Conte pour Julia
Julia
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Romy, une jeune fille de huit ans, vivait dans le plat pays, sur la terre des créateurs. Elle avait perdu sa joie. Sa petite sœur, Julia, était très malade et elle ne se réveillait plus. Elle avait vomi, ses reins et son cerveau avaient été infectés par cette terrible maladie au goût bizarre.
Romy prit son vélo et demanda à sa maman si elle pouvait aller faire une balade dans le parc. Elle avait grandement besoin de se changer les idées.
Au bout d’un moment, fatiguée, elle s’assit sur un banc. Un vieux monsieur étrange, habillé comme dans les films de l’ancien temps, s’assit à côté d’elle ; il souleva son chapeau pour la saluer. Il regarda sa montre à gousset et prit un vieux livre qu’il se mit à lire. Elle remarqua sa bague, ornée de quatre pierres : deux bleues et deux vertes. Romy décida de l’ignorer.
Entendant un bruit, Romy se retourna et s’aperçut que l’homme avait disparu et avait laissé son livre. Elle le chercha des yeux, mais ne le vit pas. Elle regarda à l’intérieur de l’ouvrage et lut « Ce livre appartient au professeur L.N. Mine, prière de rapporter au … Brocéliande ». Le titre disait : Livre de contes pour se sortir de tous soucis. Romy décida de le rapporter à ses parents, afin qu’ils le renvoient au monsieur par la poste.
Sur le chemin du retour, elle se dit que, comme la poste était fermée, elle pouvait se mettre dans sa chambre et commencer à lire le livre, en attendant de le renvoyer. Elle y ferait très attention.
Quand elle rentra, il n’y avait toujours pas de bonnes nouvelles. Elle se mit sur son lit et commença à lire. Elle ferma les yeux et, quand elle les rouvrit, un être étrange, à l’habit multicolore, la prit par la main :
— Dépêchez-vous, mademoiselle, Roi vous attend.
— Il est vraiment roi ?
— Non, il est le prince des fins heureuses. Roi, c’est son prénom. Enfin, ça l’est devenu il n’y a pas longtemps, alors il a du mal.
La jeune fille n’avait rien compris, cet homme parlait très vite, et en courant. Elle ne savait pas comment elle avait quitté sa chambre.
La fillette fut introduite dans la grande salle du palais des fins heureuses.
Sur le trône, se trouvait un roi avec une barbe blanche, et il semblait s’ennuyer beaucoup.
Romy fit la révérence.
— Bonjour, Romy. Pourquoi viens-tu dans mon royaume ?
— Je ne sais pas…
— Tu n’as pas demandé de l’aide, en lisant le livre pour résoudre les soucis ?
— Euh… si…
— C’est un livre magique, et nous allons t’aider à résoudre ton problème.
— Comment ? Je ne sais pas où je suis !
— Tu te trouves dans le royaume des deux comtés et je suis le prince des fins heureuses.
— Ma sœur Julia est très malade, elle ne se réveille plus.
— C’est une bonne nouvelle !
— Pardon ? répondit la jeune fille, presque en larmes.
— C’est une chose pour laquelle nous pouvons aider. Et, en plus, cela fait un mois que je suis ici, et les réunions avec le chef du village des champignons, le roi vampire ou la vieille sorcière m’ennuient. Je vais t’accompagner et nous allons sauver ta sœur. C’est ça, la bonne nouvelle.
Le serviteur semblait affolé.
— Majesté, c’est dangereux pour vous d’aller dans le royaume. Le comté de la nuit est en guerre…
— Avec nous ?
— Non, entre eux.
— Alors, nous n’avons rien à craindre. Nous allons chez les fées chercher Julia, puis, une fois l’esprit de la petite avec nous, nous partirons en quête du bisou magique de guérison. Et tout rentrera dans l’ordre.
Romy venait de comprendre : elle s’était endormie et faisait un rêve où elle pouvait sauver sa sœur. Elle se décida à suivre l’étrange personnage jusqu’à ce qu’elle se réveille.
— La première chose est d’aller voir le vieux mage, pour avoir la carte. C’est elle qui nous dira comment retrouver Julia, et où est allé se cacher le bisou magique.
Romy suivit le prince jusqu’en haut de la plus haute tour du château.
Là, sur la porte, un loup était dessiné.
— « Pata Pata Plof », un doigt sur le nez, et le pied gauche sur le genou droit.
— Fais ce qu’il te dit, tu dis son nom et nous pourrons entrer.
Romy s’exécuta et déclara :
— « Pata Pata Plof », peux-tu nous laisser entrer, s’il te plaît ?
La porte s’ouvrit sur le laboratoire d’un vieux magicien, avec un chapeau bleu et une grande robe verte. Romy le reconnut, même si ses cheveux étaient défaits et que sa barbe avait poussé.
— Monsieur le mage, merci pour le livre. Pourrais-je avoir la carte pour retrouver Julia et le bisou magique ?
— Oui, mais il va falloir l’appeler avec l’index de chaque main sur le nez, et on remue son postérieur.
Romy fit les gestes demandés, en appelant trois fois la carte. Elle apparut. Julia se trouvait sur la montagne des aigles. Ensuite, il fallait traverser le territoire des lutins bleus, et, enfin, aller au puits à la chaîne d’or pour récupérer le bisou magique.
Roi amena la fillette sur la montagne des aigles. Romy eut du mal : elle avait enlevé ses chaussures, pour se mettre sur son lit, et elle marchait donc pieds nus, alors que le prince avait de lourdes bottes en cuir.
Voyant que la jeune fille avait du mal à marcher, le souverain prit la demoiselle sur son dos. Ils arrivèrent devant le plus vieil aigle de la montagne. Leur chef était toujours le plus vieux de la montagne, et nul ne connaissait son pouvoir.
— Fille des créateurs, si tu veux l’aide des aigles, il te faudra prouver que tu en fais partie.
Romy fit semblant de voler avec ses bras et imita le cri perçant de l’aigle. Le prince se boucha les oreilles. Le grand aigle cria à son tour et un aigle apporta un œuf arc-en-ciel. Celui-ci se brisa et Julia apparut. Même si sa petite sœur était encore collante, Romy la serra très fort dans ses bras. Les aigles apportèrent deux tenues, une pour Julia et une pour Romy, qui, du coup, retrouva des chaussures. Il fallait à présent se rendre chez les lutins bleus pour continuer la quête et ramener Julia parmi les créateurs.
Le trajet fut court, car les aigles géants, généreux, les amenèrent sur leur dos jusqu’à l’entrée de la forêt champignon.
Pendant le trajet, Romy put raconter à sa petite sœur ce qui s’était passé dans le vrai monde, et lui dire que toute sa classe pensait à elle.
Le prince leur donna un petit bout de gâteau, et les deux fillettes rétrécirent pour avoir la taille des lutins bleus.
Les lutins parlaient une langue étrange, remplie de « Lot », de « Frout », de « Zlot ». Ils ne connaissaient que cinq sons et chaque combinaison formait un mot.
Trois guerriers amenèrent Julia, cachée derrière sa sœur, jusqu’au champignon le plus grand du village, qui servait de salle à manger. Car, ici, chacun préparait le repas du soir, et chacun avait sa part. Les lutins mangeaient, chaque soir, tous ensemble. C’était une reine qui les commandait. La femme la plus vieille du village. Le mot dispute n’existait pas, et les mots combat, ou guerre, signifiaient soucis avec les non-lutins plus ou moins importants. La reine salua Roi et déclara aux deux filles :
— Pour que je vous donne la clé qui ouvrira le coffre du puits magique, vous allez devoir invoquer « Crapa Crapa Wouh Wouh », l’index de l’une sur le nez de l’autre, et en faisant deux pas en arrière, sans se quitter des yeux, ni décoller le doigt.
Ce ne fut pas une mince affaire, mais les deux sœurs y arrivèrent, et tout le monde finit par rire aux éclats.
Le moment de la fête, et du repas du soir, arriva, et les trois invités le partagèrent avec la tribu. Julia et Romy s’émerveillèrent devant les cracheurs de feu et les jongleurs, puis en écoutant l’histoire du chevalier de rien du tout, racontée par Roi.
Le lendemain, les deux sœurs, qui avaient dormi l’une à côté de l’autre dans le même lit, se réveillèrent. Roi leur annonça que le moyen le plus rapide d’arriver à l’île était de prendre le transport urbain par Taupes.
Une taupe arriva devant eux. Elle avait, accroché sur elle, comme un dessus de carrosse, qui permettait aux passagers de s’asseoir, et d’être protégé de la terre et de l’eau, en cas de pluie.
— « Plouf Plouf Crac Crac », déclara la taupe. Il faut creuser devant soi pour monter.
Les deux sœurs répétèrent la phrase de la taupe, en faisant semblant de creuser devant elles.
Le voyage en taupe fut très rapide. Les fillettes eurent l’impression d’avoir fait une attraction de fête foraine. Et, pour Julia, c’était sa première fois.
Le souverain leur donna une petite fiole, qu’elles burent, et elles retrouvèrent leur taille normale. Romy trouva le puits et une chaîne en or. Julia voulut tirer dessus.
Au bout du quatrième essai, la fillette réussit à remonter un coffre. Elle l’ouvrit et trouva un lutin vert dedans.
Le lutin déclara qu’il ne dirait pas où se trouvait le bisou magique.
— Mon nom est « Plif Plof Plaf Plouf… ». Il faut lever les bras, claquer des mains, et ensuite toucher chaque genou avec le coude opposé, en donnant mon nom, et sans rigoler.
Romy essaya, mais, à la troisième tentative, elle fut éliminée. Julia voulut le faire à son tour, elle se concentra, respira un bon coup, et réussit au premier essai.
— Romy, le bisou, tu l’as en toi. Si toi et tous ses amis vous lui envoyez un bisou, elle aura la force de se réveiller.
Romy embrassa sa petite sœur sur le front. Tous les enfants, amis de Julia, au même instant, s’arrêtèrent et envoyèrent un baiser dans les airs, en direction de la fillette. Julia disparut. Romy remercia le lutin et Roi, qu’elle enlaça, avant de lui faire un bisou sur sa joue barbue. La jeune fille se réveilla, elle chercha le livre, en vain. Le téléphone sonna et sa maman arriva en courant, joyeuse.
— Romy, ma chérie. Ta sœur est réveillée !
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