Ballade en train mineur
Antonin était anxieux. Ce n’était pas la première fois qu’il partait en vacances loin de ses parents, mais cette fois il y avait un défi de taille. Il devait surveiller son frère et sa sœur lors du voyage. Il devait changer de train et il avait très peu de temps. Une assistante de la SNCF devait les aider mais Antonin ne la trouva nulle part sur le quai. Il prit les bagages à l’épaule et demanda à Robin et Anaé de le suivre. Si Robin était un peu nerveux, Anaé était ébahie par la grandeur de la gare et il fallait de la patience à son frère aîné pour ne pas perdre la jeune fille qui s’arrêtait à chaque découverte.
— Anaé, dépêche-toi ! Nous allons rater le train et nous n’arriverons jamais chez Papi !
— Mais j’ai vu une princesse.
— Les princesses cela n’existe pas.
— Si j’en ai vu une ! Tempêta la jeune fille.
— Tu as vu une princesse mais elle ne prend peut-être pas le même train que nous, et il nous reste que 5 minutes pour monter dedans, alors dépêchons-nous !
Antonin trouva la voie du train, il continua sur le quai à la recherche de son wagon.
— Antonin, pourquoi on prend un vieux train ? demanda Anaé.
— Ce n’est pas un vieux train, Anaé, c’est un TGV.
— Mais il a l’air tout vieux comme dans les aventures de Phileas Frog.
— ”Phileas Fogg“ ! Et non, ce n’est pas le même train. Allez, on se dépêche !
— Ah bon ? répondit la jeune demoiselle mi déçue, mi boudeuse. »
Le chef de quai sifflait le départ du train. Antonin ne voulant pas louper le train rentra dans le premier wagon. Il se dit qu’il trouverait leurs places ensuite. Il engouffra tout le monde dans le wagon et la porte se renferma juste derrière lui. Le départ fut immédiat, on ne voyait déjà plus la gare. Antonin était perdu. Il ne comprenait pas où il se trouvait. Anaé avait raison, le train qui d’extérieur ressemblait à un TGV avait une décoration victorienne à l’intérieur. Antonin paniqua, il ne devait rien laisser paraître pour ne pas inquiéter Anaé et Robin mais il n’en menait pas large.
Anaé n’avait d’yeux que pour une jeune fille vêtue d’une bien jolie robe violine ornée de diamants et de dentelles. La jeune demoiselle voulut la suivre et lâcha la main de son grand frère. Antonin en voulant la rattraper tomba, gêné par les chaos du train qui prenait son envol. Alors qu’Anaé poursuivait la jeune fille, Robin n’en menait pas large. Un train cela ne vole pas. Où était-il ? Son grand frère était à terre inconscient et sa petite sœur avait disparu. Soudain, il se demanda ce qu’il allait faire. Il vit un homme avec un uniforme, sans doute le contrôleur. Il allait se diriger vers lui pour lui signaler la disparition d’Anaé et la blessure de son frère, mais il vit les deux canines un peu trop proéminentes de l’étranger. Il rentra rapidement dans une cabine. Il regarda l’intérieur en examinant les lieux et vit que des peaux de bêtes y étaient accrochées, Cela ne le rassura pas, il se demandait à qui pouvait appartenir ce compartiment. Quand il vit l’os géant taillé en massue et la tête de gobelin empaillée, il n’avait nul doute sur le propriétaire et il se mit à trembler. Il entendait en plus un pas lourd indiquant que ce dernier revenait dans le wagon. Robin trouva un petit espace en-dessous de l’armoire et s’y cacha. Il regarda par une minuscule fente et vit que ses craintes étaient fondées. Le propriétaire du compartiment était bien un troll. Il se blottit en pleurant essayant de ne pas faire le moindre bruit. Antonin se réveilla. La première chose qu’il vit, fut le visage d’un vampire.
— Bonjour, Jeune Homme ! Vous nous avez fait peur.
— Vous êtes costumé ?
— Non, je suis le contrôleur.
— Mais… votre visage…
— Je suis un peu pâle mais ne t’inquiète pas, c’est normal, je suis un vampire.
— Vous êtes un vampire ?! Et ce train vole ?!
— Oui, pour atteindre le pays des Deux Comtés. Tu es un humain, je présume.
— Oui, mais pas vous.
— Non, nous faisons partie de l’équipage du premier train à venir dans le pays des Deux Comtés, c’est Roi, notre souverain, qui a décidé que ce serait plus pratique pour se déplacer entre le Comté des Fins Heureuses et celui des Cauchemars.
— Et qu’allez-vous faire de nous ?
— Vous êtes plusieurs ?
— Oui, il y a ma sœur Anaé, qui adore les princesses et mon frère Robin, qui doit avoir peur. — Son Altesse la Princesse Chrysanthème est à bord. Elle ne voulait pas manquer le voyage inaugural. Pour vous, je vais devoir prévenir le capitaine. Comment t’appelles-tu ?
— Antonin.
— Ah, c’est marrant ! Lui, c’est Némo. »
L’étrange contrôleur, après s’être assuré qu’Antonin n’avait rien, lui permit de déposer ses valises dans un compartiment vide et l’amena à l’avant, dans la cabine du capitaine Némo. Antonin n’était guère plus rassuré mais, malgré son aspect repoussant, le vampire semblait sympathique. Il le conduisit à la locomotive. Antonin s’inquiétait surtout de retrouver son frère et sa sœur. Et les personnages terrifiants qu’il croisait ne calmaient pas ses angoisses. En l’espace de trois wagons, il vit : deux fées, un autre vampire, un ogre qui devait se déplacer courbé et six gargouilles avec leurs rubis rouges sur le front. Le jeune homme arriva enfin à la cabine du capitaine qui se tenait à la barre. Le capitaine Némo conduisait ce train plus qu’étrange.
— Bonjour, Jeune Créateur, et bienvenue à bord du Nautilus !
— Le Nautilus comme dans…
— Vingt Mille Lieues Sous les Mers, le livre de Jules qui relate mes aventures.
— Vous connaissez Jules Verne ?
— Oui, bien sûr ! Il s’est perdu une fois dans les Deux Comtés. Nous avons bu une bière ensemble et il a voulu écrire un livre sur moi.
— Mais le Nautilus n’est pas un sous-marin ?
— Non, c’est un train, le premier train des Deux Comtés. Je déteste l’eau, mais ce cher Jules est un sacré farceur.
— Mais vous conduisez le train comme un bateau.
— Oui, mais juste quand il est dans sa phase de vol, sinon je le conduis normalement.
— Comment je vais faire pour rentrer chez moi et comment retrouver mon frère et ma sœur ? — C’est l’inverse.
— Je vous demande pardon ?
— Oui, il faut d’abord retrouver ta sœur et ton frère et après s’inquiéter de comment vous allez rentrer chez vous.
— C’est pas faux !
— Quel mot de ma phrase tu n’as pas compris ?
— Aucun. Pourquoi ?
— Laisse tomber ! Nous ne sommes pas encore au premier arrêt, ce qui veut dire qu’ils sont encore quelques parts.
— Le jeune monsieur m’a dit que sa sœur Anaé aimait les princesses, déclara le vampire.
— Je pense que nous allons demander de l’aide à Son Altesse la Princesse Chrysanthème, répondit le capitaine.
— Je vais amener le jeune homme à son compartiment.
— Bien, Rodolphe, faites donc ! Moi, je vais essayer d’éviter que le train passe trop près de ces calamars géants. »
Antonin ne préféra pas demander au capitaine plus d’informations. Il suivit le contrôleur qui l’amena à l’arrière du train vers le wagon de la princesse. Antonin vit que des êtres étranges peuplaient tout le train.
— Monsieur, pourquoi j’ai cru monter dans un TGV ?
— C’est le camouflage que nous avons mis pour que les Créateurs nous ignorent.
— Les Créateurs ?
— Oui, les humains. Vois-tu, nous sommes des personnages des Deux Comtés, nous sommes tous des personnages de contes issus d’histoires inventées par vous.
— D’accord. Et comment nous allons rentrer chez nous ?
— Roi notre souverain est un ancien Créateur qui a voulu rester chez nous, Le Vieux Mage, il me semble, et l’Arbitre des Conflits aussi. Roi passe son temps sur Terre à chercher de nouvelles histoires. C’est lui qui a décidé de ramener le train. Il a un passage dans son palais. Vous l’emprunterez.
— Il ne reste donc plus qu’à retrouver mon frère et ma sœur.
— Oui, ils sont dans le train de toute façon. »
Robin était en effet dans le train mais il n’en menait pas large. Il était terrorisé et il devait faire attention à ne pas faire le moindre bruit. De plus, il commençait à avoir faim. De sa cachette, il voyait le troll qui avait sorti un sac de pommes et commençait à les peler avec une machette. Robin aurait bien aimé sortir et lui dire qu’un épluche légume lui simplifierait la vie, mais il n’avait pas envie de se rajouter à l’assiette. Le monstre avait mis un chaudron sur une gazinière de voyage et commençait à faire bouillir de l’eau. L’occupant du compartiment y plongea des fruits épluchés. La bonne odeur qui se dégageait du plat accroissait la sensation de faim du jeune garçon. Il avait de plus en plus de mal à garder son calme et à rester discret.
Dans le dernier wagon, par contre, Anaé était heureuse. Elle prenait le thé avec une vraie princesse. Cette dernière lui avait même prêté une robe à sa taille car avait-elle dit :
— On ne prend pas le thé avec une princesse de son rang habillée en jeans ! La petite fille n’avait pas tout compris, sauf qu’elle allait pouvoir mettre une jolie robe de princesse. Anaé voyait les choses comme elles sont réellement, c’est pour cela qu’elle n’avait pas remarqué le camouflage du train et qu’elle n’avait pas peur des monstres qui le peuplaient car aucun d’entre eux n’avaient de mauvaises intentions à son égard. La princesse parlait de façon bizarre parfois mais elle était très gentille. La jeune fille n’avait peur de rien et ne voyait pas le temps passer. Soudain, quelqu’un frappa à la porte. La princesse demanda qui tambourinait ainsi.
— C’est Rodolphe, le contrôleur, Votre Altesse. Nous recherchons une passagère clandestine. Son frère, Antonin, m’accompagne.
— Entrez donc !
— Antonin c’est mon frère ! Je ne suis pas une passagère “machin chose” ! Je suis une princesse perdue dans un train !
La princesse Chrysanthème se mit à rire. Rodolphe et Antonin entrèrent. Antonin fut ravi de retrouver sa sœur et la prit dans ses bras.
— Merci, Votre Altesse, de vous être occupée de ma sœur. Je vous remercie humblement. Il nous reste néanmoins mon frère à trouver.
— Tu parles tout drôle, Antonin.
— C’est comme ça que l’on parle à une princesse.
— Ah bon ?
— Si cela ne vous dérange pas, Jeune Chevalier, je vais garder votre sœur ici, au moins vous la retrouverez facilement.
— Bien, Votre Altesse.
Antonin fit la révérence et prit congé.
— Rodolphe, je vous conseillerais d’aller voir les gargouilles. J’espère que le jeune Créateur n’est pas tombé dans leurs griffes.
— J’y vais de ce pas, Votre Altesse.
— Toi aussi, tu parles tout drôle comme mon frère.
— À toute à l’heure, Jeune Damoiselle.
Antonin glissa à l’oreille de sa sœur :
— Cela veut dire princesse.
— Ah, d’accord !
— À tout à l’heure, Monsieur le Vampire, répondit la jeune fille.
Robin, quant à lui, souffrait de plus en plus de la faim, le troll, lui, allait se mettre à table. Visiblement, il attendait un autre convive car il installait deux couverts. Il s’assit sur un siège et déclara :
— Jeune Créateur, vous semblez avoir faim. Venez partager mon modeste repas ! » Robin resta silencieux, il trouvait louche que ce monstre parle si bien.
— Je sais que vous êtes caché dans le petit placard avec mes bocaux de cerises. Je suis un troll frugivore. C’est d’ailleurs pour ça que je quitte le Comté de la Nuit. Les autres trolls ne m’aiment pas beaucoup.
Le jeune garçon sortit prudemment de sa cachette.
— Les toilettes sont au fond. Vous pourrez vous laver les mains avant de passer à table.
— Oui, Monsieur.
— Appelez-moi Strogoff.
— Moi, c’est Robin.
— Bien, Robin, je vous attends.
Robin passa aux toilettes, il faut dire que depuis le temps il avait sacrément envie. Puis il se lava les mains. Il s’assit devant le troll qui lui servit une pleine assiette de soupe de fruits.
— C’est une salade de fruits troll. Cela devrait vous plaire.
— Mon frère doit me chercher.
— Nous le chercherons ensuite. Mangez ! Vous partirez le ventre plein. Un jeune garçon s’est évanoui tout à l’heure. Il a dû oublier un repas.
Robin se méfiait encore un peu du troll mais il avait trop faim et engloutit son assiette.
— Toi pas besoin d’apprendre. Tu sais comment manger comme un troll.
— Pardon, Monsieur.
— Moi pas monsieur, moi Strogoff ! Et on dit : ”Je vous demande pardon.“
— Je vous demande pardon, Strogoff.
— Allons trouver ton frère ! J’espère qu’il n’est pas avec ces satanées gargouilles ou chez l’ogre.
— Il y a un ogre dans le train ?
— Oui, je l’ai croisé en allant au bar.
— J’espère que ma sœur n’est pas chez eux.
— Tu as aussi une sœur ?
— Oui, Anaé. Elle adore les princesses.
— Alors ne t’en fais pas ! Elle sera avec Son Altesse la Princesse Chrysanthème, dans le dernier wagon. Allons-y !
— Merci pour la soupe.
— De rien. Je déteste manger tout seul.
— Et vous mangez souvent tout seul ?
— Tout le temps ! Aucun autre troll ne veut manger avec moi. Avant j’avais un oncle qui était végétarien comme moi mais il a disparu un jour comme ça. Il s’appelait Urbain
Ils se retrouvèrent dans le couloir et se dirigèrent vers l’avant du train. Strogoff frappa à la porte de l’ogre et ce dernier vint lui ouvrir.
— Salut ! Dis-moi, n’aurais-tu pas vu un jeune Créateur ?
— Non.
— Bon bah, bonne soirée !
— Oui.
Robin regarda l’ogre. Il était gigantesque. Heureusement, se dit-il, qu’il était caché derrière le troll. Une fois la porte refermée, il demanda :
— Tu crois qu’il a dit la vérité ? Il aurait pu mentir.
— Personne ne ment à un troll, surtout pas un ogre. Mais si tu veux en être sûr, tu peux frapper à la porte et lui demander de fouiller son compartiment.
— Je n’ai pas vraiment envie de finir comme repas.
— Allons voir les gargouilles !
Chez les gargouilles justement, Antonin discutait avec les trois paires de monstres ailés. Il regardait le rubis sur leurs fronts. Rodolphe l’avait mis en garde, une gargouille n’attaque que dans deux cas : Parce que son maître lui en a donné l’ordre ou pour protéger son rubis. À chaque fois qu’il posait une question, les six voix répondaient en stéréo. — « — Avez-vous vu mon frère ?
— Oui.
— Savez-vous où il est ?
— Oui.
— Pouvez-vous me dire où il est, s’il vous plaît ?
— Chez le troll.
— Ce n’est pas l’ogre, nous sommes sauvés ! Le seul troll c’est Strogoff, et il est végétarien. — Merci, Mesdames, déclara Antonin avant de sortir de la pièce. »
Rodolphe allait le conduire chez le troll, mais Strogoff arrivait avec Robin. Les deux frères furent rassurés et tout le monde se retrouva chez la princesse, à boire le thé. C’était incroyable de voir un vampire et un troll prendre cette collation avec une princesse. Les enfants purent découvrir le sombre Comté de la Nuit et aperçurent le château de Lilith, la Reine Sombre. Ils furent déçus de ne pas pouvoir admirer le reste du paysage à cause de la pluie mais furent soulagés de voir l’ogre et les gargouilles descendre au premier arrêt. Rodolphe partit faire son travail et Strogoff s’échappa pour ranger ses affaires. La princesse offrit la magnifique robe à Anaé. Robin eut droit à une tenue de corsaire avec des ailes de chauves-souris. Antonin, quant à lui, reçut de son altesse une magnifique armure de chevalier dragon. Tout le monde les applaudit quand ils descendirent avec la princesse. Le quai était noir de monde. Il y avait des drapeaux et des banderoles. Chrysanthème sauta au cou d’un vieux monsieur habillé simplement, avec un livre de contes dans sa main droite. Malgré son allure, Antonin comprit que c’était le roi. Il lui fit la révérence, son frère et de sa sœur l’imitèrent. Le souverain du Comté du Jour qui fut ravi d’apprendre que trois Créateurs avaient fait le chemin inaugural de son nouveau train. Ils furent conduits à la salle du trône et Roi leur demanda :
— Fermez les yeux, Mes Amis, et passez à travers le mur ! Vous serez chez vous.
Les enfants fermèrent les yeux et avancèrent. Quand ils les rouvrirent, ils étaient assis dans le TGV qui les menait en vacances. Avaient-ils rêvé ou avaient-ils fait un grand voyage, seul un troll, un contrôleur vampire et une princesse le savaient.