Alexandre le tout malin 2
Le lendemain, Alexandre s’était levé tôt pour préparer le petit déjeuner de son maître.
— Debout, Maître ! Le petit déjeuner est servi !
— Alexandre, c’est gentil mais je ne suis pas sûr que...
— Allons, Maître ! C’est très important, le petit déjeuner. Ma tante Ursule dit toujours : « mange la confiture de tante Ursule ou tu vas faire grossir tes pustules » !
— Non, ce que je veux dire, c’est que je ne pense pas qu’il soit l’heure du petit-déjeuner. On doit être au milieu de la nuit.
— Ho la la ! Mais comment j’ai fait pour me lever aussi tôt, moi ?? Ça doit être la joie de vous revoir, Maître !
— Je t’en prie, reviens me lever dans quelques heures et laisse-moi dormir.
— Ho la la, mais ça va être froid !
— Tu n’auras qu’à refaire le petit déjeuner, Alexandre.
Au bout de trois autres réveils de la part d’Alexandre, le Maître jugea que la nuit était sur le point de partir. Le petit déjeuner fut pris près de la cheminée qui réchauffait déjà la pièce.
— Il fait froid, pas vrai Maître ?
— Oui, Alexandre, c’est rien de le dire.
— C’est dommage que le petit déjeuner n’ait pas pu se faire réchauffer à chaque fois. Du coup j’en ai fait trois quand je vous ai réveillé. Et maintenant, c’est froid et un peu passé de goût.
— Je n’ose même pas te demander ce que nous sommes en train de manger.
— L’espèce de sauce froide que vous buvez, ce sont des crêpes flambées, mais pas flambées, pas cuites.
— C’est pour ça que je ne voulais pas te le demander.
— Du coup, on manque déjà de provisions, il va falloir que j’aille au marché.
— Pas de soucis, Alexandre. Pendant ce temps-là, je travaillerai tranquille.
— Faudra que je mette mon écharpe. Celle que m’a tricotée ma tante Ursule.
— Tu en profiteras pour aller en forêt te trouver une baguette.
— C’est une bonne idée, Maître !
— En effet, comme ça je pense que nous allons passer une bonne journée.
— Vous ai-je pas parlé de mon idée pour rendre les gens heureux.
— Alexandre, je n’ai fini de manger. Tu peux débarrasser.
— Je vais essayer de trouver une baguette pour faire comme vous, faire jaillir des couleurs de partout, comme le rideau de perle, et comme ça, les gens seront… Maître ? Ho, ben il est déjà parti !
Alexandre sorti dans la campagne enneigée.
— mmmff mffmfmff fmmf f mf fffff
Au bout d’un moment, il sorti son visage de son écharpe.
— Les écharpes, ça tient chaud, mais ce n’est pas facile de parler quand on a la bouche dedans. Même si c’est pour parler tout seul. C’est vrai, quoi ! Après je vais finir par ne plus me comprendre. Déjà que je ne comprends pas toujours tout. Alors, qu’est-ce que je disais déjà dans mon écharpe ? Ah oui : les écharpes, ça tient chaud !
Il arriva au village. Il était d’humeur joyeuse et avait envie de dire bonjour à n’importe qui.
— Bonjour monsieur !
— Bonjour petit homme.
— Bonjour madame !
— Bonjour mon petit, tu vas au marché ?
— Oui madame, et j’y vais en marchant !
Au marché, tout se passa bien : Alexandre avait l’habitude de faire les courses pour sa tante Ursule.
— J’ai plein de choses dans mon petit panier, dit-il. Je vais pouvoir rentrer, maintenant. Ha mais non ! Je dois passer en forêt ! Il ne faudrait pas que j’oublie de me trouver une baguette.
Dans la forêt, Alexandre se mit en quête de l’objet tant convoité.
— Si les oiseaux étaient là, ils auraient pu m’aider !
— Et comment auraient-ils fait ?
— Hein ? Quoi ? Qui me parle ? C’est incroyable ! J’entends une voix ! C’est génial ! Le grand esprit de la forêt me parle ! Grand esprit de la forêt, je t’entends !
— Mais de quoi tu parles, petit ?
Alexandre remarqua alors un homme assis contre un arbre. Il avait une bouteille avec lui.
— Tiens ? Bonjour monsieur. Vous n’êtes pas le grand esprit de la forêt, on dirait.
— Désolé de te décevoir, je suis Roger et je bois avant de continuer mon chemin.
— Vous n’avez même pas l’air d’être un grand esprit « tout court ».
— Pourquoi tu dis ça ?
— Vous pensez qu’en buvant, vous allez aller plus loin sur votre chemin ?
— Non, mais en buvant, je me réchauffe.
— C’est malin, ça ?
— Dis donc, petit. Tu as bien une écharpe, toi, pour te réchauffer.
— Oui, c’est celle offerte par ma tante Ursule.
— Et bien moi, pour me réchauffer, je bois.
— C’est ce que je dis : ce n’est pas vraiment malin tout ça.
— T’es vraiment pas gentil, toi !
— J’essaye surtout de vous aider. Avec une écharpe, quand on parle ça fait « mmff mmffff fffmmfmmf », alors que quand on parle en buvant, ça fait « glou » et après on peut s’étrangler.
— Tu dis que je ne suis pas malin mais ne voulais-tu pas demander aux oiseaux de t’aider il y a deux minutes ?
— Ben oui, et alors ? Des fois je suis malin mais j’aime bien la compagnie des oiseaux.
— Je ne suis pas sûr que c’était vraiment ce que tu voulais dire.
— Et sinon monsieur Roger, ça ne vous dérange pas si je vous laisse là et que je m’occupe de ce que j’ai à faire ?
— Pas de soucis, vas-y, je te regarde.
— Euh… Bon ben si vous voulez regarder ailleurs, vous avez le droit.
Alexandre, un peu gêné par cette rencontre, examina autour de lui.
— Ha, dit-il. En voilà une !
Il posa son panier par terre, fixa une branche du regard en souriant, et commença à grimper à l’arbre.
— Fais attention de ne pas tomber, petit.
— Mais vous êtes encore là, Roger ?
— Ben oui, je n’ai pas fini ma bouteille.
— C’est bien ma veine. Vous ne voyez pas que vous me dérangez ?
— Mais que veux-tu faire dans l’arbre ?
— Je veux juste lui prendre une branche et laissez-moi tranquille !
— Une branche ? C’est plutôt singulier comme chose.
— Laissez-moi donc et finissez votre bouteille.
— Attention, ne mets pas le pied là, petit. Non, pas là ! Attention !
— Haaaaaa
Alexandre tomba de l’arbre.
— Tu t’es fait mal, petit ?
— A votre avis, Roger ?
— Ton panier à l’air d’avoir amorti ta chute.
— Je n’aurais pas dû acheter des choses trop dures. Je les sens dans mon dos maintenant.
— Allons, relève, toi. Voiilàààà.
— Ho, flûte flûte. Mes courses sont écrasées.
— Ca doit pouvoir se récupérer, ne t’en fais pas.
— Je me ferais houspiller par ma tante Ursule si je devais rentrer chez elle, mais là c’est pour mon maître.
— Ton maître te pardonnera peut-être si tu lui expliques.
— C’est vrai.
— Par contre c’est l’arbre qui ne t’aurais peut-être pas pardonné si tu lui avais pris une branche.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que vous me racontez encore ?
— Que voulais-tu faire avec une branche ?
— Je voulais me trouver une baguette pour devenir un grand sourcier pour faire danser des couleurs comme celles d’un rideau de perle mais en plus gros.
— Je vois, je vois…
— Vous voyez quoi ? Qu’est-ce que vous y comprenez, vous ? C’est votre bouteille qui vous parle ?
— Tu n’aimes pas les gens qui boivent, toi.
— Mon tonton buvait tout le temps. Un jour il s’est mis à danser devant une vache. Il n’a pas vu le taureau arriver.
— Et tu as raison de te méfier de l’alcool, mais là n’est pas la question. Tu as voulu arracher une branche de l’arbre.
— C’est bien avec les arbres qu’on fait des portes !
— Oui, petit. Mais là tu voulais faire une baguette de sorcier. Tu veux vraiment faire une baguette avec une branche que tu as arrachée à un arbre ?
Alexandre ne répondit pas tout de suite. Roger reprit :
— Tu sais, l’arbre vit plus longtemps que nous, si on le laisse faire. Il a une grande mémoire. C’est le témoin du temps qui passe. Ne lui laisse pas le souvenir de toi qui lui casse une branche. Demande-lui plutôt de t’aider.
Alexandre se mit à réfléchir. Il semblait ému. Il avait eu de la rancœur envers ce Roger qu’il ne connaissait même pas ; tout ça parce qu’il buvait comme son oncle. Mais cet homme semblait de meilleur conseil que n’importe quel autre ivrogne.
— Vous savez, Roger, je me demande si vous n’avez pas raison. Je repense à mon Maître.
— Bien, très bien.
— Il arrive à faire danser des couleurs avec sa baguette. Il m’a dit que la baguette était un prolongement.
— Oui, continue.
— Je pense que si mon Maître est aussi fort, c’est parce qu’il doit avoir un profond respect pour les arbres et que c’est pour ça que les arbres lui ont donné une baguette.
— Très bien. Et que vas-tu faire maintenant ?
— Ho regardez, Roger ! Toutes mes courses écrasées, ça fait plein de couleurs mélangées sur la neige. Comme c’est joli !
— Mais oui, tu as raison !
— Et regardez ici, Roger ! Cette branche par terre ! Elle ferait une baguette magnifique ! Vous avez vu la couleur qu’elle a ?
— C’est incroyable, cette branche était là depuis le début et toi tu en cherchais une autre !
— C’est parce que je ne faisais pas attention.
— Peut-être que tu n’étais pas centré sur ce qui était vraiment important pour toi. Tu étais ému en pensant à ton Maître.
— C’est vrai. Et là j’ai trouvé ma baguette sans l’arracher à un arbre et ces couleurs mélangées sur la neige me donnent une super idée ! Merci Monsieur Roger !
— Mais de rien, Alexandre.
— C’est génial. Hé mais ?!?! Attendez ! Je ne vous ai jamais dit comment je m’appelais ! Et en plus vous avez dit que je cherchais une baguette de sorcier alors que moi j’ai dit « sourcier ».
Mais Alexandre était seul. Seul avec une branche dans la main. Seul avec ses propres traces dans la neige.
— Ro… Roger ?
Le silence était palpable. Alexandre resta un instant sans bouger. Puis il regarda sa baguette, celle qui
était vraiment faite pour lui. Il ramassa son panier, ses courses, et se remis en marche.
Au bout de quelques pas, il se retourna, regarda les arbres avec un profond respect et dit :
— Merci, Grand Esprit de la forêt.
© CC Laurent Combaz , l’ivre d’histoires.