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Les univers des deux comtés Des contes gratuits pour petits et grands

Justin fin

C’était l’anniversaire du jeune Maxence, mais ce jour qui aurait dû être un jour de fête se voyait terni par une chose : le confinement. Bien sûr le confinement avait ses bons côtés : on n’allait plus à l’école et il n’y avait plus de devoirs à faire, le soir en tout cas, car la journée il fallait faire ceux imposés par maman et par la maitresse. Mais il avait un inconvénient de taille : on ne voyait plus ses copains, et fêter son anniversaire sans les copains… ce n’était pas terrible. Heureusement, il n’était pas non plus tout seul, sa mère et ses deux sœurs étaient là. Alice, sa grande sœur, avait même économisé de son argent de poche pour lui offrir un petit cristal.

Ce dernier était bleu, comme la couleur des mers du sud, et on devinait, gravé à sa surface un heaume de chevalier, une médaille de héro et une canne à pêche. Il était accompagné d’un parchemin, Maxence dénoua le petit ruban très mignon qui le maintenait enroulé et lut :

« Ceci est un cristal magique permettant de vivre une extraordinaire aventure. Veuillez le placer sous votre lit pendant votre sommeil. »

Impatient, Maxence remercia sa famille, fila se brosser les dents et, après avoir écouté une histoire de sa maman, plaça le cristal sous son oreiller et s’endormit.

 

Quand Maxence se réveilla il constata que ses vêtements avaient changé :il était pieds nus et portait un pantalon qui lui arrivait un peu en dessous du genou, une jolie chemise, une ceinture, un baudrier. Il avait même un poignard et un tricorne ! La panoplie complète du pirate ! Devant lui s’étendait un océan si vaste qu’il paraissait infini. Il avisa un homme qui pêchait et, se souvenant que le dessin d’une canne à pêche ornait le cristal, décida d’aller lui parler :

— Bonjour monsieur, je m’appelle Maxence, qui êtes-vous ?

— Eh ben, commença l’homme surpris en se retournant, je suis le Seigneur Justin.

— Et, Seigneur Justin, vous faites quoi ? continua le garçon en s’approchant.

— Eh ben, je pêche, répondit l’homme en montrant la cane dans sa main.

— Ah oui ? Et je peux venir avec vous ?

— Si tu veux, accepta le seigneur en haussant les épaules. T’as déjà pêché de gros poissons ?

Maxence, qui s’y connaissait un peu en pêche, jeta un œil plus attentif au matériel et se demanda comment ce dernier pouvait bien pêcher de gros poissons avec cette toute petite canne à pêche faite d’une branche et d’un fil si mince. Il en vint même à douter qu’il y ait réellement un hameçon et un asticot au bout mais, dans le bateau, il aperçut une boîte avec des outils de pêche qui semblaient neufs ce qui le rassura un peu. Il acquiesça et embarqua avec le percheur en direction du large. 

Alors qu’on ne voyait déjà plus la terre, Maxence poursuivit son interrogatoire, il était bien décidé à en apprendre un peu plus sur cet homme étrange :

Ça fait longtemps que vous pêchez ?

— Non, mais je veux pêcher une grande baleine ! S’exclama le bonhomme content et fier de lui.

— Une grande baleine ? Avec une petite branche, un fil aussi mince… railla le garçon. Et puis après tout, pourquoi pas ? Bon, on va voir ce que vous avez comme hameçon…

Maxence commença à passer en revue le contenu du bateau. La boite contenait une bonne variété de hameçons et des asticots, c’était déjà ça, mais ce pêcheur n’en était pas vraiment un, au mieux il débutait, au pire cet homme « n’avait pas toute les cases bien remplies » comme disait Alice. Dans un tiroir, il trouva des médailles : tueur d’Ogres, vainqueur de la guerre des cauchemars… et deux ou trois autres, étonné il demanda :

— Vous avez des médailles de pêche aussi ?

— Ah non, la pêche, j’ai commencé y a cinq jours ! Lança le seigneur joyeux.

— Ah oui? Vous avez commencé la pêche y a cinq jours et vous voulez déjà prendre une baleine ! Ironisa le garçon.

— Ah, oui, oui, oui ! Avec ma chance, je pourrais y arriver! Affirma Justin sans détacher son regard de l’océan.

— Ah bon ? Vous avez de la chance?

— Ben, j’ai tué un Ogre! énonça le pêcheur comme une évidence.

— Ah oui, et vous avez fait comment? Insista Maxence suspicieux.

— Ben, en fait, je me suis cassé la figure devant lui, devant le Seigneur des Ogres… et puis il s’est mis à rire, il s’est étouffé, et il est mort, répondit le seigneur en haussant les épaules.

— Ah oui, donc l’Ogre est mort de rire…

L’enfant commençait à regretter d’être monté sur ce bateau de cet homme très bizarre mais sa curiosité l’emportait sur la crainte, et le bougre n’avait pas l’air méchant :

— Et la guerre des cauchemars, vous l’avez gagnée comment ?

— En fait, lorsque je suis arrivé au royaume des deux comtés, j’avais pris une tenue de capitaine, donc on m’a pris pour un grand chevalier. On m’a envoyé voir ce que voulait la reine des cauchemars, pour qu’on se rende, parce que le roi de l’époque voulait protéger la population. Quand elle m’a vu arriver, elle m’a dit de mettre un genou à terre. Moi, je l’ai écoutée, elle s’est approchée, mais elle avait l’air si froide que j’ai pris peur et que je me suis relevé. Elle est tombée et elle a perdu son bâton. Comme c’est lui qui la protégeait, le grand mage a pu l’emprisonner. Voilà ! Après, le traité a été signé, j’ai été acclamé en héros… Et pour l’Ogre, j’y suis allé deux fois en fait : la première j’ai juste récupéré deux frères jumeaux qui étaient emprisonnés, mais avec l’aide du mage ! Et Puis la deuxième, c’était à cause de la sorcière et puis, ben, je t’ai déjà raconté…

Maxence espérait au fond de lui que la grande aventure promise par le cristal n’allait pas consister à attraper une baleine parce qu’avec un coéquipier pareil il n’était pas sorti de l’auberge ! Le vent se leva brutalement, et l’excitation gagna le cœur de l’enfant : il allait se passer quelque chose !

En effet ce fut le cas : le vent se changea en tempête mais entre un chevalier qui n’était jamais monté sur une barque auparavant et un petit garçon qui n’avait été marin que dans ses rêves, le bateau, sans surprise, fit naufrage.

 

Ils s’éveillèrent sur une plage inconnue : ce n’était pas celle d’où ils étaient partis, et Maxence n’avait pas l’impression d’être au royaume des deux comtés. Il imaginait le comté des fins heureuses comme une grande montagne peuplé de fortins et le monde de la nuit comme un cimetière avec en son centre le château de la reine des cauchemars. Là ils pataugeaient dans une sorte de lagune et plus haut, dans la lande, se dressait un château pareil à celui de Dracula, d’ailleurs une multitude de chauve-souris volaient autour… était-ce des vampires ? tout cela n’était pas très engageant.

— Alors, oui, c’est vrai que j’avais peur de m’ennuyer sur la barque et que je voulais de l’aventure, marmonna le garçon pour lui-même, mais là un royaume cerné par les vampires… On a peut-être visé un peu haut!

A ses côtés Justin, qui, comme à son habitude n’était pas caractérisé par son courage, ronchonnait :

— Non, mais de toute façon, moi, je suis en retraite. Le roi m’a autorisé à la prendre à la fin de la dernière guerre.

— Peut-être oui, mais si tu veux rentrer chez toi, va bien falloir faire quelque chose … l’invectiva le garçon.

— Il faut réparer le bateau! déclara Justin soudain sûr de lui.

— Alors euh… le bateau, commença Maxence en contemplant le désastre, il est en 5000 morceaux. Donc, là, je te défie de réussir le puzzle ! Et puis il faudrait de la colle, pour coller tout ça, et pas un petit tube… Là, ce qu’il faudrait, c’est trois ou quatre seaux… remplis.

Justin qui commençait à comprendre que les choses allaient être beaucoup plus compliquées pour lui qu’il ne l’avait espéré se résigna à parcourir la lande jusqu’au château, Maxence sur les talons. Arrivés à la grande porte, épuisés, ils frappèrent et une voix leur répondit sèchement :

— Vous voulez quoi? Vous êtes qui?

— Je suis Maxence, l’écuyer du Seigneur Justin, le tueur d’Ogres, déclara le garçon d’un ton qui se voulait le plus solennel possible.

— Ah, un tueur d’Ogres ! C’est le créateur qui vous envoie ! s’exclama la voix soudain adoucie. Nous sommes débordés par les vampires et nous aurions bien besoin d’aide, je vais vous mener au comandant, ajouta l’homme en ouvrant la porte. Mais vous êtes sûr que c’est un tueur d’Ogres? S’inquiéta l’homme en avisant l’accoutrement de Justin.

— Oui, je confirme, affirma Maxence. D’ailleurs, je ne mens jamais ; ma maman m’a toujours dit que c’était très mal de mentir…

— Il a plutôt l’air d’un pêcheur… commenta le garde suspicieux, tout en les guidant dans un couloir.

— Ah oui, mais il est meilleur tueur d’Ogres que pêcheur. On était justement en train de pêcher pendant son jour de repos et on s’est paumés, expliqua le garçon.

— Et vous venez d’où?

— Ben, de l’île des deux comtés, répondit Justin qui ouvrait enfin la bouche.

— Oh là! Ah oui, en effet, ben on va pas vous confier un bateau, hein! se moqua l’homme. Là, vous êtes à cinq îles de distance, quand même… à dix jours de mer.

— Ah, ben, la tempête nous a amenés loin, déclara le chevalier pêcheur d’un ton morne.

Justin comprenait qu’il est dans les ennuis jusqu’au cou et se demandait comment il allait pouvoir fuir cette fois.

— Vous n’avez pas bateau qui pourrait nous ramené ? Tenta-t-il.

— Le bateau, si, on l’a ! Par contre, le navigateur… Va falloir nous aider, parce qu’il a été capturé par l’autre camp, répondit le garde.

— Ah… Et l’autre camp, c’est les…

— Oui, oui… Les vampires.

— OK…

Maxence se dit que Justin, tout chevalier aux grands faits d’armes qu’il était, n’avait pas l’air rassuré. Le commandant, un homme petit et rougeau à l’air sévère leur expliqua la situation : le navigateur, comme les autres prisonniers avaient été capturé par les vampires et allaient être conduit chez Ianos, le seigneur des vampires, à qui il allait servir de déjeuner. Le territoire des hommes était séparé de celui des vampires par un pont (cette similitude fit sourire Justin) et aucun chevalier du château n’avait l’intention de franchir ce pont. Comme il y avait fort à parié que les prisonniers soient déjà en territoire vampire, c’était donc à Justin et son écuyer de franchir le pont pour aller les secourir (cette fois Justin souriait beaucoup moins).

Ni Justin, ni Maxence n’eurent le temps de protester :  On refila une armure et une épée à Justin, afin qu’il ait une allure un peu plus chevaleresque, et on la garnit d’ail, de pieux et d’une croix en argent en espérant que cela puisse faire une différence face aux vampires. Maxence se vit affublé du même accoutrement et, sous les encouragements du commandant et des troupes, on les poussa sur le chemin et on referma les portes.  

— On dirait bien qu’on n’a pas le choix, commenta le garçon en essayant de se déplacer avec son armure trop lourde et mal ajustée.

 Pour toute réponse Justin grommela quelque chose d’inintelligible et les deux compères se mirent en route. Pour atteindre le pont il fallait traverser plusieurs villages. En les voyant arriver, les habitants effrayés se calfeutraient chez eux, car héro qu’on voit passé, égal, vampires à proximité ! Devant le pont, Justin, effrayé, marqua un temps d’arrêt. Maxence s’avança mais il était gauche avec son équipement, il marcha sur une brindille qui craqua sous ses lourdes chausses. Les vampires fondirent sur eux et les capturèrent.

— La bonne nouvelle, c’est qu’on a retrouvé le navigateur et les autres prisonniers ! la mauvaise, c’est qu’on est enfermé avec eux ! ironisa Maxence en abandonnant son armure qui le handicapait plus qu’autre chose.

— Tu sais, tu aurais dû me laisser y aller… lui reprocha Justin.

— Mais, trouillard comme tu es, tu aurais vraiment voulu partir en reconnaissance ? s’étonna le garçon.

— Ben, non, pas forcément… mais en tout cas, comme je suis un champion de la fuite, je n’aurais pas fait de bruit, moi, répondit Justin bravache.

Un garde vampire vint chercher les prisonniers et les conduisit dans la salle du trône, décorée de crânes et dont les fenêtres étaient occultées par de lourds rideaux de velours noir qui trainaient sur le sol et masquaient complètement la lumière du soleil du dehors. Ianos, le seigneur des lieux fit son entrée, à en juger par ses cheveux, pas du tout peignés, il sortait à peine de son cercueil. Ils allaient servir de petit déjeuner :

—  En voilà une belle moisson !  s’exclama le seigneur vampire. Mais je sens une odeur un peu spéciale.

— Oups, excusez-moi, c’est peut-être moi, dit Justin en levant la main alors que des gousses d’ail s’échappait de tous les recoins de son armure.

— Non, non, répondit Ianos avec un air de dégout, il y a quelqu’un avec des pouvoirs ici.

— Oui, je suis ménestrel, je chante ! improvisa Maxence en s’avançant.

Il se mit à chanter :

« Libéré, délivré, je ne mordrai plus jamais ! »

Ianos le coupa brutalement :

— Non, non, non… Je ne vais pas te manger en premier, je ne vais même pas te manger du tout. Je vais te libérer même si tu veux, mais s’il te plait, ne chante plus ! Les vampires ont les oreilles très sensibles et tu ne voudrais pas que nous ayons mal à la tête n’est-ce pas ? En plus, je viens de me lever, j’ai fait la fête la nuit dernière…

Maxence chuchota à Justin qu’il faudrait qu’il aille discrètement ouvrir la fenêtre en exploitant ses capacités de « champion de la fuite » et qu’il allait faire diversion pendant ce temps-là. Justin, toujours partant pour s’enfuir, surtout quand, en plus, on lui fournissait un plan tout prêt, s’approcha doucement des fenêtres, sans se faire remarquer par les gardes. Maxence enchaîna :

— Non, mais vous n’allez nous libérez pas tout de suite ! J’ai donc le temps de chanter encore une chanson !

« Terre brûlée, au vent, par les inquisiteurs ! »

— Ah, non, non, non ! On ne parle pas d’eux ici ! Pas des inquisiteurs ! s’affola Ianos.

— Ah ? Alors, qu’est-ce que je vais pouvoir vous chanter ? demanda le garçon faussement peiné. Ah je sais !

Et il poursuivit :

« C’est le prince… Le prince Ali ! »

— Non, mais qu’il se taise ! implora le Comte Vampire. La musique, on n’aime pas ça ! tu comprends petit ?

— Comment ça, vous n’aimez pas la musique ! Mais le chant, c’est la liberté ! La musique, c’est universel ! Tout le monde adore la musique ! Ah, qu’est-ce que je vais pouvoir vous chanter encore… Je sais pas…

« C’est un fameux trois mats, fin comme un zoziaux, hissez haut, je ne bois que de l’eau ! » braya Maxence en dansant dans toute la pièce.

— Misère, se lamenta le vampire. Mais faites quelque chose vous ! Ne restez pas planter là ! lança -t-il à l’adresse de ses gardes.

Pendant ce temps, Justin, parvenus jusqu’aux fenêtres, se prit les pieds dans les pans de velours, chercha à se rattraper en s’agrippant aux rideaux, mais les tringles qui maintenaient des derniers cédèrent, cassant dans leur chute le verre teinté des vitres. Le soleil du couchant emplit alors la pièce, et les vampires n’eurent pas le temps de fuir et se mirent à bruler sous les rayons de l’astre qui était mortel pour eux.

Seuls souvenirs de leur existence, des monticules de poussière jonchaient à présent le sol du château. Maxence éclata de rire, pendant que les prisonniers soulagés se congratulaient, ce royaume étant exempt de Covid-19. Justin, encore recroquevillé au sol au milieu des morceaux de verre des fenêtres et de bois des tringles, qui tous avaient épargné le chevalier dans leur chute, compris que sa maladresse l’avait encore une fois sauvé.

On retourna au château où on loua le courage du chevalier Justin, tueur d’Ogre et de Vampire, que l’on gratifia d’une nouvelle médaille. Après la fête de rigueur, le commandant affréta le navigateur et son bateau ainsi qu’une troupe de paladins pour reconduire les deux héros chez eux. Soulagé, Maxence s’installa sur le pont pour gouter à un repos bien mérité, mais la douce brise qui les avait accompagnés depuis qu’ils avaient quitté le port, se changea brutalement en tempête.

— Et moi qui croyait que cette aventure était enfin finie ! marmonna Maxence en prenant une grande inspiration juste avant que ce second bateau ne coule à son tour.

 

Ils échouèrent sur une nouvelle île, petite, ronde, sans pont. Puisque l’île n’était pas scindée en deux, Maxence espérait en son for intérieur que cela voulait dire que les autochtones n’étaient pas en conflits les uns avec les autres et qu’il n’y aurait, cette fois, pas de bataille à mener. Le jeune homme avisa plusieurs grottes qui pourraient leur offrir un abri sympathique mais il n’y avait ni ville ni port, il allait être difficile de trouver un bateau.

— Ohé ! Y a quelqu’un ? cria Maxence.

— Chut… tais-toi ! ordonna Justin, on va se faire repérer.

— Ben, c’est un peu le but, parce que, je ne sais pas s’il y a des habitants, ou s’ils sont gentils ou méchants, mais on, va avoir besoin de quelqu’un pour trouver un bateau.

Il y eu de l’agitation près des grottes, ce ne fut pas des humains mais des loups qui en sortirent, beaucoup de loups, et d’eux se détacha un immense loup blanc, majestueux qui s’adressa à eux :

— Bonjour.

— Bonjour, répondit Maxence, naturellement.

— Ah, tiens, vous n’êtes pas étonnés que… s’étonna le loup sans finir sa phrase.

— Ben non. Des loups qui parlent, Justin, tu en as dans les deux comtés, n’est-ce pas ?

— Ben, ouais, acquiesça ce dernier.

— Et puis, chez moi, avec l’histoire du chaperon rouge… commença le garçon.

— Ah non, ça, c’est un mensonge !  S’emporta le loup. Il ne faut pas parler de ça ici. Ceux qui ont écrit ça sont des menteurs ! Ils sont de l’autre camp !

— Ah parce qu’il y a un autre camp aussi ici ? se lamenta Maxence, qui commençait à en avoir assez de toutes ces querelles.

— Ah, oui, oui. Ici, vous êtes dans la tanière des loups, sur l’île de la meute. Vous avez la meute de loups, la meute principale, et puis vous avez des petites meutes. Vous avez la meute des chasseurs, vous avez la meute des pêcheurs… la meute des protecteurs, qui sillonne un peu, voilà, expliqua le loup. Et, depuis quelques années, des gens sont venus d’une autre île pas très loin, de grosses « outres à vin ». En fait, ils viennent nous voler notre gibier. Ils ont trouvé une région de l’île où pousse du raisin, ils restent donc là-bas, mais se promènent sur toute l’iles et tuent nos cerfs et nos lapins. A cause d’eux nous n’avons plus assez à manger !

— Alors, j’imagine, dit Maxence, que vous n’avez pas de bateau pour naviguer.

— Ah non, ça, nous n’en avons pas. Par contre, les outres à vin en ont un. Ils étaient censés repartir, d’après ce qu’on avait compris du langage alcoolisé de leur capitaine. Ils étaient censés partir, mais ils n’ont pas trouvé le chemin. Ils sont ivres du soir au matin. S’ils ne se tirent pas dessus en essayant de viser un cerf, c’est miraculeux.

— Combien sont-ils ces « outres à vins » comme vous dites ? demanda la cheffe des paladins.

— Pour une équipe comme la vôtre, commença le loup, ils ne sont pas nombreux, ils sont une trentaine.

— Une trentaine de types bien bourrés ? Ça doit pouvoir se faire, commenta le navigateur. Visiblement, le seul moyen de trouver un bateau, c’est d’aller piquer celui de ces chasseurs.

— « chasseurs » ? releva le loup.

— Des gars qui boivent et tirent au hasard en espérant tuer des bestioles, on appelle ça des chasseurs par chez moi, expliqua le navigateur.

— C’est décidé, allons-y ! ordonna la cheffe des baladins. Justin, vous nous accompagnez ou vous restez avec les cuisinières ? Car il n’y a guère qu’elles qui ne sont pas armée et prêtes à se battre. Ah, vous venez quand même ? Ah oui, parce que vous voulez être protégé par le petit bonhomme. Seigneur Maxence, c’est ça ?

— Ah non, je ne suis pas seigneur, je suis juste écuyer, corrigea ce dernier.

— Oui, ça, c’est vous qui le dites. C’est parce que le roi n’a pas eu le temps de vous nommer chevalier, mais chacun son avis sur la question. Donc, on y va et puis on laisse Justin derrière c’est ça ?

Ce dernier grommela mais emboita le pas de la troupe sous l’œil goguenard de la cheffe des paladins

Ils arrivent au campement des « outres à vins » qui portaient bien leur nom : Ils étaient une petite trentaine, comme l’avaient évalué les loups, cuvant leurs boissons, affalés sur la plage. Un tonneau était éventré et un cuisseau de cerf à moitié dévoré trainait sur la broche au-dessus d’un feu mourant. Les paladins s’élancèrent et ne firent qu’une bouchés des opportuns. Ils mangèrent un peu, ne burent pas (il ne restait pas de vin) mais laissèrent le plus gros de la viande aux loups dont ils ne voulaient pas s’attirer l’inimitié. Ils emportèrent cependant les armes sur les conseils de Maxence.

Les paladins n’avaient jamais vu d’armes comme celles-ci. Cela semblait être de long bâtons de bois, mais ils crachaient des billes de métal qui pouvaient atteindre des cibles lointaines comme les arcs et les flèches. Maxence leur expliqua que cela s’appelait fusil et que ça pouvait toujours servir, il ne croyait pas si bien dire.

Alors qu’ils contournaient une dune pour atteindre le bateau dont ils avaient aperçu le mat depuis le campement, l’équipée tomba sur une quarantaine d’hommes, en pleine forme qui gardait le voilier.

— Comment allons-nous faire ? demanda le navigateur à la cheffe des paladins, ils sont trop nombreux, et bien armés !

— Je vais envoyer mon éclaireur demander l’aide des loups, ils accepteront peut-être, mais je ne suis pas certaine que nous puissions nous permettre d’attendre, ils vont bien se rendre compte que leurs amis sur la plage ne reviennent pas.

— Avec ça nous pouvons l’emporter, suggéra Maxence, en leur montrant les fusils. Et nous avons l’effet de surprise pour nous. Que chacun prenne une arme comme celle-ci, vous visez l’ennemis, vous appuyez là, et si vous avez réussi à le toucher il tombera raide mort.

Les paladins s’équipèrent et se postèrent stratégiquement, couchés au sommet de la dune, surplombant l’équipage du bateau.

— Et moi ? qu’est-ce que je fais ? demanda Justin en tournant en rond.

— Toi, tu attrapes ça, lui intima Maxence en lui tendant un fusil. Non, non, surtout pas, ne le pointe pas vers moi malheureux, tiens vise le bonhomme là-bas vers la barre.

— Le capitaine ? s’inquiéta le chevalier maladroit.

— Oui, voilà, mais avant je vais te bander les yeux, comme ça. Et tu vas te mettre en équilibre, sur un pied, comme un flamand rose, oui très bien.

— C’est plus facile en faisant comme ça ? demanda Justin innocemment.

— Oui ! affirma Maxence. Dans ton cas, oui, aucun doute.

— Maxence, tu es sûr de ce que tu fais ? lui chuchota la cheffe des paladins, placé là, il va nous faire repérer.

— Ne vous inquiétez pas, si tout se passe comme prévu, nous n’aurons même pas besoin de nous battre. Allez, tire Justin !

Ce dernier s’exécuta, la balle alla frapper la cloche du bateau accrochée au mât du bateau à deux mètres de la cible, ricocha, heurta la partie centrale de la barre, couverte de métal et frappa le capitaine en plein front. Celui-ci s’écroula raide mort à la stupeur de son équipage qui se rendit sans faire d’histoire, impressionné que leurs assaillants comptent un tel tireur dans leurs rangs.

Les loups arrivèrent sur ces entre-faits et remercièrent la compagnie d’avoir éliminé les malandrins mais aussi d’avoir récupéré toue la viande qui allait à présent pouvoir remplir l’estomac affamé des louveteaux. Ils laissèrent de bon gré le bateau et son équipage aux aventuriers mais avaient cependant une dernière requête :

— Nous souhaiterions nous rendre sur l’ile des chasseurs, afin de nous assurer que plus aucun d’entre eux ne remettra jamais les pieds sur notre terre.

Le navigateur accepta et une trentaine de loups embarquèrent. La traversée dura plusieurs jours, l’équipage se montrait raisonnable et obéissait au navigateur, mais les instruments de navigation du bateau étaient obsolètes et en mauvais état, si bien que nos amis avançaient à l’aveuglette. La nuit du cinquième jour, le vent se leva et gagna rapidement en puissance, la mer se déchaina et le bateau tangua et affronta des vagues plus hautes que lui. C’était la tempête !

— Encore ? Mais ça devient une marotte ! pesta Maxence en s’attachant avec Justin au grand mât du bateau qui tressautait sur les chaos de la mer comme une coque de noix. 

La tempête sembla durer une éternité mais le bateau tint bon. Une terre était en vue, ils y accostèrent, ou plutôt s’y échouèrent car le navigateur, épuisé, avait mal jugé de la profondeur et le bateau se ficha sur un banc de sable. Le navigateur ignorait complètement où ils avaient pu atterrir et le jour s’étant levé, les étoiles ne pouvaient même pas l’aider.

 

— Ah, je sens une odeur familière ! s’écria soudain Justin. Par contre, c’est l’odeur de la poudre à canon, donc ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.

— Forcément, le contraire eut été étonnant, maugréa Maxence trempé et fatigué de se retrouver sans arrêt mêlé à des batailles alors qu’au départ il avait juste donné son accord pour aller chasser la baleine avec un original.

Ils entendirent du bruit, les paladins se redressèrent, préparant leurs armes mais Justin les arrêta, il reconnaissait les gens qui en contre bas menaient l’offensive contre les sbires du néant : il s’agissait de la terrible fée ; de roi le conteur et de sa fille, la princesse Chrysanthème, tout en armure avec ses cheveux blonds cascadant dans son dos.

Cette fois encore, il y avait une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne ? Ils étaient de retour au Royaume des deux Comtés. La mauvaise ? Ils débarquaient en pleine bataille et même en admettant que l’équipage du navire accepte de s’engager dans une guerre qui ne les concernait pas vraiment (pour l’instant du moins) ils se bâteraient à un contre dix créatures du néant, tant les hommes de Roi était en sous-nombre. Et quelles créatures ! L’armée du néant comportaient des rats géants, gouvernés par Wilhelm, le joueur de flûte, des monstres en glace et aussi des chats… mais pas de gentils chats, des chats contrôlés par le néant, par Chester, le chat rose et bleu.

La compagnie resta là, les bras ballants, démoralisée mais Maxence n’avait pas envie de se laisser abattre, pas après tout ce que Justin et lui avaient enduré pour retrouver ces terres ! IL entreprit d’organiser les troupes :

— Attendez, je vais aller prévenir le roi ! Mettez-vous en ordre ! ordonna-t-il. Comme ça, bien dans l’axe du lever du soleil. Groupez-vous. Tenez-vous prêt. Surtout attendez bien le signal, ne partez pas trop tôt !

Les hommes et les femmes de la compagnie se mirent en branle. Maxence monta sur le dos d’un grand loup gris volontaire s’apprêtant à s’élancer courageusement dans la bataille mais Justin, qui n’avait pas beaucoup écouté et quasi rien compris demanda des précisions au sujet de la seule chose qu’il avait retenu :

— Attends, tu parles d’un signal, quel signal ?

— Vous le reconnaitrez ! affirma Maxence en levant au-dessus de sa tête l’un des fusils qu’ils avaient récupérés.

Alors qu’il fonçait vers le front de la bataille à la rencontre de Roi, une pensée traversa le jeune homme : avec la dernière tempête qu’ils avaient essuyée, l’arme sera-t-elle encore en état de tirer ou était-elle gorgée d’eau ? Il était trop tard pour se poser la question. Roi était en vue, les soldats dardèrent sur lui leurs armes. Il descendit de sa monture et mit un genou à terre, implorant qu’on le laisse parler à Roi. Ce dernier attiré par le bruit s’avança vers lui :

— Votre Majesté, je viens avec Justin et une armée, j’ai un plan, si nous le suivons je suis persuadé que nous avons une chance.

Roi fit signe à ses gardes de laisser passer l’enfant et écouta son idée.

 

Pendant ce temps, Justin ne comprenait toujours pas ce que les autres étaient en train de faire, il avait néanmoins bien compris qu’il allait falloir se battre et s’élancer au signal. Il décida donc d’adopter sa technique favorite, celle qui avait fait de lui le spécialiste, le champion de la fuite avec vingt-deux fuites consécutives à son actif : la technique du retour en arrière. Cette dernière était assez simple, au signal vous laissiez les autres avancer et vous n’avanciez pas, vous vous retrouviez ainsi en arrière et protégé, et vous pouviez filer tranquillement.

 

Maxence vit les premiers rayons du soleil arriver, c’était le moment. Le jeune homme brandit son arme et tira. Rien. Il essaya encore et encore. Rien à faire. Il sentait la panique le gagner, il secoua le fusil, s’acharna dessus. Quand soudain la grande femme en noir, avec des ailes de chauve-souris lui arracha l’objet des mains et le lança en l’air, avant de placer ses ailes au-dessus d’eux pour les protéger. Le fusil explosa en un grand « Bang » sonore et retomba en dizaine de morceaux.

— Ne joue plus jamais avec ça tu m’entends ? On n’utilise pas ce genre de chose ici pour une bonne raison : c’est bruyant, peu précis et surtout ce n’est pas fiable. Ces engins sont dangereux.

Maxence acquiesça et remercia la fée qui s’élança pour accompagner la charge des paladins et des loups qui se déversait du versant Est sur les troupes du néant qui éblouies par les rayons du soleil levant furent fauchées par l’attaque. Un loup attrapa Chester et le chat bleu et rose périt sous les crocs acérés. Le Joueur de flute sonna la retraite et se retrancha avec ce qui lui restaient de créatures derrière la muraille des ogres.

La joie se répandit dans les rangs. La guerre était loin d’être finie mais ils avaient remporté une première bataille. Roi et Chrysanthème vinrent saluer et remercier les nouveaux venus. Les paladins et les loups comprenant que tôt ou tard le Néant s’attaquerait aussi à leur monde décidèrent de rester combattre au côté de Roi, espérant ainsi protéger les îles dont ils étaient natifs. L’ile des chasseurs ? Elle attendrait. Justin ? Le chevalier à la retraite était déjà bien loin, il avait ramassé une branche et un bout de ficelle et commençait déjà à bricoler une nouvelle canne à pêche. Après tout il avait toujours une baleine à capturer !

Maxence, lui tombait de fatigue. La terrible Fée le prit dans ses bras et lui murmura :

— Dors va, tu l’as bien mérité.

Bercé par sa voix le garçon ferma les yeux se laissant aller au sommeil. Quand il se réveilla il était dans son lit, la radio annonça la date du jour : 31 mars. Il était sept heures du matin, c’était à nouveau son anniversaire.

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