Joffrey et le chasseur
Cela faisait un moment que Joffrey n'avait pas revu la princesse Chrysanthème.
Une fois arrivé dans les deux comtés, il se rendit au château. Ouf, l’imperturbable, lui déclara que la princesse ne pouvait le recevoir car personne ne savait où elle était. Elle était partie, un matin, avec l’une de ses servantes, et personne ne l’avait revu depuis.
Joffrey, qui n’avait pas revu la princesse depuis ses dix ans et leur rencontre aux pays de Rakugo Sama, se décida à partir à sa recherche.
Il se dirigea vers le comté de la nuit et la demeure de Mama Yaga.
Une fois arrivé chez la sorcière, il vit un homme dont il avait entendu parler : le Chasseur, cet homme mi vampire, mi sorcier. Pourquoi un tel monstre était-il là ?
— Bonjour Mama, la princesse a disparu. Pourriez-vous m’aider ?
— Je le peux, et mon ami, ici présent, pourra également.
— C’est le Chasseur …
— Justement, mon jeune ami. Qui mieux que moi pourrait trouver une proie ? Le néant a emporté les sorcières, mais aussi ma malédiction. Je ne suis plus le Chasseur.
— Votre malédiction ?
— Oui. Il y a longtemps de cela, j’étais un jeune vampire encore adolescent, mon père Ianos était un seigneur respecté. J’étais, à ses yeux, une déception. Il envisageait de nommer Vanceslas, mon petit frère, à sa suite. Un jour, je suis parti. Je voulais lui ramener le cœur encore chaud d’une jeune sorcière.
À cette idée, le jeune Joffrey trembla.
— Je fus attrapé par la mère sorcière de l’époque, et j’allais mourir, quand Mama est intervenue. J’étais le fils du Prince et me tuer aurait provoqué une guerre. La solution fut pire que la mort. Je devins le Chasseur, un être redoutable, armé du pouvoir des vampires et dirigé par les sorcières. Je devais leur payer un tribut mais, une fois celui-ci payé, les autres victimes étaient pour moi. L’argent ne m’importait guère, je voulais le pouvoir, car j’étais devenu accro à la traque. Le néant m’a délivré du pacte.
— Vous restez un vampire.
— C’est vrai. Je pense que tu ne voudrais pas me confier Marie, ta petite sœur. Mais réfléchis, serait-il sage de choisir quelqu’un d’autre que le plus grand chasseur des deux comtés ?
Joffrey fut effrayé quand le monstre prononça le nom de sa petite sœur. Il reconnut cependant que, pour trouver la princesse, il n’aurait pas meilleur allié dans le comté de la nuit.
— J’accepte, si tu fais ici le serment que tu n’essaieras pas de me tuer ou de me faire tuer.
— Je le jure, par mon sang.
Joffrey remercia et salua la sorcière.
Puis, ils partirent à la recherche de la princesse.
— C. est de nouveau la maîtresse du château et, avec son fils Colin, tout le monde se tient droit. Il faut quelqu’un de particulièrement fourbe pour enlever celle qui a vaincu le néant et désobéir à C.
— Où va-t-on ?
— Voir la fée C. justement.
Cela avait l’air de n’enchanter ni l’un ni l’autre, et de leur rappeler de cuisants souvenirs.
Le château était gardé par deux spectres pourpres. Le chasseur avait, par le passé, travaillé avec eux. L’usine à cauchemars avait employé des esclaves, surveillés par les spectres. Le néant avait libéré les esclaves, qui passaient des jours paisibles dans le comté des fins heureuses.
À présent, c’était les prisonniers et les vilains garnements qui travaillaient dans l’usine.
Une fois entrés, un croque-mitaine, habillé en chambellan, les reçut.
— Que voulez-vous ?
— Nous venons voir notre souveraine.
— Avez-vous rendez-vous ?
— Non, mais c’est urgent. Un membre de la famille royale est en danger !
— Je peux vous proposer un rendez-vous mardi dans deux ans, à 14h.
Joffrey souffla quelque chose à l’oreille du vampire.
— Tu es sûr ?
— Oui.
— Et j’amène mon ami ici présent, car il a commis une faute.
— Là, c’est différent. Je vais vous conduire à C.
Le majordome les conduisit auprès de la souveraine.
La salle du trône perturba le vampire. Ce n’était plus la salle froide de jadis, garnie d’engins de torture. C’était un lieu accueillant, voire féerique, avec des canapés en velours, des tables basses, un bar, des bibliothèques garnies de livres et un espace de jeu pour les enfants.
Seule une barre de prétoire rappelait que l’endroit servait aussi de tribunal.
— Tombal, te serais-tu reconverti en croque-mitaine ?
— Non, ma reine. Un jeune voyou, avec qui je partageais ma quête, a commis une faute impardonnable et je me devais de vous l’amener.
— Je vois ! Qu’a t’il fait ?
— Il a menti, ma reine.
— Un crime impardonnable, en effet.
— Je demande la clémence. C’est pour la bonne cause. La princesse a disparu. Nous la recherchons.
— Très bien. Mais une faute reste une faute. Il recevra vingt coups de bâton. Tu le présenteras au spectre, une fois la princesse retrouvée.
— Bien, ma reine. Afin que sa juste punition soit appliquée rapidement, pourriez-vous nous mettre sur la voie ?
— Chrysanthème n’est pas dans le comté de la nuit. Tu devras aller la chercher de l’autre côté du pont.
Tombal fut effrayé. Il remercia sa souveraine et sortit, accompagné du jeune garçon.
— Un souci ?
— Je n’ai jamais passé le pont. J’ai peur.
L’homme semblait sincère. Joffrey tenta de le rassurer, pendant le chemin qui les séparait du pont. Il prit le vampire par la main, et ils passèrent sous l’arche du troll. Les intentions de l’ancien chasseur étaient assez bonnes et il passa l’épreuve.
Le chasseur prit la route jusqu’aux montagnes du nord. Ils saluèrent la communauté d’ogres de Dames Brunhilde. Chasseur prit une bière avec la dirigeante du clan, pendant que Joffrey jouait aux ballons avec de jeunes ogres. C’était une version spéciale du basket, où il fallait aussi échapper aux coups de massues.
Après la victoire de Joffrey et avec les renseignements de l’ogresse, ils continuèrent vers une immense grotte. Là, Joffrey eut la surprise de découvrir un dragon blanc gigantesque.
— Voici le gardien du feu.
— Il est impressionnant !
— Il vaut mieux ne pas le contrarier.
Le dragon pencha sa tête vers les deux hommes. Elle était deux fois plus grande que Chasseur. Joffrey se trouvait minuscule.
— Le Chasseur qui vient à moi. Un personnage sombre ...
— Un jeune garçon qui fut maudit, et qui cherche sa rédemption.
— De bien nombreuses victimes ...
— Je suis vampire, et les lois de la survie impliquent des sacrifices. J’ai décidé de me mettre au service des fins heureuses et de racheter mes fautes, Majesté. Le pont a reconnu que ma cause était juste. J’aide ce jeune garçon à retrouver son amie.
— Est-ce vrai, mon jeune ami ?
— Oui, votre majesté.
— Qui veux-tu retrouver ?
— La princesse Chrysanthème.
— Alors je ne peux t’aider. La famille royale est protégée.
— Nos excuses pour le dérangement, votre majesté, répondit Joffrey déçu.
— Au revoir, votre majesté. J’espère vous prouver ma rédemption.
— Nous avons le temps, tous les deux, de voir ce jour venir.
Les deux aventuriers quittèrent la grotte.
— Nous allons nous rendre en ville. Je vais me mettre au service de la reine Lilith. Nous glanerons certainement des renseignements en route.
Le soir suivant, Joffrey et Chasseur étaient au coin du feu.
— Cela n’a pas de sens ! Pourquoi une personne du comté des fins heureuses enlèverait la princesse ? C’est elle qui a vaincu le néant. Même les monstres la vénèrent.
— Et pourquoi enlever une servante ?
— Une servante ? Tu ne m’as pas parlé d’une servante.
— La suivante de la reine a été enlevée avec elle.
— Pourquoi ne pas l’avoir dit au dragon ? Il aurait pu trouver la suivante.
Joffrey compris son erreur.
— Ce n’est pas grave. Demain, j’essaierai de trouver la servante.
Arrivé au château, Tombal demanda des nouvelles de la souveraine. Nul ne savait où elle était. Le chasseur demanda à voir leurs majestés et il lui fut indiqué qu’elles n’étaient pas au château. Il demanda à voir la chambre de la suivante de la reine. Le chambellan demanda à une servante de l’y mener. Joffrey trouva que la chambre de la suivante était assez luxueuse. Il s’attendait à un simple lit en bois et une cruche, mais il entra dans une chambre avec plusieurs armoires, une salle de bain et un grand lit à baldaquin. Une porte permettait, via un couloir, d’accéder à la chambre de la princesse qui était encore plus grande et possédait un boudoir, un petit salon et une pièce entière, remplie de vêtements.
Le chasseur apparut derrière Joffrey.
— Ce n’est plus la fille que tu as connu. Son meilleur ami s’est sacrifié et elle a dirigé seule le royaume pendant la guerre du néant.
— Nous allons la retrouver.
— Je pense. J’ai, du coup, repérer la suivante. La chasse peut commencer.
Un frisson parcourut le jeune garçon, en entendant ces mots.
Le chasseur et lui sortirent de la ville. Les traces laissées pas la servante les conduisirent à une chaumière en bordure de la forêt des gardiens. Là, quatre chevaux broutaient le gazon. Les deux hommes entrèrent par la porte ouverte.
— Bonjour, nous cherchons la princesse, demanda Joffrey.
— Joffrey ! Comment allez-vous depuis notre aventure au pays du soleil levant ?
— Je vais bien. J’ai eu une petite sœur, elle s’appelle Marie.
— J’aurais aimé avoir une petite sœur, ou un petit frère ...
— Qui vous retient ici, princesse ?
— Chasseur, personne ne me retient. J’ai quitté la cour pour me reposer de la guerre du néant. Au château, je suis toujours sollicitée pour des remerciements, des bals… Je suis venue ici, avec ma chère suivante. Un peu de vacances, au calme.
— Je suis étonné que le Chambellan n’ait pas envoyé des chevaliers dans tous le royaume.
— Car je lui ai demandé de ne pas le faire, dit une voix derrière eux.
Les deux aventuriers se retournèrent pour voir le roi arriver, finissant de se sécher les mains dans un torchon.
— Je ne pouvais prendre de vacances sans prévenir mes parents. Eux seuls sont au courant.
En effet, la reine, habillée d’une magnifique robe verte, arriva de la cuisine. Le roi lui tendit le tissu.
— Votre majesté, vous ne portez plus de noir ?
— Cette couleur était pour la Reine Sombre. Je suis la Reine Lilith, désormais. Grâce à Victor, je n’ai plus que de bons souvenirs en moi. Mon précieux premier Noël, et tous les moments de tendresse qu’il a passé avec ma fille ... Qui, comme à moi, lui a donné bien du souci …
La princesse regarda vers le lointain puis, voyant son amie arriver …
— Ma douce amie, nous avons deux personnes de plus pour le repas. Mon ami Joffrey et son ami Tombal.
— Je vais mettre deux couverts de plus, alors.
Joffrey et Chrysanthème se promenèrent après le repas, et purent discuter de ce qu’il s’était passé entre leurs deux rencontres. Si, pour Joffrey, un an avait passé, pour la princesse c’était presque dix années qui s’était écoulées.
Pendant ce temps, Chasseur avait prêté serment. Ce serait le premier vampire à intégrer la garde royale. Joffrey remercia la suivante de l’avoir accueilli et il s’excusa d’avoir perturbé ce repas familial. La princesse lui offrit un baiser et, alors que Joffrey regagnait son monde, les autres repartaient au château.
Pour la princesse, les vacances étaient finies. Pour Chasseur, une nouvelle vie s’offrait.
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