cardina, entrez, ne restez pas devant, les filles.
Les trois sorcières entrèrent.
— Vous connaissez nos noms ? demanda la plus âgée.
— Je vous connais toutes. Helga, tu es la plus vieille ; Ocha, celle du milieu, tu devrais prendre des lunettes, cela t’éviterait de tomber dans l’eau ; et toi, Cardina, tu devrais dire à tes filles de prendre au moins un bain par an, leur odeur attirerait les loups sans souci.
Cardina regarda ses pieds. Elle avait beau avoir quatre cents ans, elle avait l’air d’une petite fille prise en faute, devant la vieille sorcière.
— Vous croyez vraiment que Mama Yaga est mon vrai nom ? Celui qui le trouvera aura pouvoir sur moi, et il n’est pas encore né. Que voulez-vous ?
— Il faut que tu nous aides. Les vampires ont capturé deux des nôtres. Les filles de Katralda, Oshina et Belga. Mais, plus grave, Mircea les a converties en vampire.
— C’est, en effet, préoccupant. Car les rejetons d’une telle union pourraient, si ce sont des femmes, avoir des pouvoirs de vampires et de sorcières. Vous êtes responsables de cela. Chacune vivant dans votre cabane, n’aidant pas les autres. Si toi, Cardina, tu avais allumé ta lanterne verte, alors Ocha aurait allumé la sienne, et Katralda aurait été prévenue de l’arrivée des suceurs de sang. Elle aurait allumé sa lanterne et, Helga, tu serais venue l'aider. Tes filles sont fortes, et de l'âge de Katralda. Les vampires n’étaient que trois pour enlever deux fillettes. Mais c’est chacun pour soi, dans ce marais ! Et après on vient se plaindre à Mama Yaga ! Savez-vous combien il y a de sorcières dans ce marais ?
— Nous l’ignorons, Mama Yaga, déclara Helga, penaude malgré ses 800 ans.
— Les trois plus vieilles sorcières du marais ne savent même pas de quoi il est composé ! C’est pitoyable ! Il y a 7 sorcières majeures, après moi : vous trois et quatre autres sorcières. Chacune de ces sorcières peut avoir 7 filles, les garçons étant chassés des marais. Nous en sommes à la troisième génération. Ce qui fait que chacune des filles peut en avoir 7. Cela fait 343 sorcières. Si on enlève celles qui ont été tuées et celles qui ne sont pas encore en âge de combattre, nous sommes plus de 150 sorcières. Et, d’après vous, combien sont les vampires ?
— Nous ne savons pas, Mama Yaga, répondit Ocha.
— Les vampires ont été créés après nous. Ils étaient trois au départ, et chacun peut faire 3 vampires. À la quatrième génération, ils sont maximum 81, soit moitié moins nombreux.
— Ils ont les goules pour les aider, intervint Cardina.
— Et vous, vos balais et, normalement, votre cerveau. Si vous tuez un vampire, ses goules tombent en poussière. Allez directement au chef.
— Comment savez-vous cela, Mama Yaga ? Vous n’êtes jamais sortie des marais ...
— Plus souvent que vous ne le pensez, et Mircea me déteste. J’ai tué Radu, son plus jeune fils. Voici ce que vous allez faire. Premièrement, vous allez vous rendre chez les 4 autres sorcières, en commençant par Divina, la mère de Katralda. Et vous leur demanderez de venir. Nous allons décider des règles des sorcières, et celles qui ne les respecteront pas finiront dans mon chaudron. Ensuite, je m’ennuie ici. Chacune d’entre vous me confiera l’une de ses petites filles.
— Pourquoi Mama Yaga ? Demanda Cardina, effrayée.
— Car je formerai la prochaine génération, qui sera moins écervelée que celle-là.
— Vous ne les mangerez pas ?
— Je ne suis pas une femme garou, je ne mange pas les miens. Par contre, les cachots de C. regorgent de jeunes sorcières imprudentes ! Ensuite, vous élirez la mère des sorcières. Ce sera elle qui dirigera le marais. Et, enfin, vous irez tuer Oshina et Belga. Nous ne pouvons laisser ces filles grandir et avoir des enfants avec les vampires, ce serait une abomination.
Les sorcières quittèrent Mama Yaga, se dirigeant vers la cabane de Divina, que toutes les trois croyaient morte depuis longtemps.
Une fois Divina prévenue, Ocha déclara :
— Ne faisons pas attendre Mama Yaga. Chacune d’entre nous devrait aller chercher une des sorcières manquantes.
Les deux autres approuvèrent.
Ocha proposa à Divina de l’accompagner, afin de lui raconter comment elles en étaient arrivées là, et le sort de ses deux petites filles. Ocha avait une idée. Si votes il y avait, il lui fallait celui de Divina et celui de Karaba, la sorcière qu’elles partaient chercher. Si Helga et Cardina avaient chacune la voix de la nouvelle sorcière, avec trois voix, elle allait gagner.
Les sept sorcières arrivèrent chez Mama Yaga, accompagnées de leurs sept petites filles.
Les petites n’étaient pas rassurées. Mama Yaga les fit entrer dans la maison.
Là, une table, avec des boissons et des gâteaux, les attendait, ainsi qu’un grand miroir qui menait vers un parc avec des jeux et des balançoires. Les gamines furent rassurées.
Une dame bien habillée, avec une patience d’ange et un grand sourire, leur annonça qu’elles iraient dans un château, près du parc, pour apprendre à être de vilaines sorcières. Puis, elles retourneraient dans le marais. Et que, pendant ce temps, elles seraient protégées des autres monstres. Les fillettes applaudirent, elles adoraient déjà cette dame, même si elle avait deux bosses dans le dos.
Mama Yaga regarda les adultes.
— Alors, avant de partir, nous devons décider de qui sera notre chef.
— Je vote pour Ocha, déclara Divina.
— Moi aussi, suivi Karaba.
— Je vote pour Mama Yaga, déclarèrent unanimement Helga, Cardina, Soufrila et Golda.
— Je suppose que tu votes pour toi, Ocha ?
— Non, je vote pour vous, mère sorcière.
— Je n’ai pas dit que nous allions désigner la mère sorcière, mais notre chef d’expédition. Non seulement tu es fourbe, mais, en plus, tu n’hésites pas à trahir celles qui t’ont aidé. Je te retire tes pouvoirs de sorcière, tu me serviras. Voit la chaine qui s’attache à ta cheville, tu la garderas mille ans. Ensuite, si je suis clémente, je te rendrai tes pouvoirs. La mère des sorcières … Je ne veux pas de ce titre, il m’est inutile. J’ai toujours refusé le commandement des marais. La mère des sorcières pense aux autres avant elle et à la protection de la communauté. Je vais refaire le plan des marais, afin que les gardiennes soient toutes aux pourtours et les défenderesses prêtes à bondir. Ainsi, les guérisseuses et les herboristes seront protégés.
— Alors, demanda Helga, qui sera la mère des sorcières, si ce n’est vous ?
— Ce sera celle qui tuera Oshina et Belga, répondit Mama Yaga, lugubre.
Chacune rentra chez elle. Mama Yaga demanda à Helga de passer prévenir les sorcières du clan d’Ocha.
Un vol de plus de 150 sorcières s’éleva des marais. Mama Yaga leur avait indiqué la demeure de Ianos, le plus grand des vampires, et celui qui devait détenir les deux sorcières. Il y eu un combat titanesque. Une trentaine de sorcières perdirent la vie, dont Soufrila, Katralda et Divina.
Près de la moitié de la nation vampire périt. C. dut intervenir et sauver le jeune Vanceslas et deux de ses frères. Ils furent emprisonnés dans son château afin d’apprendre que l’équilibre du comté de la nuit interdisait de transformer des sorcières en vampires.
Ce fut Cardina qui devint la mère sorcière. C. lui confia un nom magique, qui empêchait les autres sorcières d’avoir pouvoir sur elle. Mama Yaga lui céda sa cabane et partit, dans la forêt du nord, vivre dans une cabane reculée.
Le calme revint dans la lande et dans les marais. C. et Mama Yaga espéraient que la prochaine génération serait plus sage.
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