De Charles à Chester
Charles se retrouvait dans un cachot, la paille sentait mauvais. Il y avait une cruche, remplie d’eau sale, et un vieux bout de pain moisi. Il mangea le pain au bout de trois jours.
Au cinquième jour, il entendit des pas et on ouvrit sa cellule. Deux trolls le saisirent par une épaule et le conduisirent dans la salle principale d’un château.
Sur un trône, fait de crânes, se trouvait la femme qui l’avait mené ici. Elle portait toujours sa robe noire, mais ses bosses étaient maintenant deux ailes de chauve-souris.
— Bonjour, Charles. Je suis C. la fée gouvernante. Je suis la fée des cauchemars, des soins aux enfants, et aussi la fée C. tant redoutée.
— Je vous vois. Enfin, d’habitude, je vous tourne le dos.
— Charmant trait d’esprit. Un voyou, un fugueur, un voleur. Je vais m’occuper de toi. Point de fouet pour toi, ni de marque au fer rouge. Tu vas passer 100 ans à mon service.
— Je ne vous ai pas volé, juste essayé.
— Moi aussi, j’aime l’humour. Dans ton cas, ça doit être involontaire. Je suis l’une des deux fées les plus puissantes du royaume. Pour t’apprendre la courtoisie, tu passeras tes dix prochaines années comme chat, à chasser les souris. Et inutile d’espérer te mêler aux chats sauvages du village, ou ceux des douves. Tu seras rose et bleu. Je te verrais de loin.
Charles sentit la transformation et ferma les yeux.
Quand il les rouvrit, il avait la vision d’un chaton, et ne voyait plus que les escarpins de la souveraine.
– Tu t’habitueras. Je te déconseille l’enclos des chiens … Et, une dernière chose, désormais, je t'appellerai Chester.
L’une des choses qui posa le plus de souci à Chester, dans un premier temps, était sa queue. Il la coinça plusieurs fois dans les portes. Malgré le fait qu’il était, à présent, un animal domestique, il se trouvait chanceux. Sa maîtresse n’était pas avare de caresses et la cuisinière, même si c’était un troll, lui fournissait trois fois par jour à manger et une écuelle de lait frais.
Pendant les deux premières années, la terrible fée laissa le jeune garçon explorer son nouvel environnement.
Mais, un matin, elle lui indiqua qu’il était temps de gagner sa pitance et de commencer à tuer les souris. Chester avait mis ses deux premières années à profit pour s’habituer à sa condition de félin, et pour connaître les recoins du château par cœur.
Ce qui l’ennuyait le plus, ce n’était pas d’avoir à tuer les souris, dont il connaissait les moindres cachettes ; mais il redoutait d’avoir à les manger. Heureusement pour lui, la cuisinière raffolait de ces petits animaux. Il lui déposait ses proies, en allant chercher son petit bol de lait.
L’un de ses endroits de chasse favoris était les cachots des nouveaux arrivants, même si il était souvent obligé de se battre contre des rats. Il adorait l’endroit. Les sales garnements, une fois confinés dans une pièce minuscule à la forte odeur d’urine, même les plus fortes têtes ne mettaient pas plus d’une dizaine de minutes à pleurer comme des bébés. La terrible fée les laissait là un jour ou deux, avant de les faire venir dans la salle du trône. Là, les engins de torture, les pinces, les menottes, les tisons ardents, et les fouets finissaient d’avoir raison des plus coriaces.
Au bout d’un moment, la terrible fée convoqua le jeune garçon. Elle lui rendit partiellement son apparence humaine. Il garde néanmoins une pilosité de couleur rose et bleu, ainsi que ses oreilles et sa queue.
— Mon jeune ami, je vais faire de toi un croque-mitaine. Je ne peux être partout, dans ce monde comme dans celui des créateurs. Tu as dû le remarquer, nous avons deux types de prisonniers.
Les premiers sont les enfants du royaume des deux comtés, soit capturé par notre chasseur soit envoyé par la garde ou par leurs parents. Là, il s’agit de punition effective, nous pouvons les garder si nous le souhaitons dans nos cachots. Le deuxième type, ce sont les enfants des créateurs. Et leurs parents les punissent très bien dans leur monde. Mais il arrive parfois que l’archiviste ait besoin de faire passer un message. Nous intervenons alors auprès de ces garnements. Nous les punissons et ils reçoivent une leçon dans leurs cauchemars. Ils n’en gardent aucune trace physique à leur réveil, mais ne souhaitent en général pas revenir ici. Certains ont quelques terreurs nocturnes, dans les jours ou les semaines qui suivent. Pour l’instant, tu te contenteras d’aller chercher, sous forme de chat, les garnements du royaume des deux comtés. Je laisse à Igor le soin de t’inculquer les différentes règles afférentes et les différents châtiments pour les races de notre comté. As-tu bien compris ?
— Oui, votre majesté, répondit Chester.
Le jeune garçon était tout heureux de retrouver forme humaine. Les cours d’Igor lui rappelaient un peu trop l’école mais, comme il avait le loisir de torturer vampire, homme-garou ou sorcière, cela était juste une compensation. Il devait simplement rester sur un banc en bois pendant une dizaine d’heures par jour. Il n’avait plus l’habitude de sa forme humaine.
Une sorcière, du nom d’Olga, lui apprit également à changer de forme à volonté et à utiliser les portails propres au croque-mitaine, qui permettaient de remplir la sinistre tâche.
Au détour d’une mission, alors qu’il devait récupérer un jeune garçon de huit ans qui n'aimait pas l’école, il découvrit deux hommes qui parlaient avec le jeune humain. Les hommes réussirent à convaincre le jeune écolier de les suivre jusqu’à une fête foraine. Chester monta discrètement dans la carriole.
Au bout d’un moment, le véhicule fut rempli d’une douzaine d’enfants, qui embarquèrent en direction d’une île au sud du comté de la nuit. Il y avait là une vingtaine de manèges dont une grande roue, des milliers de bonbons et de jouets, des centaines de costumes, et une fontaine de chocolat.
Chester prit alors forme humaine et passa un après-midi de rêve, comme tous les autres enfants.
La nuit tombée, les hommes les réunirent en cercle autour du feu de camp. Il y eut des spectacles de magie, de jonglerie et de cracheur de feu, puis les enfants s’endormirent.
Au matin, ils étaient tous entravés et le chef des hommes, le grand fripon, leur annonça que leur bêtise les avait condamnés à l’esclavage. Certains seraient vendus aux sorcières ou aux vampires, voire, pour les moins dociles, aux trolls. Les derniers resteraient au village. Ils seraient chargés de réparer les jouets, de préparer les sucreries, de nettoyer l’endroit pour la prochaine fête et les prochaines arrivées.
Chester ne voulait pas devenir esclave. Il voulut se changer en chat mais le sortilège ne fonctionna pas. Il informa alors les fripons qu’il faisait partie des croque-mitaines de la terrible fée. Leur chef se mit à rigoler. Il fit venir le garçon chat au centre de la place et fit un exemple pour tous ceux qui voudraient se rebeller.
Le jeune garçon se promit de se venger. Il fut vendu à un vampire qui l’emmena dans son manoir. Le jeune chat connaissait bien l’endroit.
Une fois sur place, il put à nouveau se transformer en chat et retourner au château. La terrible fée, en entendant son récit et au lieu de lui donner raison et de l’aider à se venger, lui rappela qu’il avait échoué à punir sa cible et donc que ce serait lui qui passerait entre les mains d’Igor.
Après cette mésaventure Chester cessa à jamais d’être Charles.
Au loin, dans un chêne plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur, naissait Line, une jeune fée que le vilain matou n’allait pas tarder à rencontrer.
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