Erzemine, la fille aux allumettes fin
Les années passèrent avec leurs lots de bons et mauvais moments. La première guerre du Néant avait été remportée par la princesse devenue régente, son père et sa mère ayant été absorbés par le Néant. Son père était réapparu mais pas sa mère. Ombre, qui en était issu, s’était sacrifié pour la ramener à la vie. Cette dernière ne voulant plus de son titre de reine des cauchemars et n’ayant tenu lors de son enfermement, que grâce au souvenir de sa fille, avait voulu reprendre sa véritable identité. Pendant toutes ses épreuves Erzemine avait soutenu la princesse. C’est pourquoi, que tout naturellement, quand Chrysanthème partit se reposer de deux mois de bals, de processions et de remerciements, dans une petite chaumière cachée au fond de la forêt, elle avait convié Erzemine. Les deux femmes aimaient passer du temps ensemble mais Chrysanthème restait princesse et Erzemine une suivante. Le roi et la reine étaient au courant des sentiments qu’elles partageaient mais ces sentiments devaient rester ceux de la cabane des sept nains. La tristesse d’Erzémine se faisait de plus en plus intense à chaque fois qu’elles quittaient la chaumière. Chrysanthème le ressentait. Noël approchait et c’était une joie pour les deux femmes qui adoraient mettre un arbre dans le hall du palais et y déposer, le matin de Noël, un présent pour chacun des serviteurs du palais. Erzemine aimait beaucoup le jeune Joshua, un orphelin qui servait aux écuries et avait hâte qu’il découvre son cadeau, même si elle ignorait encore de quoi il s’agirait, contrairement à l’année passée où le jeune garçon, au détour d’un couloir, avait osé les aborder :
— Votre majesté, je vous souhaite le bonjour. J’ai bien grandi mais point mes bottes. Si votre bon cœur pouvait en placer de belles rouges sous le sapin…
— Petit garnement, comment oses tu faire une telle demande à Mademoiselle, s’était indignée la suivante en lui tirant l’oreille. Un cadeau ne se demande pas. Krampus pourrait te sonner les cloches.
— Mes excuses ma bonne dame.
— Joshua, Erzemine n’a pas tords. Tu viendras chercher ta punition en fin d’après-midi dans mes appartements.
Erzemine et Joshua l’avaient regardée interdits. La princesse n’avait jamais puni personne et plaidait toujours la cause du coupable pour alléger sa sentence.
— Bien votre majesté, je serai bien là, avait murmuré le garçon la tête basse avant de repartir pour les écuries.
Le garçon reparti vers les écuries.
— Princesse …
— J’ai une course à faire. Tu peux aller en cuisine leur dire de nous préparer un copieux goûter ?
Devant l’air étonné de sa servante, Chrysanthème avait ajouté :
— Dis leur que nous serons trois.
La servante avait alors compris l’idée de la princesse.
C’était un Joshua tout penaud qui était arrivé dans les appartements royaux qu’il n’avait jamais vu. Après avoir regardé le petit salon de la princesse d’un rapide regard circulaire, son attention s’était reportée sur ses bottes, toujours trop petites.
— Je veux que tu tendes les bras, paumes vers le haut et que tu fermes les yeux, lui avait demandé la princesse.
L’enfant s’était exécuté, terrifié. Il avait senti non pas une douleur vive, comme il s’y mais que la princesse lui déposait quelque chose sur les bras. Il ouvrit les yeux et vit une paire de bottes rouges les même que maitre Bahewin le chef jardiner de la reine.
— J’espère que tu retiendras la leçon mon jeune ami. Un cadeau vient du cœur. Jamais je ne laisserai un de nos serviteurs souffrir de mauvaises bottes ou avoir froid dans des vêtements trop vieux.
— Et ma punition majesté ?
— Tu l’as reçu avant de venir, répondit la princesse.
Joshua n’avait pas compris grand-chose sur le moment, mais il s’était incliné devant les deux femmes et les avaient remerciées.
— Maintenant mangeons, j’ai faim !
— Moi aussi, majesté.
— Cela tombe bien, j’ai demandé une part pour toi aussi !
— Un grand merci votre majesté !
Joshua n’y croyait pas en guise de punition il allait manger avec la princesse dans son salon et il avait des bottes en velours rouges toutes neuves.
Depuis ce jour, Chrysanthème et Erzemine avaient pris le jeune orphelin en affection.
Mais cela faisait quelques jours maintenant qu’Erzemine trouvait Chrysanthème de plus en plus distante et préoccupée. La jeune fille avait pris rendez-vous avec sa mère. La suivante avait eu un pincement au cœur : avant c’était à elle que la princesse se confiait. Un matin Erzemine avait voulu parler avec elle de l’arrivée du sapin et des cadeaux mais elle avait trouvé la princesse en grande conversation avec son père et ils avaient changé de conversation à son arrivée.
On était à présent la veille de Noël et Chrysanthème comptait les cadeaux en semblant soucieuse.
— Nous avons oublié quelqu’un ? demanda Erzemine.
— Non, c’est juste un cadeau qui n’est pas arrivé. Tu pourrais aller le chercher chez Mama Yaga ?
— Envoyez un serviteur, pourquoi pas Joshua ?
— C’est impossible, c’est son cadeau justement.
— Bon, je vais y aller, répondit la servante résignée
Erzemine prit sa cape de voyage, se fit préparer un cheval et partir vers la cabane de la sorcière.
Mama Yaga attendait calmement sur une chaise devant sa porte.
— Bonjour dame sorcière, je viens chercher le présent du jeune Joshua.
— Presque princesse et tu m’appelles encore Dame, s’esclaffa Mama. Et « mère sorcière » c’est ma petite fille.
— Je ne suis qu’une simple servante.
— Plus pour longtemps. Mais tu tombes bien ! Avec toutes ces commandes je n’ai plus un poil d’homme garou. Va m’en chercher, j’en ai besoin rapidement.
— Bien madame, répondit Erzemine troublée.
Les poils de loup se ramassant normalement au printemps, au moment de la mue entrainant la chute des poils d’hivers, en trouver en plein hivers allait être plus complexe. Erzemine parti donc voir Loukhi, le seigneur des meutes et l’informa de la demande de la sorcière :
— Princesse Erzemine bien le bonjour ! Je vais vous trouver ça sans problème, nous avons dû tondre deux jeunes écervelés qui ont joué dans un champ de bardanes.
— Merci votre seigneurie.
— Appelles-moi Loukhi, voyons.
Erzemine trouvait le comportement du loup étrange. Personne ne l'appelait princesse d’habitude. La confondait-il avec sa maîtresse ?
Sans attendre, elle retourna à la cabane avec les poils qu’une jeune louve lui avait remis.
— Peste soit-il, plus de sang de vampire ! Maugréa la sorcière à son arrivé. Je devrais faire plus attention, m’en ramènerais-tu ?
Erzemine commençait à trouver le temps long et à se demander si le cadeau sera prêt pour le lendemain matin avec cette vieille sorcière. Elle en voulait aussi à Chrysanthème de l’avoir envoyé en mission alors que depuis le milieu de la guerre, mettre les paquets des serviteurs sous le sapin et préparer la fête pour les remercier de l’année écoulée, était leur tradition à toutes les deux, Chrysanthème et elle. Mais cette année tout était différent, elle se sentait exclue, pourquoi autant de messes basses ? Et pourquoi cette mission de dernière minute ?
Elle demanda audience auprès du prince de la lande le vampire Stanislas. Elle fut reçue tout de suite, comme si elle était attendue.
— Ma chère Erzemine j’espère que tu vas bien, déclara le jeune blondinet.
— Oui, merci mon seigneur, mais il me faudrait du sang de vampire pour maitresse Yaga.
— Et moi il faut que je prenne tes mesures. Il te faut absolument une nouvelle robe ! Laisse-moi faire.
Sans que la servante n’eut pût dire quoique ce soit le jeune vampire avait sorti un mètre ruban et commencer à la mesurer.
— Firmin ! Apportez-moi un bocal et une dague !
Le serviteur revint et Stanislas se trancha le poignet pour remplir le récipient de son sang puis il lécha la blessure pour qu’elle se referme.
Erzemine ne comprenait pas ce qui venait de se passer ni pourquoi le vampire n’avait pas utilisé son serviteur pour le don. Elle était encore chamboulée quand elle arriva à la cabane.
— Merci bien, puisque tu es là tu iras me chercher les larmes de Mertille aux Marais. C’est le dernier ingrédient.
Erzemine commençait à perdre patience mais savoir que cela allait servir à confectionner le présent de Joshua lui permis de garder le sourire.
Elle arriva au centre des Marais chez Khèty, la mère sorcière, et fit sa demande
— Mertille !
— Oui maman ?
— Tu es privée du bal de Noël.
— Pourquoi ?
— Je l’ai décidé
La petite fille se mit à pleurer
Sa mère attira le flot de larmes dans une fiole qu’elle referma d’un claquement de doigt.
— Merci ma fille, c’était pour ta grand-mère. Finalement tu peux venir mais habille toi bien ce sera un grand bal cette année !
Erzemine aurait bien aimé aussi avoir le temps de se préparer mais cette sorcière n’en finissait pas de lui faire faire ses courses. Elle arriva fatiguée et fourbue à la maison poulet, portant le dernier ingrédient.
— Merci princesse ? déclara Mama Yaga en prenant la fiole.
— Si vous le permettez je souhaiterais me hâter de rentrer au château, les festivités vont commencer.
— Tu venais pourquoi déjà ?
— Pour le cadeau de Joshua.
— Ah oui, il est là sur mon guéridon, répondit Mama Yaga en désignant une boite qui était là depuis le début. Rentre bien. Moi j’ai deux bagues de l’amour éternel à faire en urgence.
Erzemine prit le paquet, furieuse, et, oubliant de remercier la sorcière, remonta sur son cheval pour rentrer au palais. Elle aurait voulu tordre le coup de la vieille bique.
— Ne soit pas inquiète, tout ira bien, lui avait dit cette dernière, avant qu’elle n’éperonne son cheval dans l’espoir de ne pas arriver en retard.
Ne pas s’inquiéter, facile à dire, tout allait de travers et Erzemine en était bouleversée : Chrysanthème confiait à présent son désarroi à sa mère et parlait en cachette à son père, alors que c’était elle sa confidente de toujours ! Et puis le comportement très étrange de certain à son égard, sans parler de ce bruit qui courait que la princesse aurait bientôt une nouvelle servante ! Et maintenant cette mission ridicule ! Erzemine était épuisée. C’était décidé, puisque sa présence n’était plus désirée, elle laisserait passer la fête de Noël puis quitterait le château, le lendemain, pour ne jamais y revenir. Elle ne savait pas pourquoi la princesse Chrysanthème l'avait mise à l'écart des préparations, mais puisqu’il en était ainsi, soit.
A son arrivée, elle vit sous l'arbre des dizaines de cadeaux et glissa parmi eux celui de Joshua. Des yeux, elle chercha le sien. Elle ne découvrit qu'une minuscule enveloppe au milieu des nombreux gros paquets. Déçue, elle l’ouvrit et y découvrit un message de la princesse avant de fondre en larmes.
Celui-ci tenait en quatre mots: "Veux-tu m'épouser ?".