Les baladins 2
Oriane avait eu une rude journée, les épreuves du bac avaient commencé et la première, dédiée à la philo, l’avait lessivé. Avant les épreuves du lendemain, elle avait envie de revoir l’auberge des aventuriers afin de découvrir ce qu’elle était devenue.
Elle frotta la lampe et plaça le pendentif sur son oreiller. Elle se réveilla, comme prévu, dans l’auberge. Un jeune homme se tenait sur une estrade, jouant du luth et contant les exploits d’aventuriers partis dans le comté de la nuit. Visiblement, une guerre couvait entre la terrible fée et le chêne.
La jeune fille remarqua que la tenancière n’était plus derrière son comptoir, un jeune garçon l’avait remplacée. Etait-ce Romaric ?
Le musicien termina sa chanson et vint vers elle. Le jeune garçon vint spontanément lui servir un verre. L’homme le remercia.
— Bonjour, Dame Isabeau.
— Vous me connaissez ? demanda Oriane, étonnée.
— Je suis Romaric, chef musicien et propriétaire des lieux.
— La fameuse guilde des aventuriers ?
— Elle n’a pas duré longtemps, enfin pas ici. Les valeureux sont devenu paladins du chêne, sous le commandement de Mesraël qui est à la capitale en ce moment. Les autres sont devenus une guilde plus modeste, hébergée dans une auberge des faubourgs.
— Retour à la case départ !
— Oh que non ! Nous sommes la guilde des artistes : tu as là des conteurs, des musiciens… nous parcourons le comté pour répandre les nouvelles. C’est plein tous les soirs pour nous écouter. Les fées ont enchanté le premier étage et nous pourrions y loger une armée.
— Tout va pour le mieux, alors.
— Si on oublie la guerre, déclara le musicien, en finissant sa boisson. Je te laisse, ma pause est finie.
Oriane écouta le récit des événements qui avaient mené à ce conflit général. La terrible fée n’avait pas apprécié d'être traitée de fée inférieure à sa consœur et reléguée dans le comté de la nuit. Elle n’avait pas aimé non plus le bannissement de ses fées et la création des croque-mitaines qui obéissaient au grand chêne, et non plus à elle. Dernière goutte d’eau qui avait fait déborder le vase et l’avait rendue folle, son fils lui avait été enlevé pour être éduqué à la capitale des fins heureuses. L’enfant était otage de la grande fée.
Des troupes de monstres se massaient à la frontière entre les deux comtés. Plusieurs détachements de soldats étaient partis pour les fortins pour surveiller la frontière.
Après son tour de chant, Romaric revint vers la jeune fille.
— Que vas-tu faire ?
— Je vais aller à la capitale. La dernière fois, je n’ai pas pu la visiter et rendre visite à Mesraël. J’imagine qu’il est toujours le même.
— Plus ou moins. Étudier avec des femmes lui a fait changer beaucoup de ses opinions. La rumeur raconte qu’il serait tombé amoureux, et qu’il aurait eu un enfant, mais nous n’avons pas réussi à la confirmer.
— De vrais espions…
— C’est vrai, on pourrait facilement. Mais pour quel camp travailler ? Là est tout le problème. Je préfère notre neutralité.
— Je vais partir, pour arriver avant la nuit.
— Je vais te donner ta broche de la guilde des aventuriers. Tu n’avais pas pu l’avoir, la dernière fois. Cela te facilitera le passage des points de contrôle.
— Merci, Romaric.
La jeune aventurière partit d’un bon pas vers la capitale. Sa broche lui fut utile par trois fois. Elle passa devant le défilé des paysans de l’est qui venaient se réfugier à la capitale. Elle avait envie de leur dire qu’une bonne auberge pouvait les accueillir, mais elle ne voulait pas donner trop de travail à Romaric et son apprenti.
Une fois dans la capitale, elle passa par les marchés, avant de se diriger vers la caserne des paladins au château. On lui apprit que le général Mesraël était en inspection des fortins. Une diligence partait pour celui du Ponant avec un détachement, elle devrait le rejoindre là-bas. Elle remercia le garde et monta dans la diligence, après avoir montré sa broche. Elle fut étonnée de voir deux jeunes enfants dans un véhicule dédié aux militaires. Au vu de leur prestance, elle se doutait que cela devait être au moins les fils d’un général. Allaient-ils rejoindre leur père sur le front ? Elle en doutait, ce n’était pas un endroit pour des enfants.
— Je suis Dame Isabeau, et vous ?
— Nous sommes nos altesses Bergad et Dagreb. Nous ne vous avons pas autorisé à nous adresser la parole, déclara solennellement le jeune garçon.
— Vous êtes des enfants, fit remarquer Oriane étonnée.
— Nous sommes les héritiers du prince des fins heureuses. Bergad sera Prince et moi je serais sa conseillère, j’apprends auprès du vieux mage, dit la jeune fille.
— Les femmes peuvent avoir le titre de grand mage ? Demanda Oriane.
— Je passe mon temps à lui rappeler que non, mais ma sœur n’en fait qu’à sa tête. Tout comme vous qui continuez à prendre la parole !
— Moi, je l’y autorise !
— Ah, les femmes ! Je vous laisse à vos bêtises, je vais avec les hommes. Au moins, ceux-ci respecteront mon rang.
Oriane appris que c’était des jumeaux. Autant Bergad, le garçon, était désagréable, autant sa sœur Dagreb était charmante. La jeune aventurière avait remarqué que les yeux des jumeaux étaient verts et bleu. Si Dagreb avec l’œil gauche vert et l’œil droit bleu, c’était l’inverse pour Bergad. La route jusqu’au fortin fut sans encombre. Oriane écoutait la jeune fille parler de ses études auprès du vieux mage. Oriane se garda bien de lui parler de sa vie réelle, préférant broder autour du personnage qu’elle jouait dans Kaliderson. Le soir venu, Bergad ne manqua pas de se plaindre que, chassé par les bruits des femmes, il avait dû monter avec le cocher et qu’il avait encore le postérieur rendu douloureux par les chaos de la route.
La jeune aventurière siffla entre ses dents.
« Si je m’occupe de ton postérieur, tu vas avoir beaucoup plus mal. »
Laissant l’héritier à ses gémissements, elle se dirigea vers le feu de camp pour retrouver Mesraël.
Elle pensait le trouver à vider une chope de bière en racontant des histoires grivoises, mais elle trouva un homme abattu, plongé dans ses pensées. Il la salua à peine et évita son regard. La jeune fille lui donna des nouvelles et lui parla de son voyage avec la jeune Dagreb.
— J’ai essayé d’entraîner son frère, mais il se bat comme une fille. À la moindre blessure, il rentre se plaindre à sa mère !
— Tu n’as pas essayé avec Dagreb ?
— C’est une fille !
— Et moi, je suis quoi ?
Le paladin la regarda sans répondre.
— Tu apprendras qu’elle est une élève assidue du vieux mage.
— Il donne des cours de broderie, lui, maintenant ?
Oriane allait lui répondre de manière cinglante quand un air de flute se fit entendre. Le paladin fut tétanisé.
— Il faut sonner l’alerte ! parvint-il à déclarer, d’une voix blanche.
Oriane se précipita vers la diligence.
Elle croisa Dagreb en pleurs.
— Le vilain monsieur, il a enlevé mon frère. J’ai essayé de lui jeter un sort, mais c’est un mage trop puissant.
— Viens avec moi, nous allons retrouver le paladin.
La fillette suivi l’aventurière.
— Bergad a été enlevé par un mage !
— Pas un mage, mais un Djinn. C’est Saladin à la flûte, il me suit depuis Londres. Maintenant qu’il sait que je voyage entre les mondes, il a peur que je rentre chez moi.
— il est trop fort, pleura Dagreb. Il faut aller prévenir le vieux mage.
— Je vais envoyer un pisteur. Mais je connais quelqu’un de plus fort que lui. Mais il y a un souci…
— Quel est-il ? Demanda Oriane.
— C’est une sorcière. Elle habite de l’autre côté du ravin. Je vais y aller seul.
— Hors de question, je t’accompagne !
— Moi aussi, déclara Dagreb, une boule de feu dans chaque main.
— Alors éteins ça, répondit le paladin, vaincu. Nous devons nous faire discrets.
Une fois le pisteur en route pour le palais des fins heureuses, les aventuriers prirent discrètement la route.
— Ce n’est pas la route du pont, fit remarquer Oriane.
— Il existe d’autres passages, plus discrets, lui répondit Mesraël. Maintenant, silence !
Après une bonne heure de marche, ils montèrent dans un fortin abandonné. Là, se trouvait une tyrolienne. Oriane prit une corde et s’attacha solidement avec Dagreb.
— Tu ne lâche pas la poignée, et tu ne regardes pas en bas, compris ?
— Oui, répondit la fillette, peu rassurée.
Une fois lancées dans le vide, elle ferma les yeux et ne les rouvrit qu’une fois arrivée sur la terre ferme. L’aventurière la détacha.
— Et pour le retour ?
— Un autre passage. Moins dangereux. Silence absolu ! Nous allons sur le territoire des épouvantails, puis sur celui des homme-garous.
— Comment tu connais cette sorcière ? Et pourquoi nous aiderait-elle ?
— C’est ma femme.
La rumeur était donc vraie.
Après trois heures de marche harassante, durant lesquelles il avait fallu se cacher des patrouilles, les aventuriers arrivèrent devant une petite maison avec une porte ronde et rouge.
Mesraël frappa à la porte et une vielle mamie vint lui ouvrir.
— Mon chéri, tu aurais dû me dire que tu venais accompagné, j’aurais cuisiné plus de gâteaux. Cette petite fille doit être affamée !
— Bonsoir, madame. J’ai surtout très mal aux pieds !
— Alors, assieds-toi sur une chaise et enlève tes bottes, je vais te soigner.
La sorcière passa ses mains nimbées de vert sur les pieds nus de la fillette.
— Il faudra que j’apprenne ce sort, il est bien pratique.
— Oui, ma petite. Quand tu seras grande, reviens me voir. Je ferai de toi une grande sorcière. Le vieux gâteux se moque de toi mais fais-moi confiance !
Oriane se rapprocha discrètement du paladin.
— Tu ne fais pas les choses à moitié. La plus terrible des sorcières. La grande Mama Yaga !
— C’est une demi fée, ne l’oublions pas. C’est ainsi que je l’aime.
— Je te comprends. N’oublions pas le but de notre visite.
— Oui, tu as raison.
Mesraël se dirigea vers la sorcière.
— Ma douce, le frère de cette tendre enfant a été enlevé par Saladin. Comment le vaincre ?
— Tu devras briser sa lampe. Mais, pour cela, la jeune Dagreb devra s’entailler la main et en faire couler du sang. Toi, qui te fais nommer Dame Isabeau, je vais t’offrir un onguent. Tu l’appliqueras sur la blessure une fois la lampe brisée.
La sorcière fouilla dans sa réserve de potions. Elle en sorti une où il était écrit Tarte aux fraises. Le mélange, s’il rappelait de la confiture, était bleu. Oriane le mit précieusement dans son sac.
— Il va vers le Nord et l’enfant l’oblige à aller à pied. Hâtez-vous avant qu’il n’arrive sur le territoire des ogres. Cet endroit est un véritable enfer, moi-même je ne m’en approche pas.
— Alors, partons !
Ils quittèrent la maison. Oriane comprit que Dagreb y retournerait. La jeune fille y avait trouvé sa place.
Marchant à pas forcés, les aventuriers rattrapèrent le djinn et le jeune prince à la limite du monde des ogres.
— Tu me reconnais, djinn ?
— Oui, le prince de Pergame, un de mes premiers contrats. Tu reviens à moi ? Tu es pourtant loin de chez toi. Je dois prendre ce jeune freluquet. Pourquoi intervenir ?
— Je pensais que tu venais pour moi. Pour m’éviter de revenir chez moi.
— Tu n’as plus de chez toi. Le Mal Noir a tout englouti.
— Laisse l’enfant ! La guerre approche, nous aurons besoin de lui pour diriger le royaume de son père.
— Je vais attendre de voir le résultat de la guerre. Mais, en attendant, cet impertinent va souffrir.
Il claqua des doigts et, en un nuage de fumée, le prince disparut dans la lampe.
Mesraël fonça sur le djinn, laissant libre cours à sa rage. L’esprit sortit un sabre à lame recourbée et le combat s’engagea. Pendant le duel, Dagreb tenta de contourner les combattants pour prendre la lampe et la détruire. Oriane prépara son arc et chercha une ouverture pour un tir bien placé. Une première flèche partit mais le Djinn, plus rapide que les humains, prit la flèche entre ses dents sans pour autant cesser ses assauts contre le paladin. Mesraël commençait à s’épuiser et ne restait plus qu’en défense.
Dagreb s’empara enfin de la lampe et commença le rituel. Le Djinn allait intervenir mais il se figea d’un seul coup. Oriane en profita pour tirer une flèche qui atteignit l’esprit en plein milieu du front. Une fois le sang versé, la lampe se brisa, le Djinn disparut et le prince revint à la vie. Il était sale, blessé et habillé de guenilles.
— Pourquoi m’avoir laissé prisonnier pendant un an ? pleura-t-il.
— Pour nous, une dizaine de minutes, tout au plus, se sont écoulées, jeune prince, lui répondit Mesraël. Votre sœur et cette jeune fille vous ont sauvé.
— Je ne veux pas que l’on raconte que je suis un poltron. Sauvé par deux filles !
— J’ai une solution, révéla une voix chevrotante derrière eux. Je peux effacer la mémoire de tout le monde, mon prince, mais le prix à payer est élevé !
— Je ne me souviendrais plus de ce que j’ai dû faire là-bas ?
— Oui mon prince, déclara la sorcière Mama Yaga.
— Alors j’accepte, votre prix sera le mien.
— Je veux votre sœur.
— J’accepte !
Mesraël allait intervenir, mais Oriane le retint.
— Elle sera plus heureuse ainsi.
— Mais comment vais-je expliquer cela ?
— Quand je dis que je vais effacer la mémoire de tout le monde, mon cher ami, ce n’est pas un vain mot. Une fois le sortilège lancé, Dagreb ne sera jamais née.
— J’accepte, dit la jeune fille. Lancez votre sortilège.
— Ainsi sera-t-il fait.
Oriane se réveilla dans son lit. Choquée, elle découvrit que son cristal était devenu terne. Que s'était-il passé pour Mesraël ?