L'amour de la sorcière
James, le bibliothécaire, vit arriver le jeune Titouan d’un pas lourd.
— Des soucis, mon bonhomme ?
— J’ai eu un zéro, en classe…
— C’est étonnant, tu es plutôt bon élève !
— Je vais être puni !
— Je pense que, vu tes notes, tes parents pourront oublier celle-là …
— J’espère !
— Qu’est-ce que tu n’as pas compris ?
— Fallait écrire un conte et, à la fin du mien, le chevalier épouse la sorcière. Le professeur a dit que ce n’était pas possible et que j’étais hors sujet.
— C’est la nouvelle ?
— Oui !
— Je ne l’aime pas beaucoup. Tu peux me laisser ton devoir ? J’aimerai le lire.
Titouan ouvrit son cartable et mit le devoir avec l’infâme mauvaise note sur le bureau. Le bibliothécaire prit un livre en cuir dans sa réserve personnelle et le tendit à Titouan. L’enfant se mit dans un des fauteuils et commença à lire.
Soudain, une lumière bleue l’entoura et il se retrouva, en armure, devant une porte. Un homme, en armure également, ouvrit la porte et lui ordonna :
— Allez chercher le lieutenant Mesraël. Notre prince le demande.
— Je ne sais pas où il est, répondit le jeune garçon, paniqué.
— Le matin, il doit se trouver à l’entraînement des jeunes recrues. Dépêchez-vous !
Titouan se mit à courir. Il se guida au son des épées en bois qui s’entrechoquaient.
Il passa devant un miroir et découvrit qu’il était adulte. Il ressemblait à son père, qui était gendarme. Il trouvait l’uniforme de soldat plus sympathique. Au moins, il ne serait pas obligé, comme son père, de taper sur des manifestants. Tout ça parce que le président n’était pas d’accord avec eux.
Il se présenta au sergent, celui-ci appela un homme, de type méditerranéen, qui portait une armure rutilante. Titouan l’avait remarqué, parmi la foule d’apprentis habillé d’armures en cuir bouilli. Le lieutenant partit au pas de course, suivi par le jeune garçon.
Quand il entra, à la suite du paladin, il vit le monarque du lieu et une dame très élégante, avec une robe blanche et des ailes de papillon rappelant le cristal.
— Messire, depuis quand un garde entre-t-il dans le bureau, sans y être invité ?
— J’ai ramené le lieutenant, comme vous me l’avez demandé, balbutia le jeune garçon, confus.
— Il est convoqué, vous non !
— Général, maintenant qu’il est là, autant qu’il reste ! déclara le souverain. Il vient de se porter volontaire pour aider le lieutenant dans sa périlleuse mission.
— Majesté, j’agis seul.
— Pas cette fois ! Vous allez devoir porter le globe d’éternité au gardien des ombres. Nous allons détruire les sorcières.
— Pourquoi elles ? demanda le lieutenant, qui avait peine à cacher son émoi.
— Nous y sommes obligés. La terrible fée va donner l’assaut rapidement, et les sorcières sont trop dangereuses. Nous allons les exterminer, et espérer que nos troupes s’occupent du reste.
— Bien, majesté. Nous vous ferons honneur.
Titouan salua et sortit, suivi par le paladin.
— Je vais devoir te faire confiance. Nous allons voir une amie, dans le comté de la nuit.
— Il n’y a pas que des monstres là-bas ?
— Mon amie est une fée assez particulière. Tu verras bien. Comment t’appelles-tu ?
— Titouan, lieutenant.
— Tu peux m’appeler Mesraël.
Deux chevaux étaient déjà prêts. Titouan comprit que, ce que savait l’homme, il le savait aussi. Ainsi, il put monter à cheval, sans avoir jamais monté ne fusse qu’un poney.
Ils se dirigèrent vers une route de briques jaunes et Titouan put constater l’ampleur de la guerre. Des gens inquiets, des enfants orphelins qui mendiaient au bord de la route, des femmes habillées de noir en pleurs, des troupes qui revenaient blessées du front et des soldats qui y partaient le cœur lourd ...
Les deux hommes s’arrêtèrent dans un fortin, proche du ravin qui séparait les deux parties de l’île. On leur prépara une chambre.
— Pourquoi une fée vit-elle dans le comté de l’ombre ?
— Tu es un voyageur, un créateur qui remplace le chevalier ?
— Oui. Comment savez-vous ?
— Je suis paladin, les chevaliers les plus puissants, et je suis leur chef. Si tu étais de notre monde, tu n’aurais pas posé la question. Le comté de la nuit est dirigé par C. une fée rebelle. Celle que l’on va voir est son amie. Elle refuse de prendre parti dans le conflit qui oppose C. à la grande fée.
— Je comprends, mais pourquoi est-elle dans le comté de la nuit ? Elle est punie ?
— Je doute qu’elle ait été punie un jour. C’est la première sorcière du royaume, la mère de toutes.
— Mais vous avez dit que c’était une fée ?
— Il y a très longtemps, le royaume était dirigé par deux jumeaux, Big et Bang. Bang, qui habitait le comté de la nuit, était furieux contre Big, pour une histoire de nom de viennoiserie. Il prépara une nouvelle créature, une femme méchante aux pouvoirs maléfiques. Il fut appelé par sa tutrice. Big passa par là et, voyant les ingrédients, comprit ce que son frère voulait faire. Il prit de la poudre de fée dans sa poche et en versa une grande quantité dans le mélange, puis il partit rejoindre sa tutrice. Son frère présenta des excuses, riant de la future blague. Big les accepta et présenta les siennes. Bang comprit le soir même que sa création ne lui servirait à rien. Elle serait une sorcière devant lui, mais une fée devant son frère. Il envoya mon amie dans le marais.
— Comment vous êtes-vous rencontré ?
— J’étais jeune soldat, et le prince m’envoya dans le comté de la nuit pour aider une fée. Les rumeurs parlaient d’une cabane dans la forêt du nord, où les chevaliers avaient trouvé leur bonheur. Je m’y rendis et j’ai découvert Mama Yaga. Elle m’accueillit et m’aida dans ma quête. Ma victoire me permit d’intégrer l’école des paladins.
— Et son côté sorcière ?
— Ce sera demain, dormons !
Titouan ne dormit pas, cette nuit-là. Il voulait savoir ! Et les bruits des combats, avec le bruit des trolls et les hurlements des ogres, n’aidèrent pas le jeune garçon a trouver le sommeil.
Tôt le lendemain matin, ils passèrent le pont de pierre, qu’un troll habillé en jardinier finissait de construire.
— Bonjour Messire, je m’excuse encore pour tout le travail que je vous donne.
— Bonjour, Urbain. Ne t’excuses pas, tu n’es pas responsable de la guerre. Et, en plus, tu nous bâtis un pont en pierres solides. Tu voulais juste un vieux copain.
— Un potager, monsieur, un potager. Bonne journée, monsieur.
Si le conflit couvait depuis une bonne dizaine d’années, c’est l’arrivée d’Urbain, qui fuyait les persécutions de ses congénères, qui va lancer le combat final, pour lequel tous se préparaient.
— Une fois passé le pont, nous serons en territoire ennemi. Je vais aller prévenir mon amie, avant d’amener le globe à la tour.
— Elle va prévenir les autres sorcières, alors.
— C’est possible. Mais, si c’est un bon jour, elle ne préviendra que les bonnes, et leur dira de rester dans les marais.
— Et si c’est un mauvais jour ?
— Alors, nous finirons dans un chaudron, plaisanta le paladin.
La plaisanterie ne fit pas rire le jeune garçon, qui voyait, de loin, les ogres se battre contre les soldats et les faire voler dans les airs.
Au lieu de continuer vers les fortins, le chevalier se dirigea vers une tour glaciale, à la lisière de la forêt. Ils y passèrent la nuit.
Pendant que le dîner cuisait sur le feu, Titouan demanda :
— Et son côté sorcière ?
— Je suis revenu la voir plusieurs fois et, à chaque fois, elle m’accueillait avec chaleur. Je lui apportais toujours du chocolat ou des bonbons.
— Vous lui faisiez la cour ?
— Pas encore. Justement, ce jour-là, je voulais marquer le coup. Je venais d’être nommé Paladin du grand chêne. La maison me semblait avoir bougé. Alors que, d’habitude, sa grande porte rouge et ronde s’ouvrait vers nous, là, je ne vis que son dos. J’entendais des cris à l’intérieur. Je sortis mon épée et entrais dans la maison. Je vis une vieille folle édentée qui frappait deux enfants, pendant qu’un troisième, enchaîné, passait le balai. Je me suis demandé si je ne m'étais pas trompé. La décoration de la demeure était étrange : un chaudron bouillant, point de lit avec un édredon cousu, mais des petits crânes sur les étagères, servant de bols ou de porte bougies, des tas d’os dans les coins. J’allais pourfendre la sorcière quand je vis ses yeux : c’était Mama. Je rangeai mon épée et lui tendis la boîte de caramels qu’elle aimait tant. La sorcière les regarda un instant et je lui tendis les roses. La vieille folle sourit et, d’un seul coup, le décor changea pour devenir la maison accueillante que j’avais toujours connue. Mama se tenait au milieu de la pièce et, voyant les trois enfants pleurer, elle me déclara qu’elle avait de la visite, qu’il fallait faire chauffer du thé et faire cuire des gâteaux. Nous sentîmes tous la maison se soulever et faire un tour sur elle-même. Elle invita les garçons à se laver les mains et à s’asseoir. Tout était redevenu normal. J’appris qu’un mage, transformé en poulet, se trouvait sous la maison. C’est lui qui prévenait les visiteurs de l’humeur de la maîtresse des lieux. Nous avons passé plusieurs nuits ensemble dans la paille. J’ai toujours su contrôler son côté sorcière.
— Vous l’aimez ?
— Oui. C’est pour cela que, malgré mon serment, je vais désobéir à la grande fée.
Au matin, ils continuèrent leur voyage. Ils se rendaient dans la forêt des hommes garous.
— Ne t’inquiète pas, ils sont tous sur le front.
Arrivé à la cabane, Titouan fut rassuré de voir que la porte était dans le bon sens.
Une vieille sorcière, accompagnée d’un vieil homme habillé d’un pagne et d’un homme fort bien vêtu, avec de grandes canines , sortirent de chez Mama.
— Ces trois-là, ensemble, et sans se battre ! Ça n’augure rien de bon …
— Qui sont ces gens ?
— Galthédoc le seigneur loup, Mère sorcière, la reine, et Vanceslas, le souverain des vampires.
— C’est dangereux …
— D’habitude, ils se font la guerre. Là, c’est louche.
Mama accueillit Mesraël avec plaisir.
— Mon aimé, si tu n’as pas pris le temps de m’apporter mes caramels, c’est que l’heure est grave.
— La grande fée veut se servir du globe d’éternité pour tuer les sorcières.
La maison fit un demi-tour si rapide que tout vola en éclat. Mama était méconnaissable.
— Très bien ! Alors tu vas me donner le globe et je vais m’en servir. Nous allons nous débarrasser des ogres des montagnes plus tôt. Quant à elle, je vais m’en occuper.
Mesraël fit signe à Titouan qu’il était temps de partir. Ils portèrent le globe modifié à la tour, et les ogres des montagnes tombèrent comme des mouches. La grande fée fût étonnée de voir les sorcières s’amasser à la frontière malgré son sortilège, et comprit que Mesraël l’avait trahie.
Le paladin et Titouan retournèrent au comté des fins heureuses. Ils croisèrent Mama sur le chemin, vêtu de son tablier.
— La guerre est finie. La grande fée a sacrifié Urbain pour lancer un sortilège au pont. Aucune personne, avec de mauvaises intentions, ne peut plus le franchir. Tant pis, j’attendrai. Tu vas y retourner.
— Je suis paladin, je trouverai bien.
— Je passerai ton bonjour à ta petite fille.
— Embrasse-la bien pour moi.
— Au revoir, jeune garçon. Et bon retour dans votre monde.
Titouan voulait connaître la fin et en apprendre plus sur la petite fille de Mesraël. Mais il fermait déjà les yeux et se retrouva dans la bibliothèque. Il emprunta le livre au bibliothécaire et lut l’histoire à sa classe. Son professeur, convaincu, changea sa note de zéro à vingt.
Titouan se demandait si la grande fée avait pardonné au paladin.
D’un côté du ravin, une vieille dame attendait, avec sa petite fille, que son amant revienne.
De l’autre, un chevalier enfermé dans une flûte attendait le vœu qui l’en délivrerait.