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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Les voyageurs fin

Gidéon quitta l’Auberge des Baladins à l’aube en direction de la capitale afin de rencontrer Tara, la nouvelle bibliothécaire en chef qui l’avait convoqué pour lui transmettre sa première mission. La joie d’avoir achevé sa formation de Baladin et l’impatience de véritablement commencer son métier se disputait son cœur. Il entra dans la bibliothèque du palais des fins heureuses le sourire aux lèvres.

À première vue il n’y avait personne, des rayonnages qui grimpaient jusqu’au plafond plongeaient vers le fond de la pièce sombre qui semblait sans fin. Il flottait dans l’air une odeur de vieux livres et quantité de fine poussière qui dansaient dans la lumière du matin filtrés au travers des épais vitraux un peu trop rarement nettoyés. Il s’apprêtait à pénétrer dans la pièce quand une voix éraillée lui parvint de derrière un rayon :

Mais comment faisait-il ? Mais comment faisait-il ?

Une femme à l’allure frêle et aux longs cheveux bruns vaguement remontés en chignon apparu un instant entre deux allées avant de disparaitre à nouveau, toujours en maugréant. C’était Tara, elle avait été l’apprentie du Professeur, ancien bibliothécaire en chef du Royaume des deux Comtés mais ce dernier ayant quitté son poste il y a peu, on l’avait nommé à sa place. Gidéon se racla la gorge pour signaler sa présence puis, voyant que cela ne suffisait pas il frappa à la porte.

— Oui ? Entrez ! ordonna Tara dont la tête apparut de derrière un rayonnage.

Euh…Bonjour mademoiselle. Je m’appelle Gidéon. Nous avions rendez-vous au sujet de ma première mission.

Oh, c'est vrai. Je me souviens ! s’exclama Tara en avançant vers lui les bras chargé de livres qu’elle cala comme elle put sous son bras gauche. Gidéon c’est ça ? Enchanté, ajouta-t-elle en lui tendant la main. Ah oui, désolée, c’est mieux comme ça, poursuivit-elle après avoir essuyé sa main poussiéreuse sur sa jupe voyant qu’il hésitait. Désolée pour le désordre, je ne sais même pas comment il faisait pour s'en sortir. Il devait avoir deux ou trois vies au moins. Je ne m’en sors pas alors que je n'ai pas dormi depuis trois jours. Alors, votre première mission… Nous avons découvert une tour au nord du comté des fins heureuses et nous n'avons aucune nouvelle. Nous n'avons aucune trace écrite de l'utilisation de cette tour. Vous devrez vous rendre sur place et enquêter pour nous ramener les histoires et expériences de cette tour. C’est bon pour vous ?

Oui, oui c’est très bien.

Gidéon préféra laisser là sa supérieure sans trop poser de questions, et partit pour le relais poste de la ville. Il observa les différentes calèches au départ qui sillonnaient le Comté des Fins heureuses mais il n'en vit aucune pour le village proche de la tour. La dernière calèche s'arrêtait à Bout-du-nord. Les villages frontaliers ayant été créés, le plus souvent, sous l'impulsion de soldats désireux de prendre leur retraite dans un coin perdu loin de la ligne de front. Leurs noms n'étaient pas très imaginatifs. Ainsi, on allait de Bout-du-sud à Bout-du-nord en passant par Village-du-milieu.

Gidéon lui, cherchait à se rendre à Perdu-dans-le-Nord. Il se résolu donc à monter dans la calèche en partance pour Bout-du-Nord et se dit qu’il aviserait ensuite, sur place, comment parcourir la cinquantaine de kilomètres qui lui resterait à parcourir avant d’arriver à destination. Le voyage fut long et ennuyeux. Les autres passagers de la carriole étaient des commerçants et ils ne brillaient pas par leur érudition. Les échanges, les taux de changes et les querelles de marché occupaient toute leur attention, ce qui n’avait rien de passionnant pour un baladin. Gidéon finit par s'endormir et fut réveillé par le cocher. La calèche s’était immobilisée au milieu de la place de Bout-du-nord, même si place était un bien grand mot, pour un étendu de terre boueuse qui servait à la fois de carrefour aux deux routes que comptait le village, de terrasse à un bouiboui audacieusement auto-proclamé taverne et de lieu de marché à en juger par les quelques marchands qui remballaient leurs étals.

Les autres passagers de la carriole étaient déjà partis depuis un moment. Gidéon salua le cocher, prit ses affaires et descendit pour atterrir, les deux pieds dans une flaque de boue. Il grommela mais la chance était avec lui : en passant à côté des camelots qui rangeaient leurs marchandises, il surprit une conversation : l’un des maraîchers venait justement de Perdu-Dans-Le-Nord. En échange d’un peu d’aide pour charger le reste des légumes dans la charrette, l’homme accepta volontiers de convoyer le baladin.

Perdu-Dans-Le-Nord était un village modeste, plus petit encore que Bout-du-nord mais cependant mieux agencé. Ce bourg possédait au moins une auberge digne de ce nom où notre Baladin prit une chambre. Ayant quitté la capitale tôt le matin, il faisait à présent nuit noire.

Au matin, Gidéon profita du petit déjeuner pour questionner les habitués et les villageois sur la tour. On lui dit que cela faisait 200 ans que personne n'y avait mis les pieds et que dans le village, on ne s’en approchait pas, car elle avait la réputation d'être hantée. Les anciens du village lui racontèrent à peu près la même histoire, quand il se rendit le lendemain au marché mais Gidéon voulait remplir sa mission au mieux : il fouilla les archives du village et même les bibliothèques privées : soit à peine plus que quelques rouleaux qui dormaient au fond des maies et quelques registres oubliés insuffisamment et irrégulièrement remplis. Il fit chou blanc : aucune trace de la tour nulle part. La logique voulait qu’une tour ait d’abord été bâtie dans un but défensif ; elle avait donc dû abriter une garnison, au moins au début de son histoire mais il n’en était fait aucune mention. Il choisit donc, puisque personne ne voulait l'emmener, de se rendre à pied, sur place, le lendemain dans l’espoir d’en apprendre plus sur place

A son arrivé, Gidéon découvrit que la tour était habitée par un jeune garçon qui essayait de la remettre en état. L’enfant était assez farouche et ne se laissait pas vraiment approcher. Gidéon resta d’abord en retrait, espérant voir arriver ses parents, ou du moins un adulte qui aurait aidé au quotidien cet enfant, ou le voir rentrer chez lui, une fois le soir venu, mais il dû se rendre à l’évidence : l’enfant vivait là, seul. Le baladin se dit que le meilleur moyen d’en apprendre plus sur cette tour et son occupant était d’aider à la rénovation. Il commença par s’occuper du terrain autour de l’édifice puis s’en approcha petit à petit, intervenant sur des parties du chantier laissées en plan par l’enfant par manque de force. Puis il tenta et réussi à l’aider directement. A deux la rénovation avançait plus vite mais si l’habitant des lieux ne le fuyait plus, il ne lui parlait toujours pas.

 Au bout d’un mois, Gidéon aperçu un marchand sur le chemin, ce dernier ne voulant pas approcher du bâtiment, lui fit signe de venir. Il avait été chargé de le prévenir qu’une missive était arrivée à l’auberge : on l’attendait à la capitale pour lui transmettre sa nouvelle mission. Le baladin remercia l’homme et décida de passer une dernière nuit dans la tour avant de prendre la route.

L’enfant lui adressa une moue interrogative, Gidéon essaya de lui expliquer au mieux :

— Je dois retourner à la capitale, on m’attend pour me donner une nouvelle mission, pour mon travail, tu comprends ?

L’enfant acquiesça d’un signe de tête.

— Mais je te promets de revenir ensuite ici et avec toute une équipe de volontaires pour nous aider à terminer le nettoyage et la reconstruction de la tour.

La frayeur passa sur le visage de l’enfant qui eut un mouvement de recul.

— Non, ne t’inquiète pas, le rassura Gidéon, ce seront des amis, personne ne va te chasser d’ici, on va juste faire en sorte que tu habites dans une tour plus confortable et sûre.

Le jeune garçon se détendit.

— Je vais nous préparer à manger, nous avons assez travaillé pour aujourd’hui. Je suis venu ici pour remplir une mission tu sais, récolter des informations sur cette tour. C’était ma première mission et j’en ai appris si peu que je ne sais pas si l’on va considérer cette première mission comme une réussite à la capitale. Mais, une chose est certaine, puisque je t’ai rencontré toi, mon ami, pour moi c’est une réussite.

— Phare, articula l’enfant.

— Phare ? Répéta Gidéon incrédule d’entendre enfin la voix de son nouveau compagnon.

— Oui, tour d’alerte pour prévenir si pirates

Les pièces du puzzle s’assemblèrent dans l’esprit d’Gidéon : ce poste avait servi dans un temps ancien à prévenir des invasions de pirates arrivant du comté de la nuit et débarquant sur la plage pour envahir le comté des fins heureuses. Le passage du pont étant surveillé par Urbain et le passage du Sud par la dame blanche. Les pirates et autres membres du comté de la Nuit avaient longtemps tenté de passer par le Nord. Les habitants devaient allumer des feux de détresse pour que la garnison de Bout-du-nord vienne en renfort pour protéger le comté des attaques de pirates. Il exposa ses conclusions à l’enfant qui confirma. Il aurait aimé en savoir plus sur l’histoire de ce bâtiment, comment il s’était trouvé détruit par exemple, ou qui avaient vécus là, mais il fallait se rendre à l’évidence, cette tour garderait une part de mystère, il en avait déjà trouvé la fonction c’était déjà ça.

Il remercia son ami puis ils terminèrent le dîner et Gidéon partit se coucher. Le son d’une cloche d’alarme le tira du sommeil au cœur de la nuit : Il se redressa sur sa couche, une ranger, l’arc en travers du dos, remontait le couloir en courant :

Réveillez-vous les garçons, réveillez-vous ! Les pirates arrivent. Il faut allumer le feu.

Un homme, un paladin d'un certain âge, se leva d’une couche à côté de la sienne, enfila son armure, prit son épée et, la fenêtre Gidéon le vit se diriger vers la plage, rapidement suivit d’un jeune homme qui lui ressemblait beaucoup mais qui n'était qu’écuyer. Gidéon suivit la femme jusqu’à la porte menant à la plage. Un jeune garçon dissimulé par une large capuche et un masque dévala l’escalier pour la rejoindre, il faisait lui aussi partie des rangers :

J'ai allumé les feux. Il ne reste plus qu'à attendre l'arrivée de l'armée.

Très bien. Allons épauler ton père et ton frère.

Gidéon commençait à comprendre : il avait remonté le temps, on ne sait comment, d’environ deux cents ans. Il emboita le pas des gardiens de la tour tout en les apostrophant :

— Puis-je je peux vous aider à quelque chose ?

Personne ne lui répondit. Il comprit rapidement qu’il était là sans l’être. On lui donnait une vision, une chance de pouvoir voir et consigné les évènements mais il resterait simple spectateur. Sa frustration était grande mais il ne pourrait intervenir pour changer le cours du temps, ainsi en était-il décidé.

Ce ne fut pas un bateau, mais trois qui déversèrent leurs chaloupes chargées de pirates sur la plage cette nuit-là. Les quatre gardiens se battaient vaillamment mais étaient débordés par le nombre. A plusieurs reprises Gidéon, malgré lui, hurla pour les prévenir de l’arrivée d’une flèche ou d’un ennemi qui les contournait pour les prendre à revers. Tel un lion furieux le père paladin donnait de large coup d’épée, balayant d’un seul mouvement plusieurs pirates, la mère décochait plus de flèche à la minute que ne pouvait en compter Gidéon qui, consignait tous les évènements dans son cahier, la gorge serrée, jetant régulièrement des regards en direction du village, espérant des renforts qui n’arrivaient pas.

Le jeune écuyer n’était pas en reste et élimina à lui seul plusieurs ennemis, son jeune frère n’était pas en reste. Discret et rapide, il se glissait dans le dos des pirates et les faisait passer de vie à trépas d’un coup de poignard. Mais malgré tout leur savoir-faire à tous les quatre, le combat était déséquilibré et l’issue certaine si les renforts tardaient encore à venir.

Un habile pirate profita d’un instant d’inattention du père pour glisser sa lame dans le flanc qu’il avait laissé sans défense.

— Papa ! Hurla le plus jeune, et son cri déchirant fendit le cœur d’Gidéon.

L’ainé des fils régla son compte à l’agresseur de son père et ce dernier, même gravement blessé ne perdit pas en combativité. La famille finit par se retrouver acculée à la Tour mais tenu la position jusqu’aux premières lueurs du jour, empêchant héroïquement les pirates d’atteindre le chemin menant au village. Avec l’énergie du désespoir et malgré les blessures qui meurtrissaient leur corps et leur sang qui souillait la plage, les quatre gardiens éliminèrent à eux seuls les trois quarts des assaillants. Mais leurs blessures étaient trop grave et les ennemis trop nombreux. Alors que le soleil se détachait de l’horizon, ils cédèrent, un à un à la mort sous le regard impuissant d’Gidéon, à genoux et en larme à leur côté.

Alors que la vie quittait définitivement le corps plus jeune des fils, dernier survivant du massacre, les fracas de l’armée de renfort se firent enfin entendre. La garnison d’une cinquantaine d’hommes élimina sans difficultés ce qui restait des assaillants, trop tard pour les gardiens dont les corps reposaient ensemble au pieds de la tour.

Les plus jeunes soldats, encore peu au fait des réalité de la guerre et de ses horreurs, sentirent leur estomac se retourner dans leur ventre et rendirent leur petit déjeuné.

— Sans la fête du capitaine Eldberg, nous aurions pu voir les feux plus tôt et empêcher ce drame, sanglota l’un deux.

— Ce qui est fait est fait, soldat ! Reprenez-vous ! rugit le commandant.

— Mais mon commandant…

— Vous voulez perdre votre place ? la cour martiale vous tente ? pour vous et vos camarades ?

— Non mon commandant.

— Ecoutez tous ! Rien de ce qui s’est passé ici ne doit se savoir, vous comprenez ? Brûler tout. Je m’assurerai qu’aucune mention de cette tour et de ses occupants ne persiste aux archives. Cette tour a toujours été vide, il n’y a jamais eu de bataille et nous ne sommes jamais venus ici ! C’est bien clair pour tout le monde ?

Gidéon commençait à comprendre pourquoi il n’y avait plus une seule archive sur cette tour et ses occupants et rage et profonde tristesse se mêlait dans son corps alors qu’autour de lui, les soldats, penauds, entassaient les corps des pirates et des gardiens au rez-de-chaussée de la tour, avant d’y mettre le feu. Puis ils coulèrent chaloupes et bâtiments, sous le regard dur et froid du commandant. La mer lava le sable, et le vent balaya les cendres des malheureux.

Gidéon dans son cahier consigna le moindre détail, puis, alors que la troupe reprenait le chemin du village sa besogne accomplit, il sentit ses forces l’abandonné et s’écroula sur le sable funèbre.

   Gidéon se réveilla au matin, sur sa paillasse, à son époque, dans la tour qu’il avait participé à remettre en partie en état. Dans ses mains son précieux carnet contenait tous les détails de l’horreur qui avait frappé cette famille et de son héroïsme. Il salua l’enfant et lui promis une nouvelle fois de revenir bientôt, avec du monde, pour terminer les travaux. Dehors, sur le chemin l’attendait le marchand et sa carriole qui s’était engagé à conduire le baladin jusqu’à Bout-du-Nord où il prendrait la calèche de la poste jusqu’à la capitale.

Il s’engagea aussi à raconter à tous l’histoire de la famille de gardien qui avait donné sa vie pour empêcher une invasion pirate. Pour la première fois il vit un large sourire se former sur le visage de l’enfant qui pour la première fois parla d’une voix claire :

— Tu crois que ça va calmer ces histoires de fantômes et de tour hantée ou que ça va aggraver les choses ? demanda le garçon en riant. Le plus drôle, tu sais, c’est que ça fait 200 ans que j’habite ici et je n’ai jamais vu de fantôme !

Il éclata de rire et quand il tourna son visage vers le ciel, dans la lumière du matin, Gidéon aperçu son masque de ranger en transparence et la capuche qui autre fois avait recouvert ses cheveux ébouriffés. Gidéon sourit, il avait compris. Il traversa les hautes herbes qui le séparaient du chemin et de la carriole puis se retourna une dernière fois pour saluer son ami.

— Au fait ? Comment tu t’appelles ?

Le garçon lui cria son nom, un puissant jet de lumière jaillit de sa poitrine et il disparut dans un éclat de rire.

Gidéon rentra à la capitale et demanda une audience au souverain. On réhabilita la tour et le nom de la famille qui l’avait si vaillamment gardée et défendue. On inscrivit le nom des quatre héros qui avait donné l’alerte et leur vie pour protéger le comté des fins heureuses d’une offensive pirate au Palais des fins heureuses, sur la liste comportant le nom de tous les paladins qui avaient donné leur vie pour le royaume.

 

 

 

 

 

 

 

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