Ambre et Roselia
La jeune Ambre, huit ans, était ravie. Ce soir, elle allait avoir la surprise qu’elle attendait depuis longtemps.
Il y a trois semaines, elle avait été sacrément punie pour divers motifs : mentir, ne pas se brosser les dents, avoir une chambre en désordre et, surtout, avoir embêté Orion, le chat de la maison. Rien qu’avec cette dernière bêtise, sa punition avait été doublée.
Salomé, sa mère, avait appelé Jaouen, un ami de la famille, pour lui raconter les bêtises de sa fille. Le conteur avait lancé un défi à Ambre : être sage pendant trois semaines et il lui donnerait un cristal de conteur. Ce collier permettait de se diriger où on voulait dans le royaume des deux Comtés.
Ambre rêvait de rencontrer la merveilleuse Rosélia, la vétérinaire du zoo royal des deux Comtés. La petite avait été super sage pendant ces trois semaines, ça avait été dur mais elle avait réussi.
Jaouen était venu le soir même pour la féliciter. Elle s’était mise debout, bien droite, devant le piano du salon, regardée par un Orion étonné, et le maître conteur lui avait passé le collier autour du cou. En plus, le cristal se rangeait dans une petite statue d’un bébé panda tout mignon.
Après un bon repas de tacos, Ambre avait eu droit à deux jolies histoires et elle s’était endormi en serrant le cristal dans sa main droite et en pensant très fort à Rosélia. La petite fille se retrouva dans une salle avec un bureau, des diplômes au mur et trois chaises. Elle se demandait où le maître des aventures, le bibliothécaire du château, l’avait conduite. Le vieil homme, qui est appelé l’archiviste ou encore le gardien de l’équilibre, était encore plus vieux que l’univers lui-même. Alors qu’Ambre en était encore à sa réflexion, la porte s’ouvrit. Une jolie jeune femme aux cheveux roux, accrochés en chignon, entra dans la pièce. Elle regardait un agenda distraitement :
— Vous êtes Rosélia ? Demanda Ambre, encore sous le choc.
— Oui, c’est moi. Et tu dois être la jeune stagiaire du monde des créateurs ?
— Oui, je m’appelle Ambre.
— Alors, je t’appellerai ainsi. Tu vas m’aider dans ma tournée. Les oiseaux facteurs m’ont signalé plusieurs animaux malades, dans la forêt des lutins, et un dans le Comté de la nuit. Le temps de te faire ta piqûre, de prendre mon sac et nous partons. Oui, il faut te faire une piqûre pour te protéger des animaux et pouvoir parler leurs langages.
La jeune fille remonta sa manche et serra les dents. La vétérinaire était une experte car Ambre ne ressentit pas la piqûre.
— Allez, nous y allons ! Le premier arrêt est pour la forêt des Licornes.
Ambre était sur un petit nuage. Elle allait voyager dans la calèche de son héroïne préférée et voir une licorne en vrai. Elles passèrent saluer les lutins bleus, ces petits êtres protecteurs de la forêt, qui s’occupaient du réseau de communications terrestres.
— Vous cherchez quelque chose ? Demandez à un lutin, après lui avoir offert un dé à coudre de whisky, il va prévenir 5 lutins qui, à leur tour, préviendront 5 autres lutins et, en moins d’une heure, votre licorne malade sera retrouvée.
Rosélia expliquait cela à Ambre, qui voyait que la vétérinaire était bien appréciée et que tous les lutins lui faisaient la révérence. Ambre fut encore plus surprise quand elle vit le gardien de la forêt. Le grand loup blanc, qui avec sa petite famille, salua l’attelage.
Rosélia rendit son salut et la petite fille mit un genou à terre pour saluer le maître des bois. Une fois l’attelage passé, Ambre se rassit sur la banquette.
— Dans la forêt, tout le monde vous connaît et vous apprécie.
— Et dans le Comté de la nuit aussi. J’ai mis au monde la fille de la mère sorcière. C’est une garou, elle a six ans maintenant, et c’est un vrai petit diable.
— Qui est son père ?
— C’est Loukhi.
— Les enfants de la nuit.
— Oui, sauf qu’ils ne sont plus enfants depuis un moment. Le temps s’écoule aussi ici. Tu es à une époque où ils sont adultes. Voilà notre jeune licorne.
Le jeune licorne pleurait : sa corne était particulièrement grande et il n’arrivait plus à bouger ni à remuer la tête.
— Kamhir, qu’as-tu encore fait ?
— J’ai pas été à l’école, et j’ai menti à ma maman pour ne pas me faire gronder.
— Mentir, c’est mal, répondit Ambre. Il vaut mieux affronter sa punition. Si on ment, c’est la déculottée assurée et, en plus, après, quand tu fais tes 25 lignes pour ta bêtise, tu as sacrément mal aux fesses.
— Et pourquoi ta corne est si grande ?
— J’ai menti à C. la dernière fois, alors Line, en punition, m’a jeté un sort : à chaque fois que je mens, ma corne grandit.
— Y a un petit garçon, c’est son nez qui grandit, rigola Ambre.
— Bon, déclara Rosélia, je vais devoir te raboter la corne. Allonge-toi, ça va faire mal et ce sera juste une punition pour tes bêtises. Ambre, tu vas te mettre sur lui pour qu’il bouge le moins possible, et si tu peux, lui parler pour le calmer.
Le jeune licorne se coucha, en pleurs, et Ambre se mit sur lui. La petite fille commença à lui caresser l’encolure et à lui raconter l’une des histoires des deux Comtés. Pendant ce temps, Rosélia sortit un rabot doré de son sac et commença le long travail de réduction de la corne. Kamhir hurla et commença à bouger sous la douleur. Ambre, tant bien que mal, tentait de rester sur la licorne, tout en continuant à raconter son histoire. Il fallut dix bonnes minutes à Rosélia pour redonner à la corne son apparence d’origine. Dix minutes de souffrance pour le jeune Kamhir, pendant lesquelles la jeune Ambre avait eu l’impression de faire un rodéo. Elle trouvait que la punition avait été cruelle et se promit de ne plus se moquer des punitions de sa maman.
— Merci Ambre. Sans toi, je n’y serais pas arrivée. Kamhir, j’espère que cela te servira de leçon. J’ai soigné ta corne, mais je n’ai pas enlevé le sort des deux fées.
— Promis, je ne mentirai plus ! Répondit le jeune licorne en larmes. Cela semblait sincère, la corne n’avait pas poussé de nouveau.
Ambre et Rosélia reprirent le chemin de l’attelage et traversèrent le pont du troll. Il était impressionnant. La jeune fille regardait avec enthousiasme la tête sculptée du troll Urbain, le sauveur de la première guerre sombre. Au milieu du pont, la calèche s’arrêta.
— On descend ici.
— Pourquoi ?
— Comme je vois ton émerveillement pour ce pont, construit par Urbain, je veux te faire entendre quelque chose.
Rosélia désigna un endroit au milieu du pont.
— Mets ton oreille ici.
La petite fille s’exécuta et entendit un bruit sourd et rythmé.
— Ce que tu entends là, ce sont les battements du cœur d’Urbain. Le troll est toujours en vie, dans ce pont de pierre, depuis plus de 3 000 ans. Il scelle le sortilège qui interdit à quiconque, possédant de mauvaises intentions, de le traverser.
Ambre était abasourdie par la nouvelle. Elle prit une minute, pendant laquelle elle pensa au sacrifice d’Urbain, avant de se relever. La calèche repartit. Ambre découvrait le monde de la nuit. Les hommes-garous qui hurlaient, les sorcières qui surveillaient, depuis le ciel, l’avancée de la calèche. Elles croisèrent quelques vampires, qui saluèrent la vétérinaire.
— Vous soignez aussi les vampires ?
— Uniquement quand ils sont en chauves-souris. Et ils ont, eux aussi, des animaux de compagnie. Le seigneur Stanislas a trois chats : Louis, Armand et Lestat.
— Vous n’avez pas peur de vous faire mordre ?
— Si, beaucoup, mais je dois sauver les animaux.
La calèche prit la direction du nord et passa devant une petite maison en bois, qui leur tournait le dos.
— C’est la maison de Mama Yaga, la plus puissante sorcière. J’aime bien aller y prendre le thé, mais là, ce n’est pas le bon jour pour la déranger !
— Comment le savez-vous ? demanda Ambre.
— La maison pivote et, si on voit sa porte, ça veut dire “entrez” ; sinon, ça veut dire “fuyez”.
Ambre regarda de nouveau la maison, mais avec effroi.
Ils arrivèrent auprès d’un jeune loup gris clair qui hurlait. Rosélia fit signe à Ambre de descendre tout doucement de la calèche et de rester derrière elle. Rosélia essaya d’approcher mais le loup devint menaçant. Ambre, n’écoutant pas les conseils de son héroïne, passa devant elle.
— Louthy, il faut être sage. Là, on essaye de t’aider, alors tu vas nous dire où tu as mal. Sinon on peut pas t’aider.
— J’ai mal aux crocs.
— Tu te les brosses bien ?
— Non, j’aime pas ça !
— Moi non plus, mais sinon on a des caries, et un ami conteur m’a dit que cela faisait horriblement mal.
— C’est vrai !
— Alors tu vas ouvrir la bouche et Rosélia va te soigner. Et tu ne boudes pas, sinon on t’envoie au château.
Rosélia fut impressionnée par le charisme et l’habilité de sa nouvelle adjointe. Elle inspecta la bouche et vit les deux crocs cariés qu’il allait falloir enlever. Là encore, la douleur fut à la hauteur de la bêtise et Ambre se dit que les parents, souvent, donnent des règles pour protéger les enfants de pareilles souffrances. Le loup les remercia en les léchant au visage. Il repartit penaud, en jurant qu’il n’oublierait plus de se laver les dents.
— Tu as bien joué, mais tu aurais pu te blesser.
— Pardon de ne pas vous avoir écouté.
— Je cherche un jeune garçon qui ne se lave pas les dents, dit une voix derrière elles.
— Désolé, majesté, ici il n’y a qu’une petite fille qui n’écoute pas les conseils et se met en danger.
Ambre se retourna et vit une fée, habillée de noir, avec deux ailes de chauve-souris. Elle avait un collier en forme de serpent qui formait un C. et elle regardait la petite fille avec attention. Ambre se sentit fichue et pensa que, dans un moment, elle allait goûter au bâton qui pendait à la ceinture de la fée. La souveraine toucha le front de la petite fille de son doigt.
— Je vais passer, pour cette fois, car tes intentions étaient louables. Mais attention, la prochaine fois, ton postérieur connaîtra la morsure de ma cravache.
Ambre soupira de soulagement, espérant ne jamais revoir la souveraine, sauf pour prendre le thé avec elle, et encore ! La dernière destination fut la tanière des ours du Nord. Deux oursons se trouvaient dans une tanière remplie d’objets hétéroclites.
— Bouba, je suis venue il n’y a pas si longtemps pour les maux de ventre de ta petite sœur, déclara Rosélia.
— Oui, mais j’ai perdu les fleurs à mâcher. Je les ai bien posées en évidence mais je ne sais plus où ?
— Bon, je vais voir ta petite sœur, si elle va mieux ; et toi, en attendant, tu me ranges cette grotte !
— Mais c’est nul…
— Rendre malade sa petite sœur parce que rien n’est rangé, c’est encore plus nul. Et fais attention, car si tu ne ranges pas, la terrible fée va venir te voir, j’en sais quelque chose ! Tempêta Ambre.
L’ourson la regarda sans dire un mot puis, se dirigeant vers le tas, commença à ranger. Ambre se mit debout et le surveilla. Et, à chaque fois qu’il s’arrêtait, elle lui faisait les gros yeux.
Pendant ce temps, avec patience, Rosélia soignait et consolait la jeune ourse. Enfin, Bouba retrouva les fleurs qui, par miracle, n’avaient pas été écrasées. Il les apporta à la jeune femme qui les fit mâcher par la petite ourse qui alla tout de suite mieux. Bouba lui lécha le visage et lui murmura un message à l’oreille. La petite ourse acquiesça gravement du museau.
Les deux oursons remercièrent Ambre et Rosélia, et Bouba partit vers l’est.
— Tu vas où ? Demanda Ambre.
— Je vais vers l’est, au château des cauchemars. C’est de ma faute si la grotte n’est pas rangée et, à cause de moi, ma sœur aurait pu avoir très mal. J’espère que sa majesté la terrible fée ne sera pas trop sévère, mais j’accepterai ma punition.
— Bon courage, lui répondit Ambre.
— Je passerai te voir à ton retour, pour savoir comment ça s’est passé. Bon ! Ambre, la journée est finie, tu vas rentrer chez toi. J’espère que tu reviendras.
— Oui, je ferai tout pour avoir à nouveau un cristal. Même si je dois rester sage pendant six semaines, cette fois.
— La prochaine fois, qui sait, tu pourrais avoir à soigner un dragon. Ambre ferma les yeux et, quand elle les rouvrit, c’était le matin.
— J’ai faim, donne-moi à manger, entendit-elle derrière elle.
La petite fille se retourna et vit qu’il n’y avait que son chat, Orion.
— Mais, qui parle ? demanda la petite fille, peu rassurée.
— C’est moi ! J’ai faim, donne-moi des croquettes !
— C’est toi, Orion, qui parle ?
— Bah, oui, je parle. Mais personne ne m’écoute.
— Parce qu’on ne parle pas chat. Enfin, si, moi maintenant ! Du coup, je vais te servir.
Ambre découvrit qu’elle avait gardé le pouvoir de la piqûre dans la vie de tous les jours. Elle ne savait pas combien de temps cela durerait, mais ça annonçait de formidables aventures.
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