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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Le stage de Mertille 2

Lorsque Mertille arriva en vue de la demeure de Mama Yaga, elle se figea sur place et observa les environs. L’endroit était sinistre à souhait. Erigée au beau milieu d’une forêt composée d’arbres morts aux troncs noirâtres et aux branches semblables à des membres décharnés, la sinistre demeure semblait aussi vieille que l’univers végétal qui la dissimulait aux regards. Seule une personne qui y était attendue pouvait en trouver le chemin. C’était là l’une des magies puissantes dont la terrifiante sorcière était capable. Lorsque sa mère avait pris contact avec son aïeule afin de lui demander d’assurer le stage de Mertille, cette dernière avait espéré jusqu’à la dernière seconde se voit opposer un refus. A son grand désespoir, la vieille sorcière avait au contraire accepté en ajoutant qu’il était hors de question qu’un membre de leur famille prestigieuse se voie échouer à cet examen final.

Et, maintenant qu’elle se trouvait en ce lieu désolé et terrifiant, la jeune fille se rendit compte à quel point son séjour allait être difficile. Elle mourait d’envie de tourner les talons et de s’enfuir dans la direction opposée mais elle savait très bien que ses parents ne lui pardonneraient jamais cet échec supplémentaire. Ce serait celui de trop et elle n’avait pas envie de se confronter à leurs courroux conjugués. Elle préféra donc mordre sur sa chique et ravaler sa fierté d’adolescente en se pliant aux exigences parentales.

Elle sera fortement les bretelles de son sac à dos et avança d’un pas lourd, le dos légèrement voûté tant sous le poids de son bagage que sous celui de son appréhension. Elle ne se trouvait plus qu’à quelques pas de l’imposante porte d’entrée que celle-ci pivota sur ses gonds à son approche. Elle hésita une fraction de seconde mais ce laps de temps fut suffisant pour qu’une voix agacée se fasse entendre des tréfonds de la maison.

— Tu comptes rester plantée là jusqu’à la nuit ? Je te déconseille de rester dehors à ce moment. Avance un peu et plus vite que ça !

— Charmant accueil, murmura Mertille pour elle-même.

Par manque de chance, Mama Yaga avait l’ouïe plus fine que la normale et rétorqua :

— Moi non plus, je ne suis pas enchantée de te voir. J’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper d’une maladroite telle que toi. Si tu n’avais pas été de la famille…

Elle n’acheva pas sa phrase et la sentence en suspens laissait présager du pire. Cela ne suffit pas forcer Mertille à se taire et elle ne put s’empêcher de répliquer.

— Et bien comme ça on est deux. Moi non plus, je n’ai pas très envie de passer mes journées ici.

— Il fallait y penser et te comporter mieux à l’école ! Maintenant tu te tais ! Tu n’es qu’une invitée en ce lieu. Et je ne suis pas ta mère ! Je ne tolèrerai aucune de tes effronteries. Je me suis bien fait comprendre ?

— C’est limpide, dit la jeune fille en serrant les poings pour s’empêcher de balancer une des répliques cinglantes dont elle avait le secret.

Elle se doutait bien que la vieille n’hésiterait pas une fraction de seconde à la pétrifier sur place pour avoir la paix.

Une fois à l’intérieur, la vieille sorcière observa sa descendante des pieds à la tête.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette manière de s’habiller ? De mon temps, une sorcière convenable ne se vêtait que de noir ! Mais ici… Du rouge, du bleu… Un véritable arc-en-ciel sur pattes… c’est dégoûtant.

— C’est comme ça que les jeunes s’habillent…

— La belle excuse ! Et le jour où ils baladeront avec un caleçon en poils de putois, tu feras la même chose ?

Une fois encore, Mertille garda le silence au prix d’un effort surhumain. Pour une sorcière à moitié fée, elle manquait clairement d’esprit enchanteur.

— Un dernier truc, histoire que les choses soient claires.

— Oui ?

— Je suis ta maîtresse de stage. Cela veut dire que tu fais tout ce que je te dis de faire et tu ne discutes pas. Je déteste les discussions. Tu peux poser toutes les questions que tu veux si, et uniquement si, elles ont trait aux cours que je te dispense.

— J’ai compris.

Le visage fripé de son aïeule se radoucit un peu face à la docilité et, soudainement pleine de sollicitude, elle demanda :

— Mais tu dois être affamée par ton voyage, je me trompe ?

C’est une Mertille surprise par ce changement radical d’attitude qui répondit, un peu décontenancée :

— Je meurs de faim.

— Alors va déposer tout ton barda dans ta chambre à l’étage. C’est la première porte à droite en haut des marches. Je vais te préparer un repas dont tu me diras des nouvelles.

— Me… merci, bredouilla Mertille en s’exécutant.

Elle se dirigea vers l’escalier et, alors qu’elle s’apprêtait à poser le pied sur la première marche, les gargouilles de bois de chaque côté de la volée de marches, tournèrent la tête vers elle.

— Tiens ? Une nouvelle venue ! s’exclama celle de gauche.

— Qu’est-ce que nous avons là ? S’interrogea celle de droite.

— Elle est maigre comme un clou !

— On dirait un insecte, s’esclaffa son vis-à-vis.

— Un termite habillé comme une fille ! Renchérit sa consœur.

La voix de Mama Yaga s’éleva alors, tranchante comme un rasoir :

— Arrêtez d’ennuyer notre invitée vous deux !

Les monstres de bois reprirent illico leur posture initiale, se désintéressant de la jeune fille qui s’empressa de grimper les marches. Décidément, cette demeure était effrayante. Elle poussa la porte indiquée par Mama Yaga et s’arrêta sur le pas, interdite. Elle avait imaginé dormir dans une pièce austère et, au lieu de cela, elle se trouvait dans une chambre de jeune fille telle qu’elle l’avait toujours rêvée ! Une belle bibliothèque remplie de ses livres préférés était apposée contre le mur, une penderie renfermant des vêtements dont elle n’avait pu que se contenter de rêver jusqu’ici, un magnifique lit à baldaquin entièrement de fer forgé avec des voiles transparents descendant jusque sur un parquet impeccablement ciré… Tout était parfait ! Ses craintes furent dissipées en un clin d’œil face à tant de féérie ! Elle laissa tomber son sac sur le sol et se jeta, telle une gamine à qui on avait fait le plus beau des cadeaux, sur le matelas moelleux à souhait.

Elle ressortit tel un tourbillon et dévala les marches quatre à quatre, tirant la langue aux gargouilles une fois le pied posé sur le carrelage du rez-de-chaussée. Fichtre, que sa chambre contrastait avec le restant de la demeure ! Elle se dirigea à toute vitesse vers la cuisine qui exhalait les odeurs de mets délicieux pour remercier la vieille dame de tant de prévenance. Jamais elle n’aurait imaginé  une telle gentillesse de sa part. La vieille dame était penchée au-dessus d’un énorme chaudron qui bouillonnait sur le feu. Elle préparait le repas.

— Ta chambre te plait ? demanda son aïeule sans même se retourner.

— Je… Oui… C’est magnifique ! s’extasia Mertille. Merci ! Merci beaucoup.

La vieille dame se retourna et, en lui adressant un clin d’œil, déclara :

— Ah mais je n’y suis pour rien.

— Quoi ? Mais… comment ?

— Tu sais bien que je suis en partie fée. J’ai enchanté cette pièce pour qu’elle corresponde exactement aux plus grands désirs de la personne qu’elle héberge. Je n’ai rien préparé. La magie et ton esprit ont fait tout le travail.

Mertille était impressionnée. Elle avait toujours entendu dire que Mama Yaga était la pire des sorcières et que son cœur était aussi noir que du charbon. Mais cette féérie, qu’elle soit le fruit de la magie ou pas, émanait d’un sort qu’elle avait jeté. Elle se mit à soupçonner que la vieille sorcière n’était pas aussi méchante avec tout le monde. Quand ses amis sauraient ça…

— Je sais à quoi tu songes, glissa son hôte avec un regard sombre. Et je te le déconseille fortement.

— Je ne pense à rien, se défendit Mertille.

— A d’autres. Vous autres, les jeunes sorciers, n’êtes pas aussi différents de nous au même âge que vous vous plaisez à le penser. Tu meurs d’envie de prévenir tes amis d’à quel point je suis cool en fait. Que je ne suis pas aussi méchante que ça.. Je me trompe ?

La jeune fille se tint coite. Elle était stupéfaite que la vieille sorcière l’ait aussi facilement démasquée. Une intuition lui souffla à l’esprit qu’il était possible que son aïeule soit capable de lire dans ses pensées. Elle mourrait d’envie de lui poser la question mais craignait un peu sa réaction et sa réponse.

— Et non, je ne lis pas dans tes pensées. La télépathie ne fait pas partie de mes nombreux dons.

Face à la mine ébahie de la jeune fille, elle explosa de rire et déclara affectueusement :

— Vous êtes si prévisibles que c’en est touchant. Allez, il est grand temps de passer à table. Je t’ai préparé un de ces ragoûts de rat dont tu me diras des nouvelles.

— Un ragoût de rat ? répéta Mertille d’un air dégouté.

Une nouvelle hilarité secoua la vieille carcasse et elle s’empressa d’ajouter :

— Je te taquine. Lave tes mains et va prendre place.

— Mama Yaga ? demanda la jeune fille.

— Qu’y-a-t-il ?

— Je peux te poser une question ?

— Pourquoi je suis si gentille après cet accueil froid ?

— Ce n’est pas possible ! Tu lis en moi !

— L’art d’anticiper. Tu devrais le faire tien. Quant à la manière dont je t’ai souhaité la bienvenue en ce lieu, c’est juste que je voulais mettre les choses au point d’emblée. Tu es ici pour apprendre mais, si tu te montres studieuse et pas la flemmarde que m’a décrite ta mère, il est possible que nous nous entendions.

****

Les jours passaient et, si Mama Yaga faisait toujours preuve d’emportement lorsque Mertille faisait preuve de maladresse lors de certains arts obscurs tels que l’art de maîtriser les potions, elle commençait à apprécier la compagnie de la jeune fille. Certes le début de l’apprentissage fut difficile mais la vieille sorcière discernait en sa jeune descendante un potentiel certain. Celui-là même qui avait donné ses lettres de noblesse à leur illustre famille. Tout n’était pas parfait, loin de là, mais la jeune fille faisait à présent preuve de curiosité et ne rechignait pas devant les efforts nécessaires. Et elle appréciait énormément ce trait de caractère !

De son côté, Mertille était enchanté des progrès effectués au contact de son aïeule. Jamais elle ne se serait crue capable de progresser de la sorte ! Elle avait appris plus en quelques jours qu’en une année de scolarité ! Mama Yaga la motivait, la disputait, la réconfortait tout en essayant de toujours retirer le positif du moindre échec. D’élève flemmarde ayant une forte tendance à la démotivation, la jeune fille passa à celle de disciple avide d’apprendre. Dans la maison de ses parents, elle cherchait à s’évader en se plongeant dans les magazines que sa mère avait découvert mais, depuis son arrivée, elle se plongeait dans les livres de magie jusqu’au moment de dormir. Jamais elle ne se serait crue capable d’une telle transformation. Et cela était sans conteste dû au soutien inflexible de son enseignante. Mertille avait compris les vertus de la sorcellerie et accepté l’exigence de sa condition. Son manque de confiance en elle, source de bon nombre de ses problèmes et de ses lacunes, s’était envolé. Elle progressait à pas de géant sous l’œil sévère mais bienveillant de Mama Yaga.

Bien sûr, elles se prenaient souvent le bec sur des sujets intergénérationnel. Si elle ne comprenait toujours pas l’intérêt que sa protégée portait aux créations des humains, elle avait cessé de considérer cela d’un mauvais œil. Elle en vint même à se dire que, tant que cela ne l’éloignait pas des exigences liées à son rang, cela ne pouvait pas faire de mal.

Le dernier jour de stage approchait et Mama Yaga rejoignit Mertille à l’extérieur de la demeure.

— Ferme les yeux ! lui ordonna-t-elle en s’approchant dans son dos.

— Une surprise ? Gloussa la jeune élève.

— En quelque sorte. Et un défi aussi.

— Un défi ? Je ne comprends pas.

— Ouvre les yeux maintenant et tu verras ce que je veux dire.

Mertille obéit et blanchit à la vue des balais que Mama Yaga tenait à la main.

— Que se passe-t-il ? demanda la vieille dame.

— C’est que…

— Je sais ce qui se passe. Tu as peur. N’est-ce pas ?

— No… non, bredouilla Mertille, peu convaincante.

— Ne me mens pas. Pas de question de fierté mal placée entre nous. Je sais ce qui t’es arrivé à l’école.

— Comment ?

— Ta mère, pardi !

La jeune élève s’en voulut de suite d’avoir imaginé tout et n’importe quand alors que les choses étaient souvent si simples.

— Tu te souviens de ce que je t’ai dit lors de ton arrivée ?

— De filer droit ?

Mama Yaga explosa de rire.

— Il s’agit bien de ça, dit-elle entre deux quintes de toux. Non, sur l’importance d’anticiper les choses.

— Je m’en rappelle.

— Pour le vol, c’est exactement le même principe. Si tu avais observé le sens du vent, jamais cet oiseau ne t’aurais heurté. La clé d’un voyage serein en balai, c’est de sans cesse ressentir l’air.

Mertille fit une moue peu convaincue.

— Je suppose que tu serais plus rassurée avec ceci ? dit Mama Yaga en lui tendant un casque.

La jeune fille tendit avec avidité la main pour s’en saisir mais la vieille dame le jeta en l’air et l’objet s’envola jusqu’à la cime des arbres.

— Tu le veux ? va le chercher. Tu ne risques rien.

Mertille hésitait.

— Je te promets que si tu tombes, mon sort de lévitation t’empêchera de t’écraser au sol. Ça te va ?

— Promis ?

— Juré !

Comme pour sceller leur entente, la sorcière cracha sur le sol. Mertille enfourcha le balai et, d’une petite voix, murmura :

— Envol !

Le balai frétilla avant de se cabrer comme un cheval fougueux pour ensuite s’élancer dans les airs. Accrochée au manche, Mertille s’efforça de contrôler son destrier et de le mener vers le casque. Concentrée pour ne pas tomber mais rassurée malgré tout par la promesse de son aïeule, elle inspira profondément et le balai fila comme le vent vers le casque.

Une voix sur sa gauche la fit sursauter et elle manqua de perdre l’équilibre.

— Tu vois que ce n’était pas insurmontable ?

Mama Yaga volait à ses côtés et, en lui jetant un coup d’œil, la jeune sorcière s’aperçut qu’elle volait maintenant bien plus haut que le sommet des arbres. Focalisée sur le casque et son équilibre, elle n’avait pas remarqué qu’elle s’était élevée bien plus haut que ce qui était prévu.

— Je… J’ai réussi ! J’ai réussi !

— La confiance en toi. Là est la clé.

En cet instant précis, Mertille avait envie de serrer fortement son aïeule dans ses bras. Mais elle savait très bien que la sorcière apprécierait peu cette marque d’affection. Elle se contenta donc de lui dire merci et de sourire.

— Tu es prête maintenant, lui dit Mama Yaga.

— Prête ? Déjà ?

— Demain est une belle journée. Tu passeras le test.

— Le test ? Et il consiste en quoi ?

— C’est ton maître de stage qui le définit, tu le sais bien. Et, crois-moi, je t’ai préparé une belle surprise.

Le petit sourire en coin qu’esquissait la sorcière n’inspirait rien de bon à Mertille. Mais, au vu de tout ce qu’elle avait appris en peu de temps, elle décida de lui faire confiance.

 

© Frédéric Livyns 2021

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