Ismael
Il avait pris le nom d’Ismaël et avait accompli ce que l’on attendait de lui. L’homme semblait avoir une quarantaine d’années. Il était bien habillé et propre, ce qui n’était pas dans les standards de l’époque.
Il regarda la carte du royaume, affichée devant la mairie du village. Il se trouvait au sud des mines de sables. Il décida de monter vers le nord en passant par le lac étoile et la forêt aux champignons.
Il y avait deux villages, au nord, où il trouverait sans doute du travail. Son dernier recours serait de se rendre dans la ville des fins heureuses.
Il prit son sac avec ses affaires et prit la route. Il passa devant les énormes tas de sable sortis des mines. Il en fallait pour endormir tout le monde chaque soir. Il mit un foulard pour éviter d’en respirer. Il prit un tube à essai dans son sac et le remplit de sable. Il plaça le tube dans l’une des poches intérieures de sa redingote.
Il continua son voyage et, après deux jours de marche, arriva devant le lac étoile. Il était magnifique. L’homme se dévêtit pour y plonger. Il nagea pendant un moment et avisa l'île au centre du lac. Il ne trouva aucune embarcation pour s’y rendre.
Les légendes sur l’endroit racontent que le puits, au centre de l’île, donne un objet magique à chaque cœur pur qui en actionnera la chaîne.
Il prit une nuit de repos et décida de nager jusqu’au centre du lac.
Là, il découvrit une chaîne en or, qu’il tira. Un coffre se trouvait là. Ismaël l’ouvrit et découvrit une redingote aux couleurs bariolées et une tenue aux couleurs vives. Il prit les habits et retourna à la rive pour découvrir que ses propres vêtements avaient été dérobés par des malandrins. N’ayant pas le choix et ne pouvant décemment pas se présenter en caleçon long devant un futur employeur, le dénommé Ismaël enfila son nouveau costume.
Il sentit un pouvoir en lui, comme si le savoir de centaines de générations de chambellans était entré en lui.
Il continua sa route pour arriver dans une clairière remplie de champignons. Il décida de s’y asseoir pour se reposer et manger quelques baies récoltées sur le chemin. Il entendit une voix hurler :
— Frotlotzout de Frotloutzot !
Il découvrit un homme de petite taille à la peau bleue, habillé sommairement.
— Désolé, mon brave, je ne vous avais pas vu.
— Zlotfrotlout ! Hurla le petit homme.
— Pourrais-je parler à votre chef ? demanda Ismaël. Aurait-il besoin d’un majordome ?
— Lot Potion, déclara l’homme en tournant les talons.
Le majordome regarda le petit homme repartir vers le cercle de champignons et revenir vers lui traînant, avec peine, une petite bouteille où il était écrit “Buvez-moi”.
L’homme en but le contenu et, l’instant d’après, il était à la taille du lutin. Ce dernier lui fit signe de venir. Il le suivit et comprit alors que le cercle de champignons était leur village. Il vit un marché, une école, et même un temple.
Tout y était rudimentaire, mais tout était là. Il fut conduit devant un vieux monsieur qui portait une couronne sur la tête. Il fumait une pipe immense.
— Tu as demandé à me voir, étranger ?
— Oui, je suis confus. Je ne savais pas que cette clairière était votre village.
— C’est pourtant indiqué. Tu es chanceux que ce ne soit pas la période de reproduction des louves. Nous sommes sur leur territoire. Les mâles vous auraient dévoré.
— Je suis confus. On m’a volé mes habits, près du lac alors que je nageais, et j’ai dû mettre ceux-ci à la place.
— Et tu as quitté le chemin …
— Oui !
— C’est toujours imprudent de quitter un chemin, surtout dans le comté de la nuit.
— Vous parlez notre langue ?
— Je les parle toutes, celle de mon peuple, celle des humains et celle des animaux.
— C’est impressionnant !
— Je peux aussi te donner ce don, avant que tu ne repartes. En échange, il te faudra rester un an parmi nous.
— Je risque d’avoir besoin de beaucoup de nourriture.
— Ton appétit a diminué avec ta taille. Ici, avec un seul marcassin, nous mangeons pendant une semaine. J’espère que tu aimes le whisky ?
— Je n’aime pas l’alcool.
— Tu apprendras à l’aimer.
L’une des filles assises dans l’assemblée se leva.
— Voici Persépine, ma fille. Elle va vous préparer une case vide.
— Merci, majesté.
Ismaël suivit la jeune fille. Elle passa dans la partie privée de la maison. Elle lui prit un bol, des couverts, une chope et un nécessaire de toilette, qu’elle lui tendit. Elle rajouta deux paires de draps, une couverture et un oreiller. Ismaël commençait à sentir le poids des objets.
— Ne vous inquiétez pas, votre maison n’est pas loin.
— Merci.
En passant devant le puits du village, elle tira un seau d’eau et le prit.
— Vous connaissez ma langue, vous aussi ?
— Oui. Papa nous l’a apprise, comme les autres langues de la forêt. J’enseigne votre langue à mes enfants et mes neveux.
— Vous travaillez à l’école ?
— Non, je travaille ici. À l’école, les instituteurs ne comprennent que notre langue et celle des loups, nos voisins.
Ismaël allait dire quelque chose, mais il se tu.
— Voici votre maison.
Elle lui présenta un champignon. L’intérieur était sommaire : un lit, une table, une chaise et une armoire.
— Pour cuisiner ?
— Ce sont les femmes qui cuisinent. Tous les soirs, vous vous rendez sur la place et vous mangez ce qui a été préparé.
— Tout le village mange ensemble tous les soirs ?
— Oui. On y parle de la journée, des travaux de celle du lendemain, on y règle les conflits et on danse. Puis, chacun rentre dormir chez soi.
— Combien vous avez d’enfants ?
— Deux : Erzémine et Alhéo.
— Je serais ravi de les voir, ainsi que votre époux.
— Ce mot n’existe pas ici.
Ismaël sentit le rouge monter à ses joues. Il remercia Persépine qui rentra chez elle.
Il passa un an avec le chef du village, comme promis. Il fut son majordome, du mieux qu’il put, car dans cette communauté ne recevait presque jamais de visiteurs, et ils étaient libres de venir voir leur chef dans la salle commune, quand ils le voulaient.
Il s’attacha à Persépine et apprit les rudiments de la chasse humaine à Alhéo. Il apprit à boire du whisky et à fumer la pipe.
Le dernier soir, Persépine et ses deux enfants l’emmenèrent sur le chemin. Et là, elle lui tendit un gâteau.
— Persépine, je dois me trouver un travail dans mon monde. Je reviendrais vous voir, je …
— Inutile de le dire, le coupa-t-elle. Si tu reviens, la porte du village te sera toujours ouverte. Va voir le mage du palais des fins heureuses. Il te donnera une bouteille pour revenir.
— Merci pour tout, déclara Ismaël, avant de manger le gâteau.
Il reprit sa taille et partit sur le chemin, en direction du village le plus proche.
À peine arrivé au village que son ami lui valut d’être moqué par les enfants qui lui jetèrent des tomates sans qu’aucun des adultes ne lui fassent de remontrance.
Il trouva la maison du chef du village, un homme patibulaire, grossier et avec un manque d’hygiène certain.
— Bonjour monsieur, je suis Ismaël, je recherche un emploi de majordome.
— Majordome ? C’est quoi ?
— Un maitre de cérémonie qui accueille les invités , veille aux repas, prépare les rendez-vous ?
— C’est pour cela que vous êtes habillé en femme. Ici nous ne voulons pas d’homme qui veut prendre le travail de nos charmantes épouses. Le dernier béni les champs par les pieds.
— Je m’excuse de vous avoir fait perdre votre temps.
Le majordome se retira, ne voulant de toute façon en aucune façon travailler pour un tel butor.
Il se dirigea vers le village suivant. En voyant la pauvreté des habitants et l’absence d’école il comprit que ce n’était pas la peine d’aller voir le chef de ce village.
Il quitta l’endroit rapidement.
Il trouva une clairière et vérifia qu’aucun cercle de champignons ne s’y trouve. Il se posa pour réfléchir. Il sentait qu’il avait fait une erreur en quittant de village de Persépine.
Il trouva la route de briques jaunes et pris la direction du palais. Il travaillerait un temps pour un client de quoi payer la potion de rétrécissement, retournerait au village pour ne plus le quitter.
Le chemin fut long surtout qu’avec sa taille son appétit normal avait repris.
Il fut étonné quand il arriva dans la ville des fins heureuses. Personne ne se moquait de lui. Il arriva au palais pour découvrir un homme complètement affolé.
— Monsieur, dite moi que vous venez avec la livraison des petits pâtés.
— Non je suis Chambellan pas charcutiers.
— Très bien avez-vous un travail
— Euh non je viens voir.
— Alors c’est parfait, je vous embauche. La grande fée notre souveraine vient au château, elle a une annonce de la plus haute importance à faire. déjà qu’au grand chêne, On dit qu’elle est devenu malade. Et nous attendons du monde. Même une délégation du comté de la nuit, le roi des lutins du nord, le seigneur loup , la reine des elfes. Je suis débordé et la livraison de petit pâté qui n’arrive pas. Il me faut cinq petits pâtés sur chaque assiette quand les gens vont rentrer dans la salle du diner.
— Il me semble que les elfes et les lutins ne mange pas de viande. Leur culte leur interdit.
— Vous en êtes sur ?
— Certains.
— C’est énervant. Le repas est composé de plusieurs morceaux de viande. Et le protocole exige que chaque convive est exactement le même repas que tout le monde. Je ne me vois pas accueillir le seigneur loup Galthédoc avec de la salade.
— Chaque convive doit avoir exactement le même repas que les autres personnes de la table.
— Oui c’est cela.
— Alors pourquoi ne pas faire des tables rondes une part délégation où à chaque table chaque convive aura exactement la même chose que son voisin.
— C’est affreux, le repas est dans huit heures.
— Alors il ne faut pas trainer. Demander à deux marmitons d’aller chercher les petits pâtés à la charcuterie. Ensuite, envoyer une dizaine de serviteurs chercher les tables rondes puis préparer une armée de servante avec l’argenterie qui se tiendront prête à dresser les tables. Prévenez le chef des nouveaux menus, qu’il envoie le reste des marmitons chercher les courses qui pourraient lui manquer au marché.
Devant l’air interdit de son interlocuteur, il rajouta.
— Où laissez-moi la direction des opérations.
— Avec joie déclara le vieil homme.
Ismaël fit ce qu’il avait dit et une heure avant l’arrivée des premiers invités la salle du diner était prête. Ismaël avait revêtu sa tenue nettoyé par l’une des femmes de chambre. Il annonça à chaque invité sans faire une seule erreur.
La grande fée arriva. Tout le monde remarqua sa pâleur extrême. Elle était accompagnée d’un humain visiblement un créateur.
Au milieu d’un diner sans fausse note. Elle prit la parole.
— Je vous présente Roi, il sera le nouveau prince des fins heureuses et votre souverain. Je renonce au titre de souveraine du royaume des deux comtés. Je demande au membre du comté de la nuit de bien vouloir prêter allégeance aux nouveau souverain. Je resterai une lune encore ici pour m’assurer que chaque chose reste dans l’ordre et je partirai pour une nouvelle vie.
Toute l’assemblé fut atterré par la nouvelle. On couronna l’homme qui s’appelait donc Roi. Le reste du diner bien qu’admirablement orchestré par un Ismaël décontenancé fut fade aux yeux des convives qui avaient tous du mal à digérer la nouvelle.
La grande fée partit avant la fin des festivités, Ismaël allait annoncer son départ mais la vieille dame le retint.
— C’est mieux ainsi. Vous m’avez servi peu de temps, mais vous fûtes éblouissant. J’espère que vous servirez mon successeur avec autant de brio.
— Merci votre majesté.
— Je vous en prie, appelez-moi Viviane.
Ismaël comprit toute l’importance de cette dernière phrase.
Le lendemain il fut convoqué par le prince.
— Votre majesté, au revoir.
— Bonjour mon ami j’espère que vous ne partez pas, j’ai affreusement besoin de vous.
— S’il vous plait.
— Vous me semblez étrange mais vous avez fait un travail excellent m’a-t-on dit hier soir. Vos habits ne sont pas d’une couleur classique et visiblement votre façon de parler est particulière mais je tiens à vous et appelez-moi donc Roi. C’est désormais ainsi que je m’appelle. Et vous comment vous appelez-vous ?
Ismaël réfléchit un instant et répondit :
— Ouf, votre majesté.
—
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